samedi 13 décembre 2014

Outing, le bal des hypocrites


En décembre 2013, la Cour d'appel de Paris a ouvert une brèche en rompant avec une jurisprudence qui interdisait la pratique de l’outing en France. Dans une affaire qui opposait des cadres du Front National (déjà !) et un jeune auteur[1], elle a considéré que le public est en droit de connaître l'homosexualité d'un responsable politique lorsque cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général»[2]. Jusque-là rendre publique l’orientation sexuelle d’une personne sans son autorisation relevait d’une atteinte à la vie privée, celle-ci étant protégée par l'article 9 du code civil[3].


Dans cette brèche, le magazine Closer a vu miroiter un filon inexploité. En révélant au grand public l’orientation sexuelle du vice-président du Front National, Florian Philippot, le magazine savait s’offrir un succès commercial sur fond de buzz garanti. Peut-être aussi l’opportunité d’élargir cette brèche juridique susceptible d’enrichir son fond de commerce. L’argumentation de sa rédactrice en chef n’étonnera donc pas qui voudrait inscrire le droit à la peopolisation dans le débat d'intérêt général.
Plus amusant, ce positionnement affirme se placer au-dessus de la mêlée homophobe en n’établissant aucune distinction entre hétérosexuels et homosexuels. Y renvoyant ainsi ses seuls détracteurs et feignant de ne pas chercher soi-même, précisément, le maximum de publicité sur l’existence même de cette distinction.
Evidemment, personne n’imaginera sérieusement que Closer s’est découvert soudainement une vocation de défenseur des droits des gays ! Ce n’est pas son affaire. Closer vend du papier et du scandale. Et ce n’est pas à Closer de se substituer au travail militant.
D’ailleurs, cet affichage grand public de l’orientation sexuelle de Florian Philippot ne s’inscrit pas dans une définition politique de l’outing qui consiste à révéler délibérément l’homosexualité d’une personnalité publique qui par son silence ou par son action fait le jeu de l’homophobie[4].
Mais au contraire dans sa définition la plus large et la plus commune de révélation par un tiers de l’homosexualité (réelle ou supposée) d’une personne sans son accord préalable
En effet, peu importe au magazine que Philippot en tant que cadre de premier plan du FN, défende des politiques homophobes.
Il y a même fort à parier que, si argumentation politique il devait y avoir, cette nécessité de rendre publique l’homosexualité du vice-président du Front National serait justifiée (comme l’année dernière à propos de Steeve Briois) par un raisonnement exactement inverse : il faudrait expliquer la relative retenue de Marine Le Pen contre le mariage pour tous par l’homosexualité de ses lieutenants.
Est-ce parce que ceux-ci sont homosexuels qu’on n’hésite pas à réduire leurs choix politiques à leur orientation sexuelle ? Pourquoi pas ? mais alors ne devrait-on pas entendre dire ailleurs que le refus de l’ouverture du mariage exprimé par d’autres responsables politiques se fonderait, plutôt que sur des convictions et avant toute autre considération, sur leur seule hétérosexualité ?
Etrange manière de ne faire aucune distinction entre hétérosexuels et homosexuels ! un homo est toujours présumé lobbyiste en puissance des droits de ses pairs quand l’hétéro se voit attribué un pseudo détachement universel de sa condition !
Quoi qu’il en soit, nous assistons peu à peu à un effacement de la définition de l’outing au sens que lui avaient donné les activistes gays (sans doute parce que les militants français ne l’ont en fait jamais pratiqué) au profit d’une autre qui vise à l’autoriser non pas, en réalité, au nom des droits des gays mais du droit à l’information du grand public.
Il est d’ailleurs quelque peu ironique de constater que la justice qui s’était toujours refusée à considérer l’orientation sexuelle comme un élément d’information de nature politique quand il s’agissait de dénoncer l’homophobie, n’a trouvé l’élément recevable que le jour où il devait démontrer que l’homosexuel visé ne serait pas assez homophobe !
Dans cette zone d’entre-deux, où n’est entrée dans l’espace public à côté de l’hétérosexualité que l’homosexualité de celles et ceux qui ont choisi qu’il en soit ainsi, soit de par le mariage, soit de par leur visibilité, il y a désormais les pédés du FN qui ne se sont pas assez opposés au mariage pour tous !
Car l’arbitrage judiciaire a, à l’heure actuelle, décidé de ne s’en tenir qu’au personnel politique et même qu’aux responsables politiques de premier plan (en-soi, ça laisse bien de la place à d’autres outing possibles, y compris au sein d’autres formations que le FN !)[5].
Cela montre bien que nous sommes encore loin de la banalisation. On peut révéler l’orientation sexuelle de Florian Philippot mais pas l’identité de son compagnon. Closer ne s’y est d’ailleurs pas risqué ! Le parallèle avec un couple hétéro que certains développent ne tient pas. Pas encore du moins. Quel sens aurait un article de Closer nous annonçant l’hétérosexualité de Hollande illustré d’une photo le montrant en compagnie d’une actrice floutée !
Et si ce parallèle ne tient pas, c’est bien par ce qu’il n’y a toujours pas d’équivalence entre le fait de dire d’une personne qu’elle est hétérosexuelle ou homosexuelle. Le personnel politique qui s’indigne, à grands renforts de tweets scandalisés contre la violation de la vie privée de leur collègue FN, n’en est pas le moins responsable qui se refuse à mettre en œuvre une politique indubitable contre l’homophobie à tous les étages. Mais il est tellement plus simple d’exprimer une solidarité de classe (car même homo, même Front National, Philippot n’en appartient pas moins à cette classe privilégiée de dirigeants politiques professionnels) que de prendre ses responsabilités.
C’est aussi pourquoi contrairement à ce que prétend la rédactrice en chef de Closer, il demeure non anodin de révéler l’homosexualité d’une personne. Parce que quelles que soient les avancées, la société française reste homophobe. Et c’est là qu’est le scandale (pas dans une violation de la vie privée qui n’existe pas). Un scandale qui ne suscite pas d’indignation généralisée.
Suite à cet outing, Florian Philippot subira certainement, conséquences aussi des options politiques qu’il défend, des attaques, sur la base de son orientation sexuelle. Je ne doute pas non plus qu’il trouvera le moyen de les retourner à son profit, et hélas à celui de son parti. Mais en raison de son statut social privilégié, les risques qu’il encourt n’ont rien à voir avec les multiples agressions quotidiennes que vivent des pédés et des gouines anonymes. Ces pédés et ces gouines, elles et eux, ne bénéficieront pas d’un tel élan de solidarité politique.
L’outing est à la fois symptôme et thermomètre. Et la seule chose qu’il traduit en fait, c’est le degré d’homophobie environnementale.



[1] Deux cadres du Front National souhaitaient interdire à Octave Nitkovski de mentionner leur orientation sexuelle dans son livre, Le Front national des villes et le Front national des champs, (éditions Jacob-Duvernet). A propos de cette affaire, on pourra lire l’un de mes posts précédents : http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/12/ce-nest-toujours-pas-de-louting.html
[3]« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
[4] Sur cette question, on pourra se reporter à un de mes précédents textes: http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/06/louting-une-plaisanterie.html
[5] Ainsi la Cour d'appel de Paris a estimé que le droit à l’information du public devait l’emporter sur « l’atteinte à la vie privée » dans le cas de Steeve Briois, compte tenu de son statut de «personnalité politique de premier plan» mais pas dans le cas du second cadre FN qui était mentionné dans le livre de Nitkovski.