mercredi 19 décembre 2018

RIC et homophobie des dominants

En quelques phrases, Alexis Corbière, répondant à une question de la journaliste Danielle Sportiello de LCP sur le mariage pour tous1a fait la démonstration que le problème en matière d'homophobie n'est pas tant le référendum d'initiative citoyenne en lui-même, ni ses corollaires que seraient de présumées demandes et réponses du peuple, mais plutôt l'homophobie des dominants.

L'homophobie comme grammaire transversale.

L'homophobie comme structure institutionnelle, politique et sociale et donc l'homophobie culturelle, celle qui formate jusqu'aux inconscients et permet de s'en croire excepté.

Corbières avait l'occasion de dénoncer celle-ci, de réaffirmer qu'elle est combat permanent et omni-classes mais il a choisi de répondre à la question de la journaliste sans en questionner les attendus.

Il ne la démonte pas, ne s'en saisit pas non plus pour démontrer ce qu'elle révèle qu'entre gens de bonne compagnie, la norme est de se dédouaner de sa part d'homophobie sur le dos du peuple, entendu comme classes subalternes.

Et ses molles défenses, positivistes, basée sur une confiance d'acceptation majoritaire n'y changent rien.

Parce que d'une part, ses propos liminaires relativisent cette confiance en affirmant « de toute manière, si on ne règle pas pacifiquement ces questions-là, toute une série de questions reviendront sous une forme beaucoup plus brutale »2, ce qui revient à acquiescer au potentiel de brutalité homophobe populaire sous-tendu par la question de la journaliste sans en questionner les fondements.

Que d'autre part, il contribue à conditionner la légitimité de la protection des minorités et l'universalité de l'accessibilité aux droits au bon vouloir de la majorité. Une légitimité qui ne serait donc pas de principe mais relative aux rapports de force politiques.

Dans les faits, c'est une réalité. La protection des minorités, leur statut, leurs accès aux droits et à quels droits, leurs vies, sont dépendantes de ces rapports de force.

Alors oui, il faut combattre ce que les propos de Corbière portent de potentiel retour sur des droits partiels acquis de haute lutte, mais nul ne peut nier que ce qu'ils contiennent d'avertissement est au fond, tout à fait su par tous,aucun droit n'est jamais acquis.

Mais il faut tout autant combattre la parole médiatique qui feint de se préoccuper du sort des minorités quand de fait cette puissance médiatique n'a de cesse d'effacer les minorités et de se faire le relai et caisse de résonance de la hiérarchie comme norme et du renvoi des minorités dans, au mieux, une subalternité régie par des degrés de tolérance.

C'est à dire en réalité à travailler de concert avec les représentants politiques à la reproduction et la reconduction de cette subalternité.

Gardons-nous de la facilité de faire de Corbière, de son mouvement, de l'expression populaire (car dans beaucoup de commentaires les trois sont allègrement assimilés) une exceptionnalité. 

Une monstruosité qui trancherait radicalement avec un monde politique de la représentation à ranger dans le progressisme et à affilier à la lutte contre l'homophobie.

Les propos de Corbière, sont, une expression mal dégrossie, qui pour quelques instants oublie de se déguiser.

La colère et surtout s'y opposer sont plus que justifiés.

Mais il y a aussi à se défier que la colère ne nous fasse perdre de vue qu'au delà de la défense des acquis, si ces propos sont à inscrire dans la réaction, celle-ci ne saurait être limitée à son sens traditionnel.

Sinon, nous aurions à nous interroger aussi sur la façon dont nous acceptons de nourrir la bête.

Collectivement, la constellation communautaire a accepté de prendre des revendications pour l'objet de la lutte, s'en remettant aux seules et ponctuelles avancées du droit pour travailler la légitimité de la norme.

« On peut en discuter ! Pourquoi on n’en discuterait pas ? » 

Cette affirmation d'Alexis Corbière à propos du mariage devrait nous renvoyer de façon plus globale aux rapports de force perdus depuis 2012 et au retour d'un consensus dominant et orchestré au sein des classes dirigeantes qui admet l'homophobie en thème de discussion.

Car la réaction, ce ne sont pas seulement des menaces sur des droits acquis, la réaction, c'est aussi la reproduction des mécanismes d'oppressions qui, fonction des rapports de forces, se reconduisent dans des formes adaptées aux nouveaux contextes politiques et pratiques sociales.

L'homophobie,
« On peut en discuter ! Pourquoi on n’en discuterait pas ? » n'est-ce pas ce que Macron et la République En Marche, héritiers du quinquennat Hollande, affirment et surtout mettent en pratique ?

« On peut en discuter ! Pourquoi on n’en discuterait pas ? » n'est-ce pas ce que les médias affirment et surtout mettent en pratique ?

Sans que ne leur soit contesté, ou marginalement, l'étiquette de progressistes.

Alors certes la question du référendum pose celles des rapports de forces politiques, de l'accès à la parole et pour quelle parole, de la protection des minorités et des droits fondamentaux. Mais le référendum n'est pas en soi plus ou moins démocratique que le système de représentation à chaque scrutin plus censitaire, qui envoie au pouvoir un personnel politique qui donne les moyens à la réaction de s'exercer et maintient les minorités dans des droits différenciés. Qui asphyxie la vie associative et détruit les corps intermédiaires plutôt que de leur donner les moyens de se réinventer.

Dans ce contexte, brandir le RIC comme réponse magique ou comme à contrario l'objet de tous les dangers, revient à éteindre une fois de plus réflexion et demande de co-construction de transformation sociale.

Quand tout dispositif demande ses garde-fous et ses contre-pouvoirs.


je ne reviens pas sur la dimension d'illusion hétérosexuelle qui consiste à prétendre que faire des droits des minorités des sujets de débats emprunte à la régulation pacifique, Jérome Martin en a touché quelques mots dans une lettre ouverte publiée sur le site Komitid

vendredi 19 octobre 2018

Refuser ce en même temps

Allons-nous collectivement laisser des responsables politiques qui organisent tranquillement la légitimation des discours homophobes et nous jettent ainsi en pâture aux passages à l'acte prévisibles, prétendre qu'ils sont acteurs et alliés de la lutte contre l'homophobie ?

des responsables politiques dont le leader a même encouragé des homophobes à en faire plus,

des responsables politiques,

qui n'ont aucune politique structurelle de lutte contre l'homophobie (ne parlons même pas de lutte contre le sida), en dehors de miettes superficielles, mais qui poursuivent en revanche une politique de précarisation qui nous rend chaque jour plus vulnérables aux manifestations de l'homophobie des médecins, des bailleurs, des patrons, des flics, des familles, des directeurs des EHPAD et maisons de retraite, etc.

qui développent une politique de criminalisation de l'activisme couplée à l'assèchement du soutien public à la vie associative qui vise à faire taire toute résistance et solidarité réelle.

qui mènent une politique raciste qui, pour ne regarder que le petit bout de la lorgnette LGBTQI, écrase les émancipations, expulse et renvoie vers la mort y compris des malades et des LGBTQI dont la vie est directement menacée.

qui entendent circonscrire l'homophobie aux seules brutalités physiques tandis qu'ils dédouanent les discours qui les favorisent ainsi que ses manifestations institutionnelles et structurelles. Limitant leurs insuffisantes réactions aux symptômes et non aux causes. Manifestant des indignations et tolérances différenciées selon que les exclusions de l'espace public s'expriment dans des écoles privées de banlieue chic, des quartiers populaires ou à travers des discriminations au vernis légal.

Et les mêmes qui mènent ces politiques se rendraient à des rassemblements d'initiative communautaire de lutte contre l'homophobie sans qu'il ne soit dénoncé la dimension de marketing politique et la visée d'auto-absolution de cette présence ? Sans que ne soit énoncée leur part de responsabilité dans les violences qui nous frappent ?

Allons-nous les aider à promouvoir leur prétention frauduleuse à prétendre lutter contre leurs propres politiques ? Ces politiques qui produisent les violences et saccagent nos vies.

Combien de temps allons-nous contribuer à recouvrir ces politiques d'un vernis pseudo-progressiste sans lequel elles ne pourraient entretenir une tolérance de masse à l'injustice ?

Allons nous les aider à continuer ces politiques  ?

Ou refuser ce en même temps qui consiste à nous tendre sparadraps et mouchoirs pour panser des plaies qu'ils construisent par ailleurs ?

mercredi 17 octobre 2018

Les acculés



Au rythme des agressions, répondre encore et encore, à des tweets à l'emporte pièce, être dans la réplique systématiquement, parce qu'on ne peut pas laisser passer comme si chaque pierre ne comptait pas, au détriment des réflexions que nous ne menons pas.

Quelles références avons-nous produit sur l'outing dans le contexte d'aujourd'hui qui ne date pas de celui de Mathusalem @TheStoneWallAge ?

Des pédés militent ouvertement au FN, à La Manif Pour Tous, d'autres se font les commis voyageurs d'un libéralisme raciste, homoLesboTransphobe et sexiste, qui écrase méthodiquement les émancipations (et c'est une conséquence logique de nos luttes et conquêtes) mais nous continuons à recycler en boucle des appels polis au coming out comme de vieux DJ égarés sur la RadioNostalgie d'une visibilité qui fut émergente. 
Propulser en représentativité des participants du mensonge d'état d'une lutte contre les discriminations qui n'existe pas - ou seulement en toilettage cosmétique - nous aide-t-il réellement ?
La visibilité de gays et lesbiennes qui s'arrangent de la discrimination systémique (homolesbotransphobe mais aussi classiste et raciste) parce qu'ils et elles peuvent (espèrent) s'en tirer dans leurs niches, non seulement ne me représente pas, mais elle s'inscrit dans des dynamiques qui contribuent aussi à la reconduction de nos oppressions.
Qu'on se comprenne bien, lutter contre l'homophobie, y compris qui les oppresse, j'en suis ; mais on ne lutte pas contre l'homophobie en ne combattant pas les ressorts de la domination, lutter contre l'homophobie, ce n'est pas aménager des ilots de préservation liés au statut social, de race et aux conditions matérielles d'existence.
S'en tenir à une dénonciation ciblée de certaines matérialisations de l'homophobie couplée au déni de celles exercées par les classes dominantes à travers leur politique libérale a également des conséquences directes sur la vie des LGBT et en ça elle participe de la pérennité de l'homophobie.
Des pédés, des gouines, des trans paient de leurs corps et de leurs vies la construction d'une mythologie mixte et contradictoire de victimes faciles et de protégés du pouvoir dont les aspirations à exister seraient source d'humiliation d'un tout aussi mythologique peuple originel à l'intégrité fantasmée qu'il faudrait purger de ses altérités, mais sonnés de coups nous ne parvenons pas à desserrer l'étreinte en spirale mortifère d'un imaginaire qui se nourrit aussi de la propagation d'images nous ramenant à nos tuméfactions et d'appels à s'en remettre à une aide extérieure et à une dépendance à celle-ci qui solidifient tout autant qu'ils les dénoncent la cible chaque jour plus solidement accrochée.

Les jours sombres se nourrissent aussi de cet épuisement qui nous accule.






vendredi 29 juin 2018

"LGBT hors de France", mais y sommes-nous seulement ?




Combattre l'homophobie que les tags qui fleurissent rendent visible, ce n'est pas s'extasier devant les réactions hypocrites des politiques qui ne font que le minimum en les condamnant et en rénovant la voirie, et nous abreuvent de messages lénifiants sur un amour en marche triomphant.

Il y a paradoxe, à remercier constamment les élus pour le moindre gesticule un peu friendly qu'ils consentent, quand les politiques qu'ils mènent globalement véhiculent le même message que celui des tags dénoncés.

Se battre pour que ces tags soient renvoyés à l'insignifiance collective, pour s'opposer à leurs velléités d'imposer leurs termes et diktats au commun, lutter pour établir un rapport de force qui les renverraient dans les poubelles totalitaires, évidemment.

S'en emparer pour leur faire porter un renversement, montrer ce qu'ils prétendent dissimuler : la volonté de destruction qui les anime. Encore une fois oui.

Mais tomber dans un face-à-face entre des croisés de la domination et nous, c'est se piéger soi-même. Car nous en remettre à des alliances de circonstance, c'est nous priver de mettre en exergue la constance et la continuité des mécanismes qui construisent l'homophobie.

C'est nous empêcher de rendre visible ce qu'il y a de banal, quotidien et systémique à essayer de nous renvoyer au placard et nous réduire au silence par la violence et la contrainte.

Nous devons à la complexité de ne pas nous faire les porte-voix d'une politique de communication et d'exonération qui n'a pas pour objet de nous faire place mais de s'accorder des labels de progressisme et de gagner des parts de marché, électoraux comme touristiques. D'ailleurs leurs maîtres d'oeuvre s'en cachent fort peu.

Non ces tags ne peuvent être réduits à une réaction, ils sont le produit de politiques homophobes, sexistes et racistes.

D'ailleurs plutôt que d'ironiser sur le prétendu insensé de ces tags, nous aurions mieux fait de souligner la continuité politique, raciste, de ce hors de France.

Bien-sur que l'ironie était tentante, avec sa dimension de mise à distance. Mais ce premier sentiment de désamorcer par le ridicule est de court terme.

Ne pas ajouter la violence à la violence nous est quotidien, nous sauvons nos peaux, car sinon comment trouver l'énergie de lutter et d'être, tout simplement, avec la conscience vive que le désir de nous acculer à la disparition est omniprésent et structurant de nos sociétés.

Ça permet aussi de s'auto-convaincre, qu'il n'y a là que le pire, une fraction du réel et non celui-ci.

Mais attardons-nous deux secondes sur le premier slogan tagué sur les arc en ciel municipaux. Sur sa littéralité. 

Et cessons de refuser de voir qu'il y a dans ce slogan, certes extrême, une réalité politique dont les agités du « remplacement » sont loin d'avoir le monopole.

La France, et ses frontières, ne peuvent se réduire à une entité physique, géographique dont il faudrait nous bouter, ce sont aussi des représentations culturelles, des institutions, des rapports de pouvoir, des accès au droit commun, aux richesses, aux décisions collectives.

Qu'il y ait à combattre, celles et ceux qui entendent avec force et violence blanchir tout droit à l'existence de celles qui n'appartiennent pas à leurs cercles, aucun doute là dessus.

Pour autant, ne les aidons pas non plus à masquer à coup de peinture, que l'homophobie n'aurait que ce seul visage de son expression caricaturale.

Nous mettre hors de France, ce sont des politiques déjà menées.

Ce sont les expulsions, hors de frontières territoriales, de malades atteints de pathologies lourdes, VIH notamment mais pas seulement, de militants contre le sida, mais pas seulement, d'étranger.e.s demandeurs d'asile mais pas seulement.

Ce sont aussi les expulsions hors du droit commun. Qui vont de la légitimation de la discrimination aux exclusions de l'argent public.

Ce sont les expulsions hors de l'espace public, de la rue aumouvement social, syndical et politique, du système éducatif, sanitaire, avec leurs lots de harcèlements et d'injonctions à l'invisibilité.

Ce sont les expulsions des représentations culturelles, avec ses filtres de censure préalables empêchant l'accès aux moyens de production et les effacements de toutes les subcultures au profit d'une égalité de façade.

Ce sont les violences policières et économiques qui s'abattent sur toute autonomie qui ne fait pas allégeance au NoAlternative.

Nous avons besoin de ressources, nous avons besoin que nos conditions matérielles d'existence changent, Sinon ça ne ressemble à rien d'autre qu'à une France barbouillée de blanc.
















mercredi 4 avril 2018

Act Up-Paris bouge encore




Le désormais ancien président d'Act Up-Paris, Remy Hamai, dénonce un "entrisme politique" de la part de nouveaux militants politiques, venus notamment du Parti des Indigènes de la République ainsi que de collectifs d'aide aux migrants qui seraient venus grossir les rangs d'Act Up-Paris.
Faisant rimer cette affirmation d'origine avec source de dissension et de détournement politique.
Passons rapidement sur la dimension risible de l'accusation d'entrisme coordonné ...
SI des militants issus de ces luttes en viennent à rejoindre la lutte contre le sida, n'y aurait pas là plutôt matière à se réjouir que la lutte contre le sida séduise au-delà des bassins plus historiquement habituels et concentrés de recrutement de cette lutte ?
Il paraît un peu paradoxal de déplorer l'élargissement des cercles de motivés plutôt que de chercher, même si ça ne va pas sans épisode conflictuels, comment cette lutte pourrait s'enrichir de cet apport de forces nouvelles et de cette confrontation de points de vue ? Surtout quand on parle d'une association moribonde, puisque l'ex-président d'Act Up-Paris le reconnaît lui-même, en dépit des efforts de l'ancienne équipe, l'association ne comptait plus qu'une dizaine de militants.
Et à l'heure où les luttes communautaires sont dépréciées de toute part, où le racisme ne cesse d'étendre son emprise sur les imaginaires et réalités politiques, où les offensives contre les migrants flambent littéralement, où le gouvernement s'apprête à faire voter une loi aggravant de façon jamais atteinte les répressions qu'ils subissent et renoue avec les expulsions de malades étrangers y compris vers des pays où ils ne pourront pas se soigner, où on voit la présidente de la région Ile de France refuser en toute illégalité d'appliquer le jugement du tribunal administratif lui ordonnant de redonner le droit à la solidarité transports aux bénéficiaires de l'Aide médicale d'Etat, il y aurait plutôt à se féliciter de voir expertise de la lutte contre le sida et expérience du racisme et des politiques anti-migrants se rapprocher les unes des autres.
De nouveaux militants ne pourraient-ils apporter un regard différent sur des problématiques actuelles, une expertise différente de concernés sur les conséquences directes et concrètes de politiques racistes ? Comme sur l'impact de la précarisation, de l'inégalité de l'accès aux soins, à la prévention, au logement, à l'université, au travail. Comme sur l'impact de la répression policière et économique. Comme sur l'impact des contrôles au faciès sur les possibilités de se déplacer, de faire valoir ses droits.
Toutes politiques qui ont des conséquences sur les vulnérabilités et les possibilités d'être acteurs de sa santé.
Et ce combien même, comme le déplore l'ancien président d'Act Up-Paris, ces militants auraient été convaincus par l'écho médiatique autour de 120BPM et seraient arrivés pour « profiter de l'héritage historique de l'association ».
Après tout, n'est ce pas un peu le lot de tout militant arrivé à Act Up-Paris que d'avoir profité d'un héritage bâti par ces prédécesseurs et des médiatisations successives de l'association ?
La question n'est donc pas là mais dans ce qui en sera fait. Et ça, ce sont les actes qui nous le diront.
Que l'arrivée de nouveaux 5 fois plus nombreux que le noyau qui avait subsisté déstabilise ses membres plus anciens est sans aucun doute inévitable, et on comprend que le changement de dimension soit moins confortable que des discussions en cercles quasi intimes mais il n'y a pas là, trahison de l'histoire d'Act Up-Paris qui fut constellée d'échanges houleux et de débats parfois plus que musclés.
La différence réside peut-être que confrontée à des arrivées massives, comme ce fut le cas par exemple au lendemain du premier sidaction, l'association pouvait même en tanguant s'accrocher à une structuration garante de pérennité. Quoi qu'on puisse se questionner par ailleurs, et à différents stades de la vie de l'association, sur la pertinence de cette pérennité.
Act Up-Paris a toujours été une association politique, et son aide aux malades a toujours été de lutter d'abord contre les causes structurelles et systémiques qui leur nuisent. Sa dimension concrète résidant moins dans la gestion des cas individuels que dans sa capacité à faire ressortir de ceux-ci leur dimension emblématique susceptible de résoudre pour tous et toutes les problèmes ainsi révélés. C'est ainsi que l'association s'est inscrite dans un tissu associatif communautaire aux savoirs-faire complémentaires.
Quand un ex-président d'Act Up-Paris se met à user du vocabulaires des détracteurs d'Act Up-Paris, parlant de victimes du sida et qualifiant de "violentes" même avec des guillemets, les actions passées de l'association, il fait des contresens qui contredisent l'histoire et l'identité de l'association.
Non, Act Up-Paris n'a jamais dit non plus "Tout le monde est séropositif », seulement tout militant d'Act Up-Paris accepte de passer pour un séropositif, la différence étant qu'il ne s'agit pas de prétendre au vécu d'un séropositif mais d'affirmer le refus du stigma.
La crédibilité d'Act Up-Paris repose certes sur son passé et son image, une marque étonnamment résistante. Mais surtout sur son expertise de l'épidémie, sa capacité à travailler et argumenter ses dossiers et la réalité de son efficacité contre cette épidémie.
Act Up-Paris saura-t-il sortir de ses propres rituels, quand le 1er décembre n'est plus qu'une institution, le jeter de sang, pseudo romantique, usé jusqu'à la corde et bien souvent sa prise de parole dans les lieux de décision, la petite critique radicale attendue de la plus turbulente des associations chère à Eric Favereau ? Adapter sa communication à l'heure des réseaux sociaux, réconcilier son efficacité verticale à l'horizontalité d'aujourd'hui ?
Mais qu'Act Up-Paris se transforme, voire survive ou pas, est-ce si grave ? Chacun aura son idée sur la question. En revanche, la lutte contre le sida et ses exigences, elles, vont au-delà d'Act Up-Paris. Et quelles que soient leurs actualisations, ce qui est certain c'est que cette lutte ne peut exister dans une opposition insensée entre minorités, entre expertise et politique, entre plaidoyer et action publique, entre antiracisme et lutte contre l'épidémie. Et en s'offrant en appui aux instrumentalisations des détracteurs de ces luttes et aux pourfendeurs des solidarités communautaires. Et ces enjeux-là dépassent le destin d'Act Up-Paris.


mercredi 14 février 2018

Homophobie et auto-absolution politique













Alors que deux agressions lesbophobes1 et homophobes2, physiques, se sont produites ces derniers jours, il aura donc fallu que SOS homophobie s'émeuve3 du silence gouvernemental à ce sujet pour que le Premier ministre, Edouard Philippe4 et sa secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre hommes et femmes, Marlène Schiappa5, daignent réagir et condamner par tweet ces agressions.

Deux tweets tardifs donc, et fort peu spontanés.

Contrastant avec d'autres empressements quand on se place sur le plan de la sémiologie, un registre d'autant plus intéressant que le Président de la République et ce gouvernement n'ont eu de cesse d'afficher l'encadrement de leur communication en signe alpha de leur politique.

Un timing parlant, d'autant que si l'utilisation tweeter s'inscrit dans une forme d'économie de la rapidité, dès lors que cette dimension, on l'a vu, n'était pas recherchée, le tweet devient plutôt synonyme de service minimum en matière d'expression publique.

On pourrait objecter que les médias portent leur part de responsabilité dans cet état, pour peut-être n'avoir pas sollicité de réactions officielles. On sait nos ministres, cependant, aptes à saisir micros et caméras pour délivrer les actualités qui leur chantent et déchantent sans trop se préoccuper des questions initialement posées.

Et dans un cas comme dans l'autre, le thermomètre est révélateur des intérêts respectifs.

Une fois évacuée l'indolence manifeste n'y aurait-il pas matière à s'attarder sur ce que ces tweets arrachés trimbalent ?

Peut-on se contenter de les ranger dans les tiroirs des condamnations convenues et, obligées, littéralement ?

L'Etat ayant ainsi empli la fonction symbolique qui serait sienne de soutien aux victimes et de rappel de valeurs communes.

Mais s'en tenir au dont acte qui s'en suivrait ne serait-il pas alors participatif d'une politique qui n'est pas sans poser problème de confusion.

Car bien qu'acculé à réagir, l'Etat en fait poursuit une autre logique que la seule lutte contre l'homophobie et cette logique n'est pas nouvelle, ni même consubstantielle de la Présidence Macron.

Rien de cette lutte n'est venu spontanément des gouvernements de la République, tout au contraire, l'engagement ne s'est construit, pierre par pierre, que par l'action des activistes et associations de lutte contre les discriminations et contre le sida qui ont su imposer leurs combats et susciter des relais, des soutiens, des compréhensions. Voire des convergences.

Mais convergence ne signifie pas adhésion pour autant, encore moins semblable.
Contraindre l'Etat à agir, à prendre des responsabilités qui sont les siennes ne saurait faire oublier que deux légitimités s'affrontent ici qui ne se recouvrent pas et qu'au vu des rapports de force, s'en remettre à l'Etat en la matière ressemblerait furieusement à de la naïveté dangereuse. Car si l'Etat est acteur de la lutte contre l'homophobie, et nous nous sommes - et continuerons - assez battus pour qu'il en soit ainsi, comme pour accéder à nos droits et aux moyens sans lesquels ils ne sont que papier de chiffon, impossible de passer sous silence le fait que l'Etat est tout autant acteur de l'homophobie. Par ses institutions comme du fait des choix et actes de ses représentants.

Laissant perdurer des discriminations qui nous frappent, couvrant de culture patriarcale et de conservatisme idéologique des violences quotidiennes, qui pour n'être pas directement physiques n'en atteignent pas moins les corps et les vies.

Quand il n'organise pas lui-même ces violences par ses inactions, comme en n'assurant pas les actions de sensibilisation nécessaires ou les soumettant à un consensus d'autant plus introuvable qu'il n'a jamais donné les moyens d'y parvenir et que chacun de ses renoncements redonne force et vitalité aux oppositions.

Quand il délègue au libéralisme, à la possession et l'argent, la liberté d'être et renvoie les solidarités effectives aux familles, exposant les plus vulnérables aux violences y compris domestiques et patronales, à la dépendance et aux chantages ou encore au bon vouloir des bailleurs.

Quand il contraint des mères à passer par le mariage et l'adoption pour assurer la protection de leurs enfants, passe outre les condamnations internationales pour continuer à refuser de retranscrire des états civils et persister à blanchir des maltraitances juridiques ou médicales. Quand sa justice administrative décide qu'oeuvrer à améliorer la vie des homos et trans ne participe pas de l'intérêt communal.

Encore en nommant au gouvernement des ministres qui se sont illustrés par leur oppositions aux droits des homos et trans, ce qui à tout le moins envoie un message clair qu'il y a, pour paraphraser le premier ministre, place dans la République française pour certaines formes d'agressions homophobes, à condition qu'elles aient emprunté à une forme discursive policée plutôt que vulgaire ou qu'aux coups directement physiques.

En présentant l'accès universel à la PMA et les préjugés homo-lesbo-transphobes comme à débattre, faisant sans complexe des homos, trans et leurs enfants, les cibles d'un déchaînement de violence dont il ne méconnait pas les effets mais qu'il contribue à minimiser et même à favoriser quand il réserve l'emploi du terme « brutaliser »6 aux consciences des opposants auxquels il assure à répétition qu'ils seront écoutés.

Le « en même temps » étant ici abus de vulnérabilité. La PMA peut-être, d'ici la fin du quinquennat, nous dit sans dire complètement le président qui a fait de son « je fais ce que je dis » un style et prétendait pendant la campagne établir avec le pays une relation de clarté7.

Une prudence dans le choix des mots qui n'a donc rien d'anecdotique. Et qu'on retrouve constante autant chez le Macron candidat8 que président qui n'a jamais prononcé d'engagement ou de promesse préférant chaque fois se réfugier derrière des assertives ne se référant qu'à un avis favorable.

Et ce alors même que du point de vue du diagnostic, il avait été, là, à l'inverse très clair : « Le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable. »9

Un intolérable avec lequel on nous appelle pourtant à composer sur une période qui menace de se transformer en jour sans fin et pour un résultat sans autre garantie que d'avoir offert encore une amplification médiatique aux évangélisateurs logorrhéiques de l'inégalité. Le candidat nous avait prévenu les questions éthiques « ne sont pas prioritaires sur le plan de l’action politique »10.

Les promesses n'engagent que ceux qui y croient dit l'adage politique, ici la foi reposerait sur moins encore.

Et en échange de cette carotte potentielle, nous devrions nous résoudre à ce que malveillance et bêtise se paient au prix fort par nombre d'entre nous.  « Il faut savoir entendre, laisser place au dissensus et non l'écraser »11 Joli renversement car jusqu'à nouvel ordre, ce ne sont ni les hiérarques de l'Eglise catholique, ni ceux de la Manif pour tous qui se font recoudre aux urgences ou harceler jusqu'au fond de nos campagnes.

Si nous ne souhaitons pas voir nos vies se transformer en un interminable exercice de rappel sur chemin de croix, nous ne saurions laisser loisir et prétention à l'Etat de se positionner en celui qui définirait le périmètre de l'homophobie et de ce qui n'en est pas, pas plus que de décider de qui en sont les acteurs ou les combattants.

Rappelons-nous qu'il est très différent d'exercer une vigilance extrême quant à la réalité des actions menées, d'exiger de l'Etat qu'il assume les responsabilités qui lui incombent ou de lui permettre d'outrepasser ses prérogatives.

Au-delà de notre propre expérience, l'exemple de la lutte antiraciste doit également nous alerter sur la tentation des gouvernements de cantonner la protection des minorités à des mesures ponctuelles, partielles et morales. De renvoyer sur des responsabilités individuelles de méchants pas beaux, ce qui relève à minima aussi de discriminations systémiques.

Bref de taper sur les doigts de ceux qui rayent la carrosserie mais sans jamais se préoccuper du moteur.

Il est d'actualité de nous faire passer pour moderne, une pseudo-dépolitisation des luttes sociales. De prétendre que l'efficacité s'incarnerait dans la technicité.

D'attribuer les échecs et lacunes des politiques menées non à des choix politiques mais à une politisation excessive.

Ainsi il serait de bon ton de faire passer la neutralité partisane exigée des grands commis de l'Etat pour la preuve de la neutralité politique des actions qu'ils sont chargés de mettre en œuvre mais c'est effacer à bon compte d'une part que les nominations, affectations et carrières de ces hauts fonctionnaires dépendent des choix des politiques, donc de choix idéologiques.

D'autre part que précisément, s'ils sont censés mettre de côté leurs convictions personnelles, c'est bien parce que ce sont des choix qu'ils ont à traduire en acte et que ces choix relèvent non de l'administration mais du politique.

Transformer les hauts fonctionnaires en VRP d'une gestion libérale de l'Etat, chaque jour plus proches des cadres d'entreprises n'a rien de neutre. Il ne s'agit de rien de moins que d'habiller les ingénieurs du libéralisme de costume d'experts pour accréditer une absence d'alternative.

L'opérationnel et le pragmatique, saupoudrés d'une dose de management prétendument participatif, visent là tout autant à répondre à des situations concrètes qu'à décorer d'un vernis progressif l'assurance que la distribution de sparadraps ne puisse en venir à déstabiliser une architecture globale dont en réalité on ne souhaite pas modifier la structure pyramidale.

Demander notre dû ne doit donc pas nous faire perdre de vue que c'est la nature même, systémique, de la domination et des oppressions, que nous avons à combattre.

Et dans ce domaine, les experts, ne sont pas dans les préfectures et administrations, encore moins à la DILCRAH12.

Si on revient aux tweets de Philippe et Schiappa, on voit bien cependant combien nos responsables politiques souhaitent nous l'imposer en référent central.

Mais s'il est de leur intérêt d'abriter le politique derrière le fonctionnaire pour masquer leurs choix et insuffisances au prétexte de technicité, il n'est pas du nôtre d'accepter cette invisibilisation volontaire du politique, ni de laisser installer en expertise et porte-parole de la lutte contre l'homophobie un point de vue univoque et extérieur aux premier.e.s concerné.s.

Il n'y a pas à la DILCRAH de volonté de lutter contre les discriminations racistes, homophobes, lesbophobes en ce qu'elles font système.

On s'y focalise sur le combat contre la haine et les préjugés, sur les symptômes plutôt que les causes profondes, tout en veillant scrupuleusement à épargner à l'universalisme républicain analyse et remise en cause de fond de ses logiques structurelles discriminantes.

(subsidaire : le préjugé est donc une manifestation culturelle et morale imposée par le milieu, la culture et l'éducation, tout domaine dans lequel l'Etat, les institutions et la politique n'auraient que des responsabilités extérieures. Leurs interventions ne sauraient se mesurer qu'en positif tandis que pour rien, jamais, dans leur construction problématique !)

Son responsable ne le dissimule même pas, il suffit de lire l'interview qu'il donnée il y a quelques jours à Libération13.

Parlant de la délégation comme d'une «start-up dans l’appareil d’Etat», il renvoie les discriminations individuelles au défenseur des droits, les discriminations systémiques à l'invention de solutions ultérieures. Et y assume sans complexe de ne pas avoir à écouter ni agir pour celles et ceux avec lesquels il a un désaccord de fond.

Le tri des interlocuteurs et des bonnes victimes est chose assez banale, pratiquée de tout temps par les gouvernants. De la même façon que des structures et des militants peuvent estimer que le dialogue avec des institutions est peine perdue.

Le 12 février, Act Up-Paris, en dépit de sa demande d'en être n'avait pas, par exemple, été conviée par Marlène Schiappa et la Dilcrah à leur réunion de « réseaux engagés pour une politique de lutte contre la haine anti #LGBT » consécutives aux agressions.14
Mais c'est loin d'être la première fois que l'association est écartée de consultations présentées comme représentatives.

Dans le contexte d'exacerbation de la lesbophobie, il y aurait aussi pertinence à s'interroger sur la représentation des lesbiennes à cette réunion et se demander comme le fait la militante Alice Coffin15lesquelles de leurs associations avaient été pressenties pour participer.

Mais Frédéric Potier, le responsable de la Dilcrah, dans son entreprise de confrontation idéologique a franchi dans l'entretien accordé à Libé une étape supplémentaire, quand pour récuser l'emploi du mot «racisé», il prétend être qualifié pour déterminer ce qui correspond « à la réalité de ce que vivent les victimes concrètes » pour lesquelles il « cherche à mettre en place des financements de projets, de la formation, des évolutions de la loi, etc. »

Ce qui revient ni plus ni moins, au motif de son désaccord à propos de ce qu'il analyse comme une approche « théorique, sociologique, conceptuelle » à trier entre les victimes des discriminations (et leur nier cette qualité) pour lesquelles, au nom de la dite universelle République dont il est préfet, il a été nommé en mission de service public.

Choix des concepts idéologiques, définition des victimes, préconisation des évolutions de la loi, mais apolitisme et technicité nous chante-t-on.

On ne s'étonnera guère dès lors que notre expert ès victimes auto-proclamé restreigne la mission de la Dilcrah aux combats contre les préjugés et à la protection de l'universalisme.

Sous pression des associations, nos gouvernements consentent à lâcher quelques gestes et subsides mais à condition :

- de s'en tenir à condamner (sans empressement débridé, on l'a vu) les agressions de base, celles qui ont si bien intégré l'idéologie de la hiérarchisation qu'elles y ont lu autorisation

- qu'il ne soit pas question en revanche de s'attaquer à ceux qui la pratiquent industriellement et médiatiquement et encore moins au système qui bourre les crânes de mépris décomplexé, de colère et frustration explosives et légitime les discriminations

- que ce soit en même temps l'opportunité de travailler non à réformer ce système mais à l'absoudre et traquer tout ce qui contredit le mythe que domination et discrimination ne sauraient lui être autre qu'étrangères.


Le communiqué commun post-agressions & réception du Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et du DILCRAH16 n'annonce évidemment ni mesure qui n'ait été déjà connue, ni changement d'envergure dans les politiques menées et dédouanées sans scrupules de toute responsabilité dans le regain de lesbo-homo-transphobie en cours.

« La haine et les discriminations anti-LGBT n’ont pas leur place dans la République » nous répète-t-on.

Que cela advienne !

En attendant ces extériorité et auto-absolution gouvernementale ne sont que fables. A nous de n'être ni crédules ni caution ou attachés de presse de politiques et communications qui blanchissent institutions et élus.

Parce que, rappelez-vous, l'homme aujourd'hui à la tête de l'Etat en avait débusqué au moins une, qui pour l'instant, y a toute sa place au chaud dans la République :

« Le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable. » Emmanuel Macron.




on notera qu'Emmanuel Macron, interpellé lui aussi, n'a rien exprimé
Par la suite la secrétaire d'Etat a également ajouté à ce tweet la réception dans ses bureaux d'une sélection d'associations
12Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH)