mercredi 14 février 2018

Homophobie et auto-absolution politique













Alors que deux agressions lesbophobes1 et homophobes2, physiques, se sont produites ces derniers jours, il aura donc fallu que SOS homophobie s'émeuve3 du silence gouvernemental à ce sujet pour que le Premier ministre, Edouard Philippe4 et sa secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre hommes et femmes, Marlène Schiappa5, daignent réagir et condamner par tweet ces agressions.

Deux tweets tardifs donc, et fort peu spontanés.

Contrastant avec d'autres empressements quand on se place sur le plan de la sémiologie, un registre d'autant plus intéressant que le Président de la République et ce gouvernement n'ont eu de cesse d'afficher l'encadrement de leur communication en signe alpha de leur politique.

Un timing parlant, d'autant que si l'utilisation tweeter s'inscrit dans une forme d'économie de la rapidité, dès lors que cette dimension, on l'a vu, n'était pas recherchée, le tweet devient plutôt synonyme de service minimum en matière d'expression publique.

On pourrait objecter que les médias portent leur part de responsabilité dans cet état, pour peut-être n'avoir pas sollicité de réactions officielles. On sait nos ministres, cependant, aptes à saisir micros et caméras pour délivrer les actualités qui leur chantent et déchantent sans trop se préoccuper des questions initialement posées.

Et dans un cas comme dans l'autre, le thermomètre est révélateur des intérêts respectifs.

Une fois évacuée l'indolence manifeste n'y aurait-il pas matière à s'attarder sur ce que ces tweets arrachés trimbalent ?

Peut-on se contenter de les ranger dans les tiroirs des condamnations convenues et, obligées, littéralement ?

L'Etat ayant ainsi empli la fonction symbolique qui serait sienne de soutien aux victimes et de rappel de valeurs communes.

Mais s'en tenir au dont acte qui s'en suivrait ne serait-il pas alors participatif d'une politique qui n'est pas sans poser problème de confusion.

Car bien qu'acculé à réagir, l'Etat en fait poursuit une autre logique que la seule lutte contre l'homophobie et cette logique n'est pas nouvelle, ni même consubstantielle de la Présidence Macron.

Rien de cette lutte n'est venu spontanément des gouvernements de la République, tout au contraire, l'engagement ne s'est construit, pierre par pierre, que par l'action des activistes et associations de lutte contre les discriminations et contre le sida qui ont su imposer leurs combats et susciter des relais, des soutiens, des compréhensions. Voire des convergences.

Mais convergence ne signifie pas adhésion pour autant, encore moins semblable.
Contraindre l'Etat à agir, à prendre des responsabilités qui sont les siennes ne saurait faire oublier que deux légitimités s'affrontent ici qui ne se recouvrent pas et qu'au vu des rapports de force, s'en remettre à l'Etat en la matière ressemblerait furieusement à de la naïveté dangereuse. Car si l'Etat est acteur de la lutte contre l'homophobie, et nous nous sommes - et continuerons - assez battus pour qu'il en soit ainsi, comme pour accéder à nos droits et aux moyens sans lesquels ils ne sont que papier de chiffon, impossible de passer sous silence le fait que l'Etat est tout autant acteur de l'homophobie. Par ses institutions comme du fait des choix et actes de ses représentants.

Laissant perdurer des discriminations qui nous frappent, couvrant de culture patriarcale et de conservatisme idéologique des violences quotidiennes, qui pour n'être pas directement physiques n'en atteignent pas moins les corps et les vies.

Quand il n'organise pas lui-même ces violences par ses inactions, comme en n'assurant pas les actions de sensibilisation nécessaires ou les soumettant à un consensus d'autant plus introuvable qu'il n'a jamais donné les moyens d'y parvenir et que chacun de ses renoncements redonne force et vitalité aux oppositions.

Quand il délègue au libéralisme, à la possession et l'argent, la liberté d'être et renvoie les solidarités effectives aux familles, exposant les plus vulnérables aux violences y compris domestiques et patronales, à la dépendance et aux chantages ou encore au bon vouloir des bailleurs.

Quand il contraint des mères à passer par le mariage et l'adoption pour assurer la protection de leurs enfants, passe outre les condamnations internationales pour continuer à refuser de retranscrire des états civils et persister à blanchir des maltraitances juridiques ou médicales. Quand sa justice administrative décide qu'oeuvrer à améliorer la vie des homos et trans ne participe pas de l'intérêt communal.

Encore en nommant au gouvernement des ministres qui se sont illustrés par leur oppositions aux droits des homos et trans, ce qui à tout le moins envoie un message clair qu'il y a, pour paraphraser le premier ministre, place dans la République française pour certaines formes d'agressions homophobes, à condition qu'elles aient emprunté à une forme discursive policée plutôt que vulgaire ou qu'aux coups directement physiques.

En présentant l'accès universel à la PMA et les préjugés homo-lesbo-transphobes comme à débattre, faisant sans complexe des homos, trans et leurs enfants, les cibles d'un déchaînement de violence dont il ne méconnait pas les effets mais qu'il contribue à minimiser et même à favoriser quand il réserve l'emploi du terme « brutaliser »6 aux consciences des opposants auxquels il assure à répétition qu'ils seront écoutés.

Le « en même temps » étant ici abus de vulnérabilité. La PMA peut-être, d'ici la fin du quinquennat, nous dit sans dire complètement le président qui a fait de son « je fais ce que je dis » un style et prétendait pendant la campagne établir avec le pays une relation de clarté7.

Une prudence dans le choix des mots qui n'a donc rien d'anecdotique. Et qu'on retrouve constante autant chez le Macron candidat8 que président qui n'a jamais prononcé d'engagement ou de promesse préférant chaque fois se réfugier derrière des assertives ne se référant qu'à un avis favorable.

Et ce alors même que du point de vue du diagnostic, il avait été, là, à l'inverse très clair : « Le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable. »9

Un intolérable avec lequel on nous appelle pourtant à composer sur une période qui menace de se transformer en jour sans fin et pour un résultat sans autre garantie que d'avoir offert encore une amplification médiatique aux évangélisateurs logorrhéiques de l'inégalité. Le candidat nous avait prévenu les questions éthiques « ne sont pas prioritaires sur le plan de l’action politique »10.

Les promesses n'engagent que ceux qui y croient dit l'adage politique, ici la foi reposerait sur moins encore.

Et en échange de cette carotte potentielle, nous devrions nous résoudre à ce que malveillance et bêtise se paient au prix fort par nombre d'entre nous.  « Il faut savoir entendre, laisser place au dissensus et non l'écraser »11 Joli renversement car jusqu'à nouvel ordre, ce ne sont ni les hiérarques de l'Eglise catholique, ni ceux de la Manif pour tous qui se font recoudre aux urgences ou harceler jusqu'au fond de nos campagnes.

Si nous ne souhaitons pas voir nos vies se transformer en un interminable exercice de rappel sur chemin de croix, nous ne saurions laisser loisir et prétention à l'Etat de se positionner en celui qui définirait le périmètre de l'homophobie et de ce qui n'en est pas, pas plus que de décider de qui en sont les acteurs ou les combattants.

Rappelons-nous qu'il est très différent d'exercer une vigilance extrême quant à la réalité des actions menées, d'exiger de l'Etat qu'il assume les responsabilités qui lui incombent ou de lui permettre d'outrepasser ses prérogatives.

Au-delà de notre propre expérience, l'exemple de la lutte antiraciste doit également nous alerter sur la tentation des gouvernements de cantonner la protection des minorités à des mesures ponctuelles, partielles et morales. De renvoyer sur des responsabilités individuelles de méchants pas beaux, ce qui relève à minima aussi de discriminations systémiques.

Bref de taper sur les doigts de ceux qui rayent la carrosserie mais sans jamais se préoccuper du moteur.

Il est d'actualité de nous faire passer pour moderne, une pseudo-dépolitisation des luttes sociales. De prétendre que l'efficacité s'incarnerait dans la technicité.

D'attribuer les échecs et lacunes des politiques menées non à des choix politiques mais à une politisation excessive.

Ainsi il serait de bon ton de faire passer la neutralité partisane exigée des grands commis de l'Etat pour la preuve de la neutralité politique des actions qu'ils sont chargés de mettre en œuvre mais c'est effacer à bon compte d'une part que les nominations, affectations et carrières de ces hauts fonctionnaires dépendent des choix des politiques, donc de choix idéologiques.

D'autre part que précisément, s'ils sont censés mettre de côté leurs convictions personnelles, c'est bien parce que ce sont des choix qu'ils ont à traduire en acte et que ces choix relèvent non de l'administration mais du politique.

Transformer les hauts fonctionnaires en VRP d'une gestion libérale de l'Etat, chaque jour plus proches des cadres d'entreprises n'a rien de neutre. Il ne s'agit de rien de moins que d'habiller les ingénieurs du libéralisme de costume d'experts pour accréditer une absence d'alternative.

L'opérationnel et le pragmatique, saupoudrés d'une dose de management prétendument participatif, visent là tout autant à répondre à des situations concrètes qu'à décorer d'un vernis progressif l'assurance que la distribution de sparadraps ne puisse en venir à déstabiliser une architecture globale dont en réalité on ne souhaite pas modifier la structure pyramidale.

Demander notre dû ne doit donc pas nous faire perdre de vue que c'est la nature même, systémique, de la domination et des oppressions, que nous avons à combattre.

Et dans ce domaine, les experts, ne sont pas dans les préfectures et administrations, encore moins à la DILCRAH12.

Si on revient aux tweets de Philippe et Schiappa, on voit bien cependant combien nos responsables politiques souhaitent nous l'imposer en référent central.

Mais s'il est de leur intérêt d'abriter le politique derrière le fonctionnaire pour masquer leurs choix et insuffisances au prétexte de technicité, il n'est pas du nôtre d'accepter cette invisibilisation volontaire du politique, ni de laisser installer en expertise et porte-parole de la lutte contre l'homophobie un point de vue univoque et extérieur aux premier.e.s concerné.s.

Il n'y a pas à la DILCRAH de volonté de lutter contre les discriminations racistes, homophobes, lesbophobes en ce qu'elles font système.

On s'y focalise sur le combat contre la haine et les préjugés, sur les symptômes plutôt que les causes profondes, tout en veillant scrupuleusement à épargner à l'universalisme républicain analyse et remise en cause de fond de ses logiques structurelles discriminantes.

(subsidaire : le préjugé est donc une manifestation culturelle et morale imposée par le milieu, la culture et l'éducation, tout domaine dans lequel l'Etat, les institutions et la politique n'auraient que des responsabilités extérieures. Leurs interventions ne sauraient se mesurer qu'en positif tandis que pour rien, jamais, dans leur construction problématique !)

Son responsable ne le dissimule même pas, il suffit de lire l'interview qu'il donnée il y a quelques jours à Libération13.

Parlant de la délégation comme d'une «start-up dans l’appareil d’Etat», il renvoie les discriminations individuelles au défenseur des droits, les discriminations systémiques à l'invention de solutions ultérieures. Et y assume sans complexe de ne pas avoir à écouter ni agir pour celles et ceux avec lesquels il a un désaccord de fond.

Le tri des interlocuteurs et des bonnes victimes est chose assez banale, pratiquée de tout temps par les gouvernants. De la même façon que des structures et des militants peuvent estimer que le dialogue avec des institutions est peine perdue.

Le 12 février, Act Up-Paris, en dépit de sa demande d'en être n'avait pas, par exemple, été conviée par Marlène Schiappa et la Dilcrah à leur réunion de « réseaux engagés pour une politique de lutte contre la haine anti #LGBT » consécutives aux agressions.14
Mais c'est loin d'être la première fois que l'association est écartée de consultations présentées comme représentatives.

Dans le contexte d'exacerbation de la lesbophobie, il y aurait aussi pertinence à s'interroger sur la représentation des lesbiennes à cette réunion et se demander comme le fait la militante Alice Coffin15lesquelles de leurs associations avaient été pressenties pour participer.

Mais Frédéric Potier, le responsable de la Dilcrah, dans son entreprise de confrontation idéologique a franchi dans l'entretien accordé à Libé une étape supplémentaire, quand pour récuser l'emploi du mot «racisé», il prétend être qualifié pour déterminer ce qui correspond « à la réalité de ce que vivent les victimes concrètes » pour lesquelles il « cherche à mettre en place des financements de projets, de la formation, des évolutions de la loi, etc. »

Ce qui revient ni plus ni moins, au motif de son désaccord à propos de ce qu'il analyse comme une approche « théorique, sociologique, conceptuelle » à trier entre les victimes des discriminations (et leur nier cette qualité) pour lesquelles, au nom de la dite universelle République dont il est préfet, il a été nommé en mission de service public.

Choix des concepts idéologiques, définition des victimes, préconisation des évolutions de la loi, mais apolitisme et technicité nous chante-t-on.

On ne s'étonnera guère dès lors que notre expert ès victimes auto-proclamé restreigne la mission de la Dilcrah aux combats contre les préjugés et à la protection de l'universalisme.

Sous pression des associations, nos gouvernements consentent à lâcher quelques gestes et subsides mais à condition :

- de s'en tenir à condamner (sans empressement débridé, on l'a vu) les agressions de base, celles qui ont si bien intégré l'idéologie de la hiérarchisation qu'elles y ont lu autorisation

- qu'il ne soit pas question en revanche de s'attaquer à ceux qui la pratiquent industriellement et médiatiquement et encore moins au système qui bourre les crânes de mépris décomplexé, de colère et frustration explosives et légitime les discriminations

- que ce soit en même temps l'opportunité de travailler non à réformer ce système mais à l'absoudre et traquer tout ce qui contredit le mythe que domination et discrimination ne sauraient lui être autre qu'étrangères.


Le communiqué commun post-agressions & réception du Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et du DILCRAH16 n'annonce évidemment ni mesure qui n'ait été déjà connue, ni changement d'envergure dans les politiques menées et dédouanées sans scrupules de toute responsabilité dans le regain de lesbo-homo-transphobie en cours.

« La haine et les discriminations anti-LGBT n’ont pas leur place dans la République » nous répète-t-on.

Que cela advienne !

En attendant ces extériorité et auto-absolution gouvernementale ne sont que fables. A nous de n'être ni crédules ni caution ou attachés de presse de politiques et communications qui blanchissent institutions et élus.

Parce que, rappelez-vous, l'homme aujourd'hui à la tête de l'Etat en avait débusqué au moins une, qui pour l'instant, y a toute sa place au chaud dans la République :

« Le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable. » Emmanuel Macron.




on notera qu'Emmanuel Macron, interpellé lui aussi, n'a rien exprimé
Par la suite la secrétaire d'Etat a également ajouté à ce tweet la réception dans ses bureaux d'une sélection d'associations
12Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)

vendredi 9 février 2018

Privilège communal






Privilège communal



En accompagnant sa décision d'annuler la subvention accordée par la ville de Nantes au Centre LGBT (NOSIG) de la commune du rappel qu'une municipalité « ne peut accorder une subvention à une association qu’à la condition qu’elle soit justifiée par un intérêt public communal »1
la 2ème chambre du tribunal administratif de Nantes a donc considéré, qu'au contraire d'une réfection de pelouse de football ou du ré-haussement d'une pataugeoire, il n'y aurait pas d'intérêt public communal à améliorer le bien-être des nantais.e.s homosexuel.le.s, transsexuel.le.s et  bisexuel.le.s et à travailler à éliminer les discriminations auxquelles ils et elles sont confronté.e.s.

Selon ce tribunal, veiller à ce que des nantais.e. ne soient pas discriminé.e.s, violenté.e.s en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre n'aurait donc aucun impact sur la qualité de vie à Nantes pas plus que sur le vivre-ensemble dans la ville.

Il y aurait matière à se réjouir de la reconnaissance par la justice de la nature politique de « l’accès à l’égalité des droits personnels et sociaux des personnes homosexuelles, transsexuelles et bisexuelles »2, s'il s'agissait de prendre enfin en compte la responsabilité qui est celle des décideurs publics dans la réalité de l'égal accès à une universalité de droits. Et à l'échelle communale, dans la lutte effective contre les discriminations matérielles et juridiques qui affectent certain.e.s des membres de la collectivité.
Mais en fait, la dimension politique réside dans la décision du tribunal d'exclure de l'intérêt public communal la lutte contre les exclusions et violences fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
La justice française vient une fois de plus de s'illustrer dans son incapacité à assurer la protection des minorités. Tout en renvoyant simultanément la manifestation du besoin d'échanges et de débat public sur ces questions et les expressions de revendications d'accès au droit commun à de l'expression partisane.
Le conservatisme n'a de cesse de prétendre réduire le commun à un identique, peau de chagrin. Gageons cependant que cette xème tentative de rappel à un ordre du privilège, ne dissuadera pas pédés, gouines, bies & trans en lutte contre cet ordre exclusif de participer à faire émerger une autre commune.










2 op. cit.