vendredi 20 décembre 2013

Ce n’est toujours pas de l’outing !




La Cour d'appel de Paris a considéré ce jeudi 19 décembre 2013 que le public est en droit de connaître l'homosexualité d'un responsable politique lorsque cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général».

Deux cadres du Front National avaient obtenu, la semaine dernière du tribunal de grande instance de Paris qu’il interdise aux éditions Jacob-Duvernet de publier en l'état le livre d’Octave Nitkovski, Le Front national des villes et le Front national des champs, au motif qu’il y était fait mention de leur orientation sexuelle. La Cour d'appel de Paris a pour sa part estimé que le droit à l’information du public devait l’emporter sur « l’atteinte à la vie privée » dans le cas de Steeve Briois, compte tenu de son statut de «personnalité politique de premier plan».

Jusqu’à ce jour, en France, du point de vue juridique, rendre publique l’orientation sexuelle d’une personne sans son autorisation relevait d’une atteinte à la vie privée, celle-ci étant protégée par l'article 9 du code civil[1]. La décision de la Cour d’appel n’est donc pas anodine.

Elle ouvre la voie à de futurs outing tout autant qu’à la volonté de disqualifier des homosexuels.

Mais dans le cas présent, il ne s’agit toujours pas selon moi, d’outing : acte politique qui consiste à révéler délibérément l’homosexualité d’une personnalité publique qui par son silence ou par son action fait le jeu de l’homophobie.[2]

En effet, Octave Nitkovski ne prétend pas mentionner l’homosexualité de ces cadres au prétexte qu’ils contribuent à l’homophobie mais à l’inverse parce qu’il lui semble que leur orientation sexuelle explique que Marine Le Pen n’ait pas associé le Front National aux manifestations contre le Mariage pour tous.

Je ne dis pas qu’il  n’y aurait pas matière – bien au contraire - à développer un argumentaire sur leur appartenance à un parti qui entretient l’homophobie, quels que soient ses clins d’oeils aux gays, mais ce n’est pas ce que Nitkovski a choisi de faire.

Non, ce que Nitkovski affirme, c’est que l’orientation sexuelle de ces deux cadres permettrait de comprendre le positionnement politique de Marine Le Pen, rejoignant ainsi le discours de Minute dans son dossier sur le «lobby gay» au FN[3] quand il titrait « Les Gays de la Marine ». Posant ainsi leur homosexualité en élément constitutif de leurs choix stratégiques. Pose-t-on ce préalable de l’hétérosexualité pour expliquer les idées défendues par d’autres ?

L’avocate de la maison d’édition a beau regretter qu’il n’y ait pas d’équivalence entre le fait de dire d’une personne qu’elle est hétérosexuelle ou homosexuelle[4] et espérer que dans dix ans, ce soit devenu anodin, ajoutant « Quand l'évocation de l'homosexualité suscitera aussi peu de passion que l'hétérosexualité, il y aura une véritable égalité. Mais cela veut dire qu'il faut sortir des positionnements archaïques »[5], ses propos montrent bien qu’à l’heure actuelle, il n’en est rien.

Un hétérosexuel n’encourt aucun danger à afficher son orientation sexuelle. Ce n’est pas aux hétéros de décider pour nous quand et comment nous devrions assumer. De choisir à notre place, les risques que nous sommes prêts à affronter.
L’homophobie n’est pas un fantasme, et même les pédés du FN le savent qui en viennent à en recourir à la justice pour se protéger de cette homophobie qu’ils prétendent nier par ailleurs.

L’outing est une arme. C’est bien pourquoi, toutes les associations et groupes qui ont défendu l’outing ne l’ont jamais fait que sur cette base de ne l’utiliser que contre des personnalités publiques et des personnalités publiques explicitement homophobes.

L’outing pointe une contradiction entre comportement privé et politique servie, il figure la violence de l’aliénation produite par l’homophobie institutionnalisée. L’outing ne renvoie pas l’homosexualité à la honte. Ne sert pas à déconsidérer ou affaiblir une personne.
L’outing ne dénigre pas l’homosexualité mais l’homophobie.

Si Steeve Briois (ou tout autre pédé FN) devait disparaître de la scène politique, éliminé uniquement par l’homophobie, je n’y verrais aucune raison de me réjouir. Même s’appliquant à un pédé d’extrême droite, l’homophobie est nuisible.

Maintenant, je trouve particulièrement ironique que des cadres du Front National aient dû fait appel à la justice pour empêcher la divulgation de leur homosexualité au motif que cette révélation pourrait être problématique dans une circonscription de province alors qu’ils s’efforcent de nous vendre l’homophobie comme une caractéristique de quartiers et de populations qu’ils aiment à désigner à la vindicte populaire.

Néanmoins, cela ne doit pas masquer qu’il demeure une cohérence dans le discours du Front National qui même quand il présente des candidats ouvertement homos, comme dans le 3ème arrondissement de Paris, persiste à ne reconnaître l’homosexualité que comme une affaire privée et personnelle. Différenciant ainsi nettement la visibilité de la revendication politique. Après les pédés de la Manif pour tous, ceux du FN vont défendre à visage découvert des politiques anti-gays en prétendant que leur homosexualité les dédouane de toute homophobie.

D’autre part, pour en revenir à la décision de la Cour d'appel de Paris. Elle représente par certains aspects un progrès par rapport à la situation antérieure, normative, où la seule homosexualité relevait du privé.

Néanmoins, nous pénétrons dans une zone de turbulence où les frontières ne sont plus claires. Entrent dans le champ public, à côté de l’hétérosexualité, l’homosexualité de pédés ou de gouines mariés (de par la publications des bans et du statut marital en de nombreuses occasions), l’homosexualité de ceux et celles qui ont choisi la visibilité publique et désormais, celles de personnalité politique de premier plan, lorsque la justice estime que cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat d'intérêt général».

Dans l’idéal, hétéros et homos devraient bénéficier des mêmes protections de leurs vies privées et ce quelle que soit leur orientation sexuelle et l’on cesserait de nous renvoyer au privé dès qu’il est question d’homosexualité.

Vers cet état de fait, il n’existe pas d’autres voies que celle de la visibilité, au quotidien bien sûr, mais surtout de ceux et celles qui jouissent de conditions de vies privilégiées.

Pourtant la visibilité aujourd’hui, ce sont des milliers d’anonymes qui la portent (et pour certains se font casser la gueule dans la rue, chasser de chez leurs parents, perdent leurs amis, voient un boulot s’échapper …) tandis que d’autres qui sont en fait ceux qui ont le moins à perdre attendent dans le confort de leurs placards dorés, de bénéficier des droits arrachés par la mobilisation de ces anonymes.

Tous ces peoples, ces sportifs, ces journalistes, ces dirigeants d’entreprises, ces politiques, qui simplement en ne cachant plus qui ils sont changeraient la vie de gamins en mal de perspectives.

Evidemment, il faudrait aussi et surtout une vraie politique de lutte contre l’homophobie. Le mariage n’en tient pas lieu. A défaut, ce seront les juges qui continueront de décider au cas par cas où se situent les frontières entre privé et public.

Mais sur quels critères ? Il n’est pas question dans la décision de la Cour d'appel de Paris de favoriser le bien vivre des homos mais du droit à l’info. Des hétéros ?

Steeve Briois, homosexuel, aurait convaincu Marine Le Pen de ne pas s’opposer à l’ouverture du Mariage ? La belle affaire ! Le Front National continue d’affirmer qu’il reviendra sur le droit des homosexuels à se marier s’il parvenait au pouvoir. Steeve Briois, personnalité publique de premier plan, défend des politiques homophobes. Qu’en dit la justice ? Est-ce de nature à contribuer au  débat d'intérêt général ? Parce qu’il y en a d’autres, qui se cachent dans des partis plus présentables, alors, allons-y, contribuons au débat !




[1]« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
[2]Pour un historique sur cette question, on pourra se reporter à un de mes précédents articles : http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/06/louting-une-plaisanterie.html

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