mercredi 4 décembre 2013

Loi contre le système prostitutionnel : une bonne prostituée est un ex-prostituée






Pourquoi la proposition de loi contre le système prostitutionnel déchire-t-elle les mouvements et associations féministes ? Et au-delà pourquoi, provoque-t-elle de tels débats et interrogations dans la société française ? Pourquoi est-elle dénoncée par l’ensemble des associations communautaires et de santé ?

Comment une loi se présentant comme un outil de lutte contre les réseaux de traite et d’esclavage d’une part et de protection des personnes se prostituant ne suscite-t-elle pas le consensus sociétal que ces deux promesses auguraient ?

Confrontée à ces questions, j’ai choisi d’en revenir au texte.

Voici les réponses que j’y ai trouvées. Ou pour être exacte, qui justement n’y sont pas.

Et tout d’abord les prostituées. Les prostituées n’existent pas dans ce texte. Et encore moins les travailleurs du sexe. N’existent que les victimes de la prostitution.

Guy Geoffroy, président de la commission spéciale chargée d’examiner le texte, l’énonce très clairement, « notre proposition de loi … les définit comme des victimes de la traite des êtres humains, exploitées par des réseaux comme c’est le cas pour 85 % ou 90 % d’entre elles. »[1] Quant à celles que ne contrôlent pas les réseaux, elles « se sont trouvées réduites à la prostitution, tout en croyant qu’elles avaient la liberté de le faire. »

De cette définition découle la logique du texte, qui ne prévoit donc pas d’améliorer la protection des personnes qui se prostituent mais de libérer des victimes de la prostitution.

Cette définition induit deux corollaires. Une disqualification de la parole des personnes se prostituant tant qu’elles se livrent à la prostitution et le refus de mesure sécurisant l’exercice de la prostitution.

Ainsi Maud Olivier, rapporteure du texte, n’hésite pas à répondre lors des débats à Sergio Coronado à propos d’un amendement qui ne conditionnerait pas la délivrance d’un titre de séjour à la sortie de prostitution : « Avec ce que vous proposez, monsieur Coronado, ces personnes ne seront nullement incitées à sortir de la prostitution : au contraire, elles pourraient continuer à se prostituer. Les effets de vos amendements seraient donc totalement inverses à ceux que nous recherchons »[2].

Deux articles sont censés néanmoins améliorer la situation des prostituées en tant que telles : l’abolition du racolage, une mesure importante, déjà votée par le Sénat et l’article portant sur l’interdiction d’achat d’acte sexuel. Cet article étant le véritable cœur du texte, j’y reviendrai ultérieurement.
Un amendement du gouvernement est venu s’ajouter lors de l’examen du texte en séance portant sur la responsabilité de l’État à mettre en place une politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées visant à prévenir infections sexuellement transmissibles et les dommages sanitaires, sociaux et psychologiques liés à l’activité prostitutionnelle. Une politique dont les orientations devront encore être définies par un document national de référence approuvé par décret.
On notera cependant que si la mesure d’abolition du racolage public est une nécessité absolue et fait consensus, les prostituées pourront encore être repoussées hors des regards par des arrêtés municipaux visant à interdire ou restreindre leur présence sur la voie publique. Et les forces de police en appeler au code pénal qui punit l’exhibition sexuelle.

Le deuxième aspect qui aurait dû recueillir un soutien consensuel concerne la lutte contre les réseaux de traite et d’esclavage. Là encore ce sont deux articles qui sont censés en améliorer les modalités : encore l’article portant sur l’interdiction d’achat d’acte sexuel qui serait supposé tarir les ressources des dits réseaux et les amener mécaniquement à disparaître (ou à se recycler ?) et l’article premier portant sur l’économie numérique. Cet article dont l’efficacité est contesté, a largement été émondé en séance publique. Désormais il instaure une obligation de signalement des contenus qui relèvent de la prostitution, du proxénétisme et de la traite aux fournisseurs d’accès et aux hébergeurs de sites. Outre qu’il risque plus de pénaliser les prostituées indépendantes que les réseaux qui opèrent à partir de sites situés à l’étranger et sont en capacité de se réorganiser quasi immédiatement, un texte similaire relatif aux sites pédopornographiques attend toujours une publication de ses décrets d’application. Enfin sans moyens supplémentaires affectés à la lutte contre la cybercriminalité, son efficacité restera très faible.

Enfin cet article est le seul du texte à proposer des mesures de lutte contre les réseaux. Sans être particulièrement adepte de politiques répressives, on notera qu’il n’est nulle part fait état dans cette proposition de loi de renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre la criminalité organisée, ni de renforcer les moyens concrets (effectifs, matériels, budgets) accordés au démantèlement des réseaux mafieux et de leurs multiples articulations y compris financières. Et ceci alors même qu’aussi bien Maud Olivier[3] que Manuel Valls[4] ont reconnu que les moyens actuels ne permettaient pas de « lutter efficacement contre les réseaux de proxénétisme ».
Protection des prostituées, lutte contre les réseaux de traite (j’emploie cette expression mais les promoteurs du texte sont souvent bien plus vague englobant sous le même terme aussi bien des réseaux d’esclavages que des réseaux d’immigration clandestine), en fait le texte de loi repose essentiellement sur la mesure de pénalisation des clients.

Formule magique supposée résoudre l’équation : « Sans clients, il n’y a pas de prostitution ; sans demande, pas de besoin d’organiser le commerce humain »[5] nous dit 

Marie-George Buffet.

En fait, cette proposition de l’interdiction d’achat d’acte sexuel témoigne d’une abdication devant la faible implication de l’Etat dans une lutte concrète contre les réseaux criminels et l’absence de moyens mobilisés. Mais plutôt que de dénoncer cette hypocrisie gouvernementale et cette impuissance si ce n’est organisée, au moins consentie, les promoteurs de la proposition de loi ont préféré s’en accommoder en échange d’un soutien symbolique à leur mesure-phare.

On comprend aisément pourquoi le gouvernement se satisfait volontiers d’un tel déplacement qui le dédouane de ses responsabilités en les imputant aux clients.

Mais quelle peut être l’efficacité de la mesure ? On nous donne en exemple la Suède. Du côté des tenants de la pénalisation des clients, on brandit des constats qui montrent une baisse de l’activité prostitutionnelle (de rue) et des réseaux qui s’exilent. Les opposants à la pénalisation s’appuient sur des études qui démontrent l’inverse. La police suédoise déclare en quelques mois tout et son contraire.

Devant de telles contradictions, la plus élémentaire prudence recommanderait de ne pas nous présenter, comme le font nos députés porteurs de cette loi, l’expérience suédoise comme une réussite probante.

D’autant que deux éléments non négligeables portent à la circonspection. Les échecs patents des politiques de prohibition dans d’autres domaines. Mais surtout l’unanimité du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de l’Onusida, du Conseil National du Sida (CNS), de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) et de la quasi totalité des associations de terrain (Médecins du Monde, Arcat, Act Up-Paris, le Planning familial, Aides, le Strass, Les amis du bus des femmes, Grisélidis, Cabiria, Acceptess – T, OUTrans,  etc) à condamner le principe de la pénalisation du client.

Toutes et tous décrivent les conséquences prévisibles et gravissimes d’une telle mesure : la pénalisation éloignera les personnes qui se prostituent des structures de soins, de dépistages et de prévention, d’accès aux droits. Ne fera qu’accroître isolement, précarité et vulnérabilité. Augmentera les violences auxquelles elles sont exposées. Et loin d’affaiblir l’emprise des réseaux de criminalité accentuera au contraire leur emprise.

En réponse, les partisans de la proposition de loi font valoir que la prostitution n’est plus tolérable et que leur loi comporte un volet social. Mais celui-ci ne concerne en réalité et exclusivement que les prostituées engagées dans un parcours de sortie de la prostitution.

Qui plus est, ce volet est extrêmement pauvre et son financement très incertain.

Pour celles qui sont en situation irrégulière (dont on nous dit qu’elles représentent l’immense majorité) il est prévu de leur accorder des autorisations provisoires de séjour de 6 mois renouvelables sous la responsabilité du préfet qui devra notamment s’assurer qu’il n’y a pas de troubles à l’ordre public, une notion suffisamment vague pour laisser place à toutes les interprétations.

La carte de séjour temporaire de celles qui dénonceraient leurs proxénètes sera désormais renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale. Est-ce à dire qu’elles seront expulsées une fois la procédure terminée ?

En ce qui concerne les ressources, il est prévu de leur accorder une allocation temporaire sur le modèle de l’allocation temporaire d’attente (sensiblement 300€ par mois, soit bien inférieure au seuil de pauvreté) et financée comme le reste des mesures par un fonds dont la Ministre des droits des femmes promet qu’il sera de 20 millions d’euros. Mais en fait, elle admet elle-même ne pas savoir quand il sera voté, dans un projet de loi de finances rectificative (à la loi de finances 2014 d’ors et déjà adoptée en première lecture et qui ne prévoit pas ce fonds) ou dans  le projet de loi de finances pour 2015 ? et si ce n’était pas le cas, il faudrait se contenter de crédits dix fois moindres ! ou de compter sur les contraventions des clients et les saisies des biens des proxénètes !

En définitive, cette loi qui prétend lutter contre les réseaux de traite, protéger les prostituées et favoriser la sortie de prostitution pour celles qui le désirent ne fait que le prétendre.

Elle ne mobilise aucun moyen concret de lutte contre les réseaux d’esclavage et entretient la confusion entre réseaux de traite et réseaux d’immigration. Elle ne se propose en aucune façon de lutter contre les conditions sociales et politiques qui favorisent le développement de la prostitution.

Elle abroge le racolage, mais persiste à encourager la répression et la stigmatisation des prostituées. Elle se refuse à toute politique garantissant réellement l’accès aux droits aussi bien aux personnes se prostituant qu’à celles tentant de quitter la prostitution et oppose artificiellement ces deux objectifs comme s’il n’était pas possible de protéger à la fois les unes et les autres. Il n’existe pas une prostitution mais des prostitutions.

Les prostituées, les travailleurs du sexe, ne doivent pas être les premières victimes de la lutte contre la prostitution, commençons par les écouter.



[1] http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140088.asp
[2] http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2013-2014/20140089.asp
[3]Rapport de Mme Maud Olivier, au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi (n° 1437), renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r1558.asp

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