mercredi 15 mai 2019

Laissez nous jouir, l'exemplaire édito politique de Thomas Legrand

Ou l'art de s'exonérer de sa contribution aux violences en ajoutant à la délégitimation de ceux qui les subissent.

La recette des surplombants est connue : mettre en cause les rares outils qui permettent aux silenciés d'exister face à l'indifférence majoritaire, aux discriminations structurelles, à l'invisibilisation quotidienne et à la minorisation exercée avec constance par les médias dominants car c'est bien connue si la haine frappe, ce n'est pas parce qu'elle est construite socialement, politiquement et culturellement, préalablement aux passage à l'acte mais parce qu'elle « est amplifiée par les réseaux sociaux et par des logiques religieuses ou communautaristes»1

C'est en effet tranquillement aisé, de son fauteuil d'observateur épargné de tout risque, de qualifier les rares focus mis sur les violences de « spirale déprimiste », de « ressenti (matière aisément manipulable) [...] crédibilisés par la formidable caisse de résonance des réseaux sociaux » plutôt que de se demander si en ajoutant sa petite invitation personnelle à relativiser ces violences comme statistiquement régressives et à leur appliquer une optimiste qualification de résiduelles, on ne participe pas à les construire comme négligeables, et par extension au sentiment de légitimité infondé qui meut leurs auteurs.


Thomas Legrand, pressé de paraître intelligent et objectif à peu de frais, choisit donc, à partir d'un constat qui pourrait être une base de discussion productive, non pas de s'interroger sur le comment dans cet intervalle lutter plus efficacement contre la multiplication des violences agressives de réaction, c'est à dire de contribuer à accélérer des évolutions optimistes et à une universalisation du bien vivre mais de se plaindre de ce que la visibilisation des violences serait cause de déprime nationale, empêchant de jouir de « l’Union (ce havre de paix et de prospérité mondial)»


Résumé : prière de respecter la politesse des riches : si vous vous faites cassez la gueule, n'oubliez pas l'essentiel, c'est la marche du progrès, alors s'il vous plaît, ne venez pas gâter la quiétude enthousiaste de ceux qui en profitent.

C'est quand même indécent, ces gueux, qui font tache, sur la photo de la fête au château




1https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-politique/l-edito-politique-15-mai-2019

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire