vendredi 20 décembre 2013

Ce n’est toujours pas de l’outing !




La Cour d'appel de Paris a considéré ce jeudi 19 décembre 2013 que le public est en droit de connaître l'homosexualité d'un responsable politique lorsque cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général».

Deux cadres du Front National avaient obtenu, la semaine dernière du tribunal de grande instance de Paris qu’il interdise aux éditions Jacob-Duvernet de publier en l'état le livre d’Octave Nitkovski, Le Front national des villes et le Front national des champs, au motif qu’il y était fait mention de leur orientation sexuelle. La Cour d'appel de Paris a pour sa part estimé que le droit à l’information du public devait l’emporter sur « l’atteinte à la vie privée » dans le cas de Steeve Briois, compte tenu de son statut de «personnalité politique de premier plan».

Jusqu’à ce jour, en France, du point de vue juridique, rendre publique l’orientation sexuelle d’une personne sans son autorisation relevait d’une atteinte à la vie privée, celle-ci étant protégée par l'article 9 du code civil[1]. La décision de la Cour d’appel n’est donc pas anodine.

Elle ouvre la voie à de futurs outing tout autant qu’à la volonté de disqualifier des homosexuels.

Mais dans le cas présent, il ne s’agit toujours pas selon moi, d’outing : acte politique qui consiste à révéler délibérément l’homosexualité d’une personnalité publique qui par son silence ou par son action fait le jeu de l’homophobie.[2]

En effet, Octave Nitkovski ne prétend pas mentionner l’homosexualité de ces cadres au prétexte qu’ils contribuent à l’homophobie mais à l’inverse parce qu’il lui semble que leur orientation sexuelle explique que Marine Le Pen n’ait pas associé le Front National aux manifestations contre le Mariage pour tous.

Je ne dis pas qu’il  n’y aurait pas matière – bien au contraire - à développer un argumentaire sur leur appartenance à un parti qui entretient l’homophobie, quels que soient ses clins d’oeils aux gays, mais ce n’est pas ce que Nitkovski a choisi de faire.

Non, ce que Nitkovski affirme, c’est que l’orientation sexuelle de ces deux cadres permettrait de comprendre le positionnement politique de Marine Le Pen, rejoignant ainsi le discours de Minute dans son dossier sur le «lobby gay» au FN[3] quand il titrait « Les Gays de la Marine ». Posant ainsi leur homosexualité en élément constitutif de leurs choix stratégiques. Pose-t-on ce préalable de l’hétérosexualité pour expliquer les idées défendues par d’autres ?

L’avocate de la maison d’édition a beau regretter qu’il n’y ait pas d’équivalence entre le fait de dire d’une personne qu’elle est hétérosexuelle ou homosexuelle[4] et espérer que dans dix ans, ce soit devenu anodin, ajoutant « Quand l'évocation de l'homosexualité suscitera aussi peu de passion que l'hétérosexualité, il y aura une véritable égalité. Mais cela veut dire qu'il faut sortir des positionnements archaïques »[5], ses propos montrent bien qu’à l’heure actuelle, il n’en est rien.

Un hétérosexuel n’encourt aucun danger à afficher son orientation sexuelle. Ce n’est pas aux hétéros de décider pour nous quand et comment nous devrions assumer. De choisir à notre place, les risques que nous sommes prêts à affronter.
L’homophobie n’est pas un fantasme, et même les pédés du FN le savent qui en viennent à en recourir à la justice pour se protéger de cette homophobie qu’ils prétendent nier par ailleurs.

L’outing est une arme. C’est bien pourquoi, toutes les associations et groupes qui ont défendu l’outing ne l’ont jamais fait que sur cette base de ne l’utiliser que contre des personnalités publiques et des personnalités publiques explicitement homophobes.

L’outing pointe une contradiction entre comportement privé et politique servie, il figure la violence de l’aliénation produite par l’homophobie institutionnalisée. L’outing ne renvoie pas l’homosexualité à la honte. Ne sert pas à déconsidérer ou affaiblir une personne.
L’outing ne dénigre pas l’homosexualité mais l’homophobie.

Si Steeve Briois (ou tout autre pédé FN) devait disparaître de la scène politique, éliminé uniquement par l’homophobie, je n’y verrais aucune raison de me réjouir. Même s’appliquant à un pédé d’extrême droite, l’homophobie est nuisible.

Maintenant, je trouve particulièrement ironique que des cadres du Front National aient dû fait appel à la justice pour empêcher la divulgation de leur homosexualité au motif que cette révélation pourrait être problématique dans une circonscription de province alors qu’ils s’efforcent de nous vendre l’homophobie comme une caractéristique de quartiers et de populations qu’ils aiment à désigner à la vindicte populaire.

Néanmoins, cela ne doit pas masquer qu’il demeure une cohérence dans le discours du Front National qui même quand il présente des candidats ouvertement homos, comme dans le 3ème arrondissement de Paris, persiste à ne reconnaître l’homosexualité que comme une affaire privée et personnelle. Différenciant ainsi nettement la visibilité de la revendication politique. Après les pédés de la Manif pour tous, ceux du FN vont défendre à visage découvert des politiques anti-gays en prétendant que leur homosexualité les dédouane de toute homophobie.

D’autre part, pour en revenir à la décision de la Cour d'appel de Paris. Elle représente par certains aspects un progrès par rapport à la situation antérieure, normative, où la seule homosexualité relevait du privé.

Néanmoins, nous pénétrons dans une zone de turbulence où les frontières ne sont plus claires. Entrent dans le champ public, à côté de l’hétérosexualité, l’homosexualité de pédés ou de gouines mariés (de par la publications des bans et du statut marital en de nombreuses occasions), l’homosexualité de ceux et celles qui ont choisi la visibilité publique et désormais, celles de personnalité politique de premier plan, lorsque la justice estime que cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général».

Dans l’idéal, hétéros et homos devraient bénéficier des mêmes protections de leurs vies privées et ce quelle que soit leur orientation sexuelle et l’on cesserait de nous renvoyer au privé dès qu’il est question d’homosexualité.

Vers cet état de fait, il n’existe pas d’autres voies que celle de la visibilité, au quotidien bien sûr, mais surtout de ceux et celles qui jouissent de conditions de vies privilégiées.

Pourtant la visibilité aujourd’hui, ce sont des milliers d’anonymes qui la portent (et pour certains se font casser la gueule dans la rue, chasser de chez leurs parents, perdent leurs amis, voient un boulot s’échapper …) tandis que d’autres qui sont en fait ceux qui ont le moins à perdre attendent dans le confort de leurs placards dorés, de bénéficier des droits arrachés par la mobilisation de ces anonymes.

Tous ces peoples, ces sportifs, ces journalistes, ces dirigeants d’entreprises, ces politiques, qui simplement en ne cachant plus qui ils sont changeraient la vie de gamins en mal de perspectives.

Evidemment, il faudrait aussi et surtout une vraie politique de lutte contre l’homophobie. Le mariage n’en tient pas lieu. A défaut, ce seront les juges qui continueront de décider au cas par cas où se situent les frontières entre privé et public.

Mais sur quels critères ? Il n’est pas question dans la décision de la Cour d'appel de Paris de favoriser le bien vivre des homos mais du droit à l’info. Des hétéros ?

Steeve Briois, homosexuel, aurait convaincu Marine Le Pen de ne pas s’opposer à l’ouverture du Mariage ? La belle affaire ! Le Front National continue d’affirmer qu’il reviendra sur le droit des homosexuels à se marier s’il parvenait au pouvoir. Steeve Briois, personnalité publique de premier plan, défend des politiques homophobes. Qu’en dit la justice ? Est-ce de nature à contribuer au  débat d'intérêt général ? Parce qu’il y en a d’autres, qui se cachent dans des partis plus présentables, alors, allons-y, contribuons au débat !




[1]« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
[2]Pour un historique sur cette question, on pourra se reporter à un de mes précédents articles : http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/06/louting-une-plaisanterie.html

lundi 16 décembre 2013

PMA : 100 députés socialistes portés disparus !






Le 27 novembre 2012, ils étaient 100 (députés socialistes) à s’engager fièrement pour l’égalité des droits et soutenir l’ouverture de la PMA à toutes les femmes. Ils nous parlaient hauteur de débat, égalité, respect des engagements et moquaient une droite archaïque.

Dans leur tribune publiée sur le site de Mediapart[1], ils prétendaient ne pas se satisfaire de l’hypocrisie de la situation actuelle, ne plus vouloir « fermer les yeux sur les prises de risque et sur les inégalités provoquées par les tarifs pratiquées par les cliniques étrangères ». Ils affirmaient adresser un message au monde, rien que ça, en faveur des libertés et de l’égalité des droits.

A l’époque déjà, j’émettais des doutes quant à leur détermination et leur capacité à ne pas céder face aux capitulations prévisibles de l’exécutif[2].

D’autant que dès le lendemain, sans doute effrayés par leur propre audace, certains des signataires, tancés par Matignon, ne nous vendaient plus qu’une promesse de calendrier à accrocher sur nos frigos[3]. C’était de saison.

L’espace d’une journée, ils s’étaient rêvés parlementaires !

Cette année, je leur propose, plutôt que d’écrire une tribune, de s’adresser au Père Noël[4], peut-être dans sa hotte demeure-t-il quelque chose comme du courage, des convictions ? ou tout bêtement un costume de député de gauche ?

En attendant, on s’embrassera sous le gui !



[2] http://gwenfauchois.blogspot.fr/2012/12/mariage-les-deputes-socialistes-se.html : Mariage : les députés socialistes se réveillent enfin. Merci François Hollande ?
[3] http://gwenfauchois.blogspot.fr/2012/12/ils-partirent-100-engages-pour-un.html : Ils partirent 100 … engagés pour un calendrier !
[4]Pour être certain(e) d'obtenir une réponse en retour, les lettres doivent être envoyées avant le 20 décembre. Passé ce délai, la Poste ne garantit pas la réception de cette réponse avant le 25 décembre. On peut aussi préférer envoyer un mail à partir du site : http://www.laposte.fr/pere-noel/

mercredi 4 décembre 2013

Loi contre le système prostitutionnel : une bonne prostituée est un ex-prostituée






Pourquoi la proposition de loi contre le système prostitutionnel déchire-t-elle les mouvements et associations féministes ? Et au-delà pourquoi, provoque-t-elle de tels débats et interrogations dans la société française ? Pourquoi est-elle dénoncée par l’ensemble des associations communautaires et de santé ?

Comment une loi se présentant comme un outil de lutte contre les réseaux de traite et d’esclavage d’une part et de protection des personnes se prostituant ne suscite-t-elle pas le consensus sociétal que ces deux promesses auguraient ?

Confrontée à ces questions, j’ai choisi d’en revenir au texte.

Voici les réponses que j’y ai trouvées. Ou pour être exacte, qui justement n’y sont pas.

Et tout d’abord les prostituées. Les prostituées n’existent pas dans ce texte. Et encore moins les travailleurs du sexe. N’existent que les victimes de la prostitution.

Guy Geoffroy, président de la commission spéciale chargée d’examiner le texte, l’énonce très clairement, « notre proposition de loi … les définit comme des victimes de la traite des êtres humains, exploitées par des réseaux comme c’est le cas pour 85 % ou 90 % d’entre elles. »[1] Quant à celles que ne contrôlent pas les réseaux, elles « se sont trouvées réduites à la prostitution, tout en croyant qu’elles avaient la liberté de le faire. »

De cette définition découle la logique du texte, qui ne prévoit donc pas d’améliorer la protection des personnes qui se prostituent mais de libérer des victimes de la prostitution.

Cette définition induit deux corollaires. Une disqualification de la parole des personnes se prostituant tant qu’elles se livrent à la prostitution et le refus de mesure sécurisant l’exercice de la prostitution.

Ainsi Maud Olivier, rapporteure du texte, n’hésite pas à répondre lors des débats à Sergio Coronado à propos d’un amendement qui ne conditionnerait pas la délivrance d’un titre de séjour à la sortie de prostitution : « Avec ce que vous proposez, monsieur Coronado, ces personnes ne seront nullement incitées à sortir de la prostitution : au contraire, elles pourraient continuer à se prostituer. Les effets de vos amendements seraient donc totalement inverses à ceux que nous recherchons »[2].

Deux articles sont censés néanmoins améliorer la situation des prostituées en tant que telles : l’abolition du racolage, une mesure importante, déjà votée par le Sénat et l’article portant sur l’interdiction d’achat d’acte sexuel. Cet article étant le véritable cœur du texte, j’y reviendrai ultérieurement.
Un amendement du gouvernement est venu s’ajouter lors de l’examen du texte en séance portant sur la responsabilité de l’État à mettre en place une politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées visant à prévenir infections sexuellement transmissibles et les dommages sanitaires, sociaux et psychologiques liés à l’activité prostitutionnelle. Une politique dont les orientations devront encore être définies par un document national de référence approuvé par décret.
On notera cependant que si la mesure d’abolition du racolage public est une nécessité absolue et fait consensus, les prostituées pourront encore être repoussées hors des regards par des arrêtés municipaux visant à interdire ou restreindre leur présence sur la voie publique. Et les forces de police en appeler au code pénal qui punit l’exhibition sexuelle.

Le deuxième aspect qui aurait dû recueillir un soutien consensuel concerne la lutte contre les réseaux de traite et d’esclavage. Là encore ce sont deux articles qui sont censés en améliorer les modalités : encore l’article portant sur l’interdiction d’achat d’acte sexuel qui serait supposé tarir les ressources des dits réseaux et les amener mécaniquement à disparaître (ou à se recycler ?) et l’article premier portant sur l’économie numérique. Cet article dont l’efficacité est contesté, a largement été émondé en séance publique. Désormais il instaure une obligation de signalement des contenus qui relèvent de la prostitution, du proxénétisme et de la traite aux fournisseurs d’accès et aux hébergeurs de sites. Outre qu’il risque plus de pénaliser les prostituées indépendantes que les réseaux qui opèrent à partir de sites situés à l’étranger et sont en capacité de se réorganiser quasi immédiatement, un texte similaire relatif aux sites pédopornographiques attend toujours une publication de ses décrets d’application. Enfin sans moyens supplémentaires affectés à la lutte contre la cybercriminalité, son efficacité restera très faible.

Enfin cet article est le seul du texte à proposer des mesures de lutte contre les réseaux. Sans être particulièrement adepte de politiques répressives, on notera qu’il n’est nulle part fait état dans cette proposition de loi de renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité organisée, ni de renforcer les moyens concrets (effectifs, matériels, budgets) accordés au démantèlement des réseaux mafieux et de leurs multiples articulations y compris financières. Et ceci alors même qu’aussi bien Maud Olivier[3] que Manuel Valls[4] ont reconnu que les moyens actuels ne permettaient pas de « lutter efficacement contre les réseaux de proxénétisme ».
Protection des prostituées, lutte contre les réseaux de traite (j’emploie cette expression mais les promoteurs du texte sont souvent bien plus vague englobant sous le même terme aussi bien des réseaux d’esclavages que des réseaux d’immigration clandestine), en fait le texte de loi repose essentiellement sur la mesure de pénalisation des clients.

Formule magique supposée résoudre l’équation : « Sans clients, il n’y a pas de prostitution ; sans demande, pas de besoin d’organiser le commerce humain »[5] nous dit 

Marie-George Buffet.

En fait, cette proposition de l’interdiction d’achat d’acte sexuel témoigne d’une abdication devant la faible implication de l’Etat dans une lutte concrète contre les réseaux criminels et l’absence de moyens mobilisés. Mais plutôt que de dénoncer cette hypocrisie gouvernementale et cette impuissance si ce n’est organisée, au moins consentie, les promoteurs de la proposition de loi ont préféré s’en accommoder en échange d’un soutien symbolique à leur mesure-phare.

On comprend aisément pourquoi le gouvernement se satisfait volontiers d’un tel déplacement qui le dédouane de ses responsabilités en les imputant aux clients.

Mais quelle peut être l’efficacité de la mesure ? On nous donne en exemple la Suède. Du côté des tenants de la pénalisation des clients, on brandit des constats qui montrent une baisse de l’activité prostitutionnelle (de rue) et des réseaux qui s’exilent. Les opposants à la pénalisation s’appuient sur des études qui démontrent l’inverse. La police suédoise déclare en quelques mois tout et son contraire.

Devant de telles contradictions, la plus élémentaire prudence recommanderait de ne pas nous présenter, comme le font nos députés porteurs de cette loi, l’expérience suédoise comme une réussite probante.

D’autant que deux éléments non négligeables portent à la circonspection. Les échecs patents des politiques de prohibition dans d’autres domaines. Mais surtout l’unanimité du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Onusida, du Conseil National du Sida (CNS), de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) et de la quasi totalité des associations de terrain (Médecins du Monde, Arcat, Act Up-Paris, le Planning familial, Aides, le Strass, Les amis du bus des femmes, Grisélidis, Cabiria, Acceptess – T, OUTrans,  etc) à condamner le principe de la pénalisation du client.

Toutes et tous décrivent les conséquences prévisibles et gravissimes d’une telle mesure : la pénalisation éloignera les personnes qui se prostituent des structures de soins, de dépistages et de prévention, d’accès aux droits. Ne fera qu’accroître isolement, précarité et vulnérabilité. Augmentera les violences auxquelles elles sont exposées. Et loin d’affaiblir l’emprise des réseaux de criminalité accentuera au contraire leur emprise.

En réponse, les partisans de la proposition de loi font valoir que la prostitution n’est plus tolérable et que leur loi comporte un volet social. Mais celui-ci ne concerne en réalité et exclusivement que les prostituées engagées dans un parcours de sortie de la prostitution.

Qui plus est, ce volet est extrêmement pauvre et son financement très incertain.

Pour celles qui sont en situation irrégulière (dont on nous dit qu’elles représentent l’immense majorité) il est prévu de leur accorder des autorisations provisoires de séjour de 6 mois renouvelables sous la responsabilité du préfet qui devra notamment s’assurer qu’il n’y a pas de troubles à l’ordre public, une notion suffisamment vague pour laisser place à toutes les interprétations.

La carte de séjour temporaire de celles qui dénonceraient leurs proxénètes sera désormais renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale. Est-ce à dire qu’elles seront expulsées une fois la procédure terminée ?

En ce qui concerne les ressources, il est prévu de leur accorder une allocation temporaire sur le modèle de l’allocation temporaire d’attente (sensiblement 300€ par mois, soit bien inférieure au seuil de pauvreté) et financée comme le reste des mesures par un fonds dont la Ministre des droits des femmes promet qu’il sera de 20 millions d’euros. Mais en fait, elle admet elle-même ne pas savoir quand il sera voté, dans un projet de loi de finances rectificative (à la loi de finances 2014 d’ors et déjà adoptée en première lecture et qui ne prévoit pas ce fonds) ou dans  le projet de loi de finances pour 2015 ? et si ce n’était pas le cas, il faudrait se contenter de crédits dix fois moindres ! ou de compter sur les contraventions des clients et les saisies des biens des proxénètes !

En définitive, cette loi qui prétend lutter contre les réseaux de traite, protéger les prostituées et favoriser la sortie de prostitution pour celles qui le désirent ne fait que le prétendre.

Elle ne mobilise aucun moyen concret de lutte contre les réseaux d’esclavage et entretient la confusion entre réseaux de traite et réseaux d’immigration. Elle ne se propose en aucune façon de lutter contre les conditions sociales et politiques qui favorisent le développement de la prostitution.

Elle abroge le racolage, mais persiste à encourager la répression et la stigmatisation des prostituées. Elle se refuse à toute politique garantissant réellement l’accès aux droits aussi bien aux personnes se prostituant qu’à celles tentant de quitter la prostitution et oppose artificiellement ces deux objectifs comme s’il n’était pas possible de protéger à la fois les unes et les autres. Il n’existe pas une prostitution mais des prostitutions.

Les prostituées, les travailleurs du sexe, ne doivent pas être les premières victimes de la lutte contre la prostitution, commençons par les écouter.



[1] http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140088.asp
[2] http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140089.asp
[3]Rapport de Mme Maud Olivier, au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi (n° 1437), renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1558.asp

jeudi 31 octobre 2013

Adèle bleu sec : lesbiennes en mode mineur




Posons d’entrée cette donnée, je n’ai pas vu La vie d’Adèle. Et je n’ai pas l’intention de la voir. Pour des raisons qui me sont très personnelles et n’ont pas grand-chose à voir avec les polémiques. Il se trouve que je suis plutôt adepte d’un cinéma fondé sur l’art de l’ellipse aux antipodes de la méthode Kechiche. Qui plus est, là encore à titre individuel, si un scénario mettant en scène des lesbiennes adultes assumant leur sexualité m’aurait sans doute intriguée, je suis lasse des histoires d’enfants et/ou d’initiation.

Faute de grives ? Je n’ai pas pris goût aux merles.

Donc je me moque de Kechiche. Et de La vie d’Adèle. Non sujets pour moi. Mais à l’origine de nombreuses prises de paroles de lesbiennes. Ce sont ces réactions et discussions que j’ai vu se multiplier et accompagner la sortie du film qui m’intéressent.

Non pas tant en ce qu’elles disaient de l’objet film, mais plutôt par ce qu’elles suscitaient de production de discours, de réflexions et de représentations de lesbiennes sur leur sexualité et l’image qui en est projetée. Où et comment s’articulent ces positions, voilà qui m’excite davantage que le film.

Nombre de critiques qui se sont élevées exprimaient un sentiment de trahison. Fondé d’une part sur l’écart entre le film et la bande dessinée[1] dont s’est inspiré le cinéaste et d’autre part sur les différences produites par un regard hétérosexuel masculin en lieu et place d’un point de vue homosexuel féminin.

Ce sentiment me semble-t-il était inévitable. Comment un réalisateur pourrait-il faire autre chose que de s’approprier son sujet et parler de là où il regarde le monde ?

Que Kechiche fasse des choix d'homme hétéro, je ne sais comment il pourrait autrement. Pour ce qui est de l’impact de ces choix sur l’objet-film et la qualité de celui-ci, j’en laisse l’analyse à celles et ceux qui l’ont vu.

En revanche, d’un point plus général, trois éléments viennent à mon sens nourrir la frustration des lesbiennes déçues.

1/ la rareté des images et des représentations des lesbiennes dans les circuits grand public

2/ la quasi-inexistence de représentations produites par des lesbiennes dans ces mêmes circuits. Et comme l’a très bien pointé, Emilie Jouvet, "Ce qui est tabou encore aujourd’hui n’est pas le sexe, mais bien les images, les films et les discours spécifiques créés par les femmes (et les minorités) sur leurs propres sexualités."[2]

3/ La prétention revendiquée par Kéchiche au réalisme, jusque dans des scènes de cul.

Or non seulement, les images produites par des lesbiennes sont rares mais en en revanche les images hétéro porno pullulent. Dès lors, cette question de la représentation revêt une charge affective et politique indéniable. Et encore une fois, la représentation de leur sexualité – ce qui revient pour beaucoup de femmes à leur intimité – n’est portée à l’écran qu’à travers un regard, et donc des fantasmes masculins.

L’ambition affichée de coller au réel sème un peu plus le trouble, car sans même questionner la crédibilité de ces scènes (dont encore une fois je ne dirais rien sans les avoir vues), du réel au vrai, la frontière est faible.

Rapidement, c’est à l’aune de sa vérité, à travers son expérience et son histoire que chacune est tentée d’évaluer la représentativité de la mise en scène du désir et de sa réalisation.

Est-ce qu’un point de vue lesbien aurait fait la différence" feignait de s’interroger Marie-Hélène Bourcier dans sa chronique radio[3] pour Bang Bang le mag des genres[4] avant de répondre par l’affirmative. Sans aucun doute, tant dans le travail cinématographique que sur cette question de la représentativité. Ainsi que Marie-Hélène l’argumentait "20 ans de festivals lesbiens et certains films grand public américains" notamment ceux qui se sont attachés à intégrer des lesbiennes à leur projet, en ont fait la preuve.

Pas forcément mieux, mais différent c’est certain. Une production quelle qu’elle soit porte la marque de son auteur. Impossible de ne pas lier une œuvre aux conditions qui ont rendu possible sa production. Autant l’hétérosexualité masculine du réalisateur ne peut, en soi, discréditer son travail, autant elle ne peut être sans influence, négative comme positive. Comment se traduit-elle dans le film, il ne serait pas inintéressant que les critiques nous le montrent.

Demeure qu’avec une réalisatrice lesbienne aux commandes du projet, la question de la légitimité de ses choix se poserait en d’autres termes. Tout autant objet de critiques, d’élans et de déceptions, le film aurait été renvoyé à la singularité de son auteur. Regard d’une lesbienne et non des lesbiennes.

Or, dans le cas de La vie d’Adèle, à cette question de légitimité sont venues s’ajouter les sorties médiatiques de Léa Seydoux[5] se démarquant de son rôle et une campagne de promotion centrée sur l’universalisme du film. Le mot lesbienne, comme le remarquait fort justement la journaliste Alice Coffin, n’étant quasi jamais prononcé.

Additionnons le fait que la BD dont s’est inspiré le film, était, elle, écrite par une lesbienne, que cette BD avait connu un franc succès auprès des gouines et que le film s’en éloigne assez librement, et nombre d’éléments sont réunis pour expliquer la fréquente manifestation dans les commentaires d’un sentiment de dépossession.

Un sentiment encore nourri par la conviction qu’un projet similaire présenté par une lesbienne n’aurait sans doute pas trouvé les appuis et les financements nécessaires pour voir le jour. Le fait d’être porté par un mâle hétéro garantissant aux yeux des producteurs un pseudo universalisme, là où le projet d’une réalisatrice sera renvoyé au particularisme.

Et on en revient à une situation que les gouines connaissent bien : quand la société française ne les rejette pas purement et simplement dans l’ombre, c’est pour ne leur accorder que de se voir à travers une image façonnée par d’autres qu’elles.

Les politiques de production culturelle sont ainsi établies qu’elles les excluent des processus de création, leur interdisant de fait de participer à leur propre représentation et confiant à des hétérosexuels la tâche de montrer ce qu’est une lesbienne. C’est-à-dire en réalité, même avec les meilleurs sentiments du monde, ce qu’imagine un hétéro d’une lesbienne ou ce qu’il entend qu’elle soit.

Bref une mineure. Car comment appeler autrement une personne dont on juge que d’autres qu’elle-même sont mieux qualifiés pour parler en son nom ?

Une autre information apporte du grain à ce moulin de la minoration. Que penser de la décision du CNC[6] de n’interdire La vie d’Adèle qu’aux moins de 12 ans (avec avertissement) quand les critères habituels (sexe masculin en érection, sexes féminins en gros plan, scènes de sexe explicites) pris en compte par la commission de classification du CNC auraient dû plus logiquement conduire à une classification d’interdiction aux moins de 16 ans ?

Interrogé par Ariane Nicolas (pour son blog Contre Champ[7] consacré au cinéma), Gauthier Jurgensen, membre de la commission du CNC justifie ainsi cette décision : "Le spectateur est effectivement un peu piégé par ces images [les scènes de sexe]. Après, nous avons la garantie qu'il s'agit de deux adultes consentantes [sic], et qu'elles ont simulé, d'où l'interdiction aux moins de 12 ans. L'avertissement signale principalement la longueur des scènes de sexe."

Arguments pour le moins surprenants ! Questionné sur la crudité des scènes, Gauthier Jurgensen répond consentement. Par quel raccourci passe-t-on de scènes de sexe explicites à la question du viol ?

N’y aurait-il pas là l’irruption d’un impensé têtu ? La conviction au fond que deux femmes ne peuvent librement coucher ensemble ? Ou tout au moins, une telle difficulté à l’admettre qu’il faut en vérifier la réalité ? Heureusement, ce n’est que simulation !

Plus consternant encore, le consentement semblant se rapporter dans la réponse de Gauthier Jurgensen aux actrices et non aux personnages, j’ose espérer qu’il a conscience, puisqu’il semble dans son esprit nous parler de viol et non de représentation du viol, qu’au cas où les actrices n’auraient pas été consentantes, il s’agirait d’un crime relevant de la justice et non de la classification d’un film.

Mais revenons à cette classification, pourquoi La vie d’Adèle est-elle interdite aux moins de 12 ans quand cet été, L'Inconnu du lac d'Alain Guiraudie s’est vu gratifié d’une interdiction aux moins de 16 ?

Nul machisme là-dedans nous assure Jurgensen. Simplement, les scènes de sexe de l’Inconnu du lac sont "clairement non simulées". Tout est dans le clairement !

Il ne s’agit pas de protéger le jeune spectateur/trice de ce qu’il voit, mais de la réalité de ce qu’il voit.

Il n’y a donc pas de problème à le laisser regarder des scènes de sexe entre deux femmes tant qu’il ne peut imaginer que ce qu’il voit pourrait être vrai. Voilà la "différence fondamentale"selon le CNC.

Et pour bien nous persuader qu’il n’y a rien de sexiste dans cette différence de traitement entre les deux films, et surtout entre les regards posés sur la nudité et la sexualité des femmes et celles des hommes, le représentant du CNC en appelle à l’amour.

Il s’agirait de ne pas confondre un film sur la sexualité, L'Inconnu du lac, avec sa "vision brutale du sexe" et La vie d’Adèle qui "raconte la découverte de l'amour d'une façon plus générale."

Ah l’amour ! capote de l’androcentrisme !

(à suivre) …


En attendant, vous pouvez vous rendre ce week-end à Cineffable :

Le 25e Festival international du film lesbien & féministe de Paris :
Quand les lesbiennes se font du cinéma

du mercredi 30 octobre au dimanche 3 novembre 2013
23/25 rue Emile Zola - Montreuil 93100
Métro Robespierre
http://www.cineffable.fr/fr/f_prog.htm




[1] Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude, Glénat, mars 2010
[5] in Grazia
[6] Centre national du cinéma et de l’image animée
[7] http://blog.francetvinfo.fr/actu-cine/2013/10/22/sexe-pourquoi-la-vie-dadele-est-seulement-interdit-aux-moins-de-12-ans.html

lundi 14 octobre 2013

La mémoire, une arme au présent





Récemment le Centre gai et lesbien a sollicité mon témoignage quant à ses 20 ans, un appel à voyager dans ma mémoire, quasi concomitant à la lecture d’un article de Minorités[1] consacré à une exposition sur les cinq premières années du sida à New York.

Se souvenir !

Pour beaucoup de pédés et de gouines, l’interminable séquence mariage pour tous fut pénible en raison notamment du déversement massif de boues homophobes qui l’accompagna. Brutal ou larvé, il fut quasi quotidien sur près d’une année. Qu’il nous ait pris par surprise ou confirmé nos pires intuitions, peu d’entre nous peuvent prétendre ne pas en avoir été affectés.

Et le mardi 23 avril, tandis que l’Assemblée votait ce fameux texte au sujet duquel il y a tant à redire, une partie de la pédalerie française un œil sur ses écrans, l’autre sur les réseaux sociaux, échangeait en direct ses sentiments.

Soulagement, satisfaction, émotion. Larmes pour certains. Et pas toujours de bonheur. Dans l’ombre de cet instant, se tenaient de nombreux témoins disparus. Cette victoire, car à n’en pas douter, c’en était une, ses opposants l’ont voulu ainsi, n’aurait jamais été possible sans leur courage, leur volonté de se battre et leur refus du silence. Je veux parler des premiers militants contre le sida. Je veux parler de nos morts.

Leur absence nous déchire toujours le cœur. Et le silence qui entoure leurs combats est une insulte à la bravoure dont ils ont fait preuve. Aux souffrances endurées. Aux victoires qu’ils ont remportées. Aux droits qu’ils ont conquis.

Il y avait ce 23 avril, dans ces échanges pudiques de souvenirs, une dimension intime bien sûr, personnelle, mais aussi la conscience d’une douleur commune. Si difficile à extérioriser. Au point d’en négliger parfois que nous n’avons pas le droit de laisser le voile de l’oubli ensevelir ces hommes et ces femmes qui de leur vivant ont refusé qu’on les emmure dans la dissimulation.

Une exposition comme celle de New York ? A Paris ? Silence. Delanoë n’a rien vu à Paris. Rien.

Si nos dirigeants ne font preuve d’aucune volonté d’honorer la mémoire de ces combattants, s’ils ne souhaitent pas exposer combien l’engagement des réprouvés a permis de changer la nature de la bataille et afficher que c’est dans la lutte que se sont arrachés les progrès, thérapeutiques, sociaux, et juridiques, c’est parce qu’ils souhaitent nous raconter une autre histoire.

Une histoire où nous devrions nos droits à leur grande mansuétude, une histoire verticale où du haut de leur position, les politiques accordent et les citoyens expriment leur gratitude, tandis que des capitaines d’industrie s’enrichissent sans autre devoir que les profits de leurs pairs.

Une histoire dans laquelle, ils imposent leurs experts, verrouillent les cadres de discussion et dictent leur agenda. Font passer l’orthodoxie pour l’unique possible.

C’est à cette pratique du pouvoir, conservatrice et confiscatoire que s’est opposée une conception de la politique à la première personne, liant émancipation individuelle et émancipation collective, coalition des minorités pour lutter contre les discriminations et les inégalités structurelles.

C’est à ce jeu de rôles bien rodé que les malades et leurs proches se sont attaqués. Exigeant une redistribution des responsabilités et des engagements.

Refusant un système de valorisation du bénévolat contingenté à l’accompagnement des malades. Un système de classe, sexué, racisé, où des hommes hétérosexuels, blancs et riches s’accaparent le pouvoir tandis que femmes et exclus travaillent gratuitement à compenser le coût de leurs décisions.

Le sida, de fait, a amplifié le mouvement d’émancipation politique des gays. Confrontés à une épidémie dont l’Etat (et ce quelle que soit la couleur politique des gouvernements) ne prenait pas la mesure, confrontés à des enjeux qui les dépassaient individuellement et dont les conséquences étaient directement mortelles, les gays ont dû s’unir et se politiser. Pour lutter contre la maladie et sa propagation, ils n’avaient pas d’autre choix que de combattre les hiérarchies héritées du système politique, du pouvoir médical, et de l’ordre hétéropatriarcal.

Cette mobilisation ne s’est pas contentée d’apporter une réponse identitaire. Elle a également fait preuve de solidarité et s’est efforcée de répondre à l’échec patent d’un universalisme d’apparence par des stratégies concrètes d’alliances opposant à une prétendue fatalité et à la démission des responsables de la santé publique, la dénonciation de causes structurelles et une volonté transformatrice.

D’aucuns aujourd’hui souhaiteraient, jusque dans nos rangs se démarquer de cette histoire, ou du moins la relativiser, comme si désormais elle les encombrait.

J’ai en mémoire par exemple un Stéphane Martinet, aujourd’hui conseiller de Paris et adjoint au Maire du 11ème arrondissement, écrivant sur le site de Yagg ce printemps, qu’Act Up n’avait historiquement pas apporté grand chose tout compte fait.

La seule accélération de la mise à disposition des malades des antiprotéases en 1996 suffirait à lui répondre, sans laquelle nombre de mariage qu’il entend célébrer aujourd’hui n’aurait jamais eu lieu, les futurs mariés morts en ces funestes années.

N’en déplaise à ceux qui souhaitent s’en distancier, s’il est important de ne pas confondre lutte contre le sida et revendications LGBT, ne pas nier leur articulation ne l’est pas moins.

Politiquement, se souvenir de l’histoire de la lutte contre l’épidémie dans ce pays, c’est aussi se souvenir que nous avons déjà dû batailler très durement contre des gouvernements de gauche pour qu’ils prennent les mesures qui s’imposaient.

Se souvenir de cette lutte, c’est se revendiquer acteur d’un processus de transformation sociale et non, en récipiendaire de quelques privilèges accordés au compte-goutte.

Se souvenir de cette lutte, c’est refuser les excuses circonstanciées pour justifier de l’exclusion de populations désignées comme responsables par essence de leur statut d’exception.

En traitant de nos revendications en autant de sujets indépendants les uns des autres, le Parti socialiste, entend se dispenser de réformes en profondeur des mécanismes d’exclusion qui structurent la société. Il entend ne traiter que de symptômes, sans jamais s’attaquer à la source.

Et peu importent les privilèges dont on pense pouvoir profiter individuellement, accepter de surseoir à nos revendications revient à affirmer qu’il nous est acceptable que des droits ouverts à d’autres nous soient refusés au prétexte de notre orientation sexuelle. Quand nous sommes les premiers à accepter l’homophobie, il n’est pas très étonnant que d’autres la trouvent légitime, y compris dans des versions plus brutales.

En agissant ainsi, non seulement nous nous portons préjudice à nous-mêmes, mais nous nous désolidarisons de tous ceux qui ne renoncent pas à exiger des politiques une véritable volonté réformatrice.

Les associations de lutte contre le sida ont toujours posé la solidarité entre exclus et l’articulation de leurs revendications au cœur de leur mobilisation, elles n’y ont souvent réussi que partiellement, mais elles n’ont jamais dévié de cette certitude : c’est dans le respect et la fierté de nos identités respectives que nous pouvions agir au profit de tous.

Alors commençons par respecter notre propre histoire.

Ne nous en laissons pas déposséder par ceux qui voudraient l’effacer ou la réécrire pour justifier leurs désengagements.

Il ne s’agit pas de nous inventer des héros. Encore moins de bâtir des mythes, ce qui reviendrait à enfermer ces hommes et ces femmes qui se sont battus dans les placards de l’histoire. Des placards dorés mais des placards quand même.

Il s’agit simplement de nous saisir des outils qu’ils nous ont légués, eux qui avaient choisi de ne pas se taire, pour à notre tour, refuser que d’autres décident à notre place de nos vies.

A l’heure où l’état revoit à la baisse les crédits de lutte contre le sida en se servant des compétences acquises par les associations pour leur faire porter la charge de la lutte,

A l’heure où le Parti socialiste entend honorer ses engagements de campagne non en se référant à des principes mais au gré de son évaluation climatologique des rapports de forces politiques,

A l’heure où un ministre de l’intérieur qui se prétend de gauche, à l’exemple de ses prédécesseurs fait expulser sans vergogne des malades étrangers et assigne des vocations à des populations en fonction de leur origine,

Ne pas oublier les combats antérieurs aux nôtres, c’est aussi nous permettre d’en évaluer les apports comme les limites, nous permettre d’inventer les ressources nécessaires aux combats d’aujourd’hui.



[1] http://www.minorites.org/index.php/2-la-revue/1505-aids-in-new-york-lexposition-inesperee.html