jeudi 23 mai 2013

Fierté 2013 : des mariages et un enterrement ?





C’est beau des députés qui scandent "égalité, égalité" dans une enceinte parlementaire. On verse une larme, puis on s’offre des fleurs, on s’auto-congratule en versant le champagne, et après tout on l’a bien mérité, cet instant de bonheur, ce droit d’associer le printemps à des parfums de joie plutôt qu’à des remontées nauséabondes.

Mais sous les clameurs, en fond, persiste une petite note discordante, que d’aucuns voudraient étouffer. Elle prend la couleur de trois lettres, PMA, qui s’affichent sur des pancartes et deviennent emblématiques de renoncements qui la dépassent.

Il ne faut guère patienter longtemps pour entendre le Président de la République, le Premier Ministre, la ministre de la Famille et même le président de l’Assemblée Nationale - rien que ça ! – reprendre en chœur le nouvel hymne officiel : fermez le ban, l’heure est désormais à l’apaisement.

Passage en force contre cohésion sociale, opposition des réformes sociétales aux réformes économiques, les logiques et les mots sont ceux du refus de nos unions, et nous voilà priés de nous concentrer sur nos listes de mariage plutôt qu’à celles de nos revendications.

Quand la droite arrive au pouvoir, elle n’a aucun complexe à appliquer la politique pour laquelle son électorat l’a choisie. Tandis que les socialistes semblent toujours vouloir donner des gages à leurs opposants. Accepter et se mesurer aux règles et références de ces derniers. Comme s’il n’y avait de consensus possible que dans leur cadre, le cadre d’une économie libérale et d’une morale conservatrice.

Ce faisant, ils ne font qu’encourager la droite à instruire un incessant procès en illégitimité. Et nous perdons sur tous les tableaux, non seulement les réformes sont, à plus ou moins court terme, abandonnées ou amputées mais qui plus est, la droite même battue, peut continuer à imposer ses valeurs en référence.

Or si nos idées cessent d’être portées. Comment les faire avancer ?

François Hollande a choisi sa posture présidentielle ; naguère il se voulait l’homme de la synthèse au parti socialiste, aujourd’hui il prétend incarner le compromis raisonnable. Comme si s’affrontaient des forces équivalentes qu’il lui revenait d’arbitrer, incarnant ainsi le seul équilibre possible.

Dès lors, le système présidentiel fait ses ravages. Le parti socialiste enfermé dans sa position de parti du Président ne peut que s’incliner, les Verts et le Front de Gauche quasi inexistants au Parlement sont renvoyés au chimérique et la gauche n’est plus politiquement représentée.

Comment s’étonner alors que le système politique ne cesse de se déporter vers la droite. Quand le candidat élu par la gauche pour porter une alternative n’a pour seule ambition que d’offrir au néolibéralisme un visage plus humain.

Sans grandes illusions sur les perspectives de changements réels sur le plan économique qu’ouvrait l’élection d’un François Hollande, pouvait-on vraiment espérer que celui-ci se montre plus audacieux sur le plan sociétal et s’oppose au moins dans ce domaine aux résistances du conservatisme ? Là encore, il faudra se contenter du plus petit des dénominateurs.

Alors, allons-nous nous montrer raisonnables ? comme le Président pour qui le déferlement d’homophobie de ces derniers mois participe d’un débat légitime où « toutes les opinions doivent être respectées, toutes les sensibilités »[1]

Allons-nous accepter de brader nos droits au nom d’une conception de la paix sociale qui admet qu’on nous violente institutionnellement, verbalement et physiquement ? Allons-nous nous contenter de protester avec une vigueur désormais toute socialiste ?

Et puisqu’il n’est plus question d’égalité, quelle petite musique va entonner la marche des fiertés ?
Que vont faire nos lobbyistes patentés ? Adopter l’agenda gouvernemental et son analyse de la situation ? Cette nécessité d’apaisement ?
Nous assurer qu’ils travaillent, discutent, déploient force convictions dans les corridors et antichambres des ministères. Et qu’en attendant que ce travail de fourmi paie, il faut être réaliste, ne pas faire de vagues.

Ce message-là ne devrait pas être difficile à mettre en musique, entre ceux qui n’ont qu’une envie de fête et ceux qui ont désespérément besoin de souffler, de se refaire une santé …

Pour le principe, on placera l’égalité sur nos banderoles. On glissera la PMA dans nos communiqués. On n’oubliera pas le T, dans nos signatures.

Et pour entretenir le moral des troupes, on organisera un concert, reléguant les revendications dans l’ombre de la célébration. Un couple à succès ! Vedette prévisible de la marche de juin.

Une Pride dont le mot d’ordre aurait pu être les droits des trans, grands oubliés de cette longue route vers le mariage. Tous, pédés, bi, lesbiennes & trans, unis derrière ce seul mot d’ordre, ça aurait eu de la gueule. Voilà qui aurait donné un peu de corps, un peu de crédibilité à la marque LGBT. Ne serait-il pas temps d’afficher un peu de solidarité entre communautés ? D’honorer une dette historique envers les trans qui furent les premiers à se lever dans un mouvement dont nous touchons aujourd’hui des dividendes ?

Ou bien ne pourrait-on imaginer et réaliser une gigantesque banderole inaugurale n’affichant que 3 lettres, PMA, et des centaines de lesbiennes aux premiers rangs de la manifestation ? Pour signifier irréfutablement notre refus d’une égalité tronquée.

Parions plutôt sur l’orthodoxie du cortège de tête. Avec une banderole se réclamant de l’égalité portée par ceux-là mêmes qui nous demandent d’y surseoir. Et que nous retrouverons sur les photos des premiers mariages (réussis ou perturbés), ces noces que les chaînes d’informations, après avoir multidiffusé ceux qui s’y opposaient, trouveront pour un temps tout à fait télévisuelles et divertissantes.

En acceptant de nous réjouir avec les représentants du gouvernement, en adoptant la stratégie du compagnonnage (une conception de la politique qui a tellement bien réussi à SOS Racisme), nous admettons nous en remettre à leur gestion du calendrier et renonçons à essayer de développer les conditions nécessaires à l’aboutissement de nos revendications.

Quand le chef de l’état entend gérer la politique comme un arbitrage entre différentes formes de pression de la société, en renonçant à la fois à installer les conditions de cette pression de notre part dans la sphère du débat public et à faire de la politique ailleurs que dans les structures et logiques traditionnelles, nous abdiquons toute autonomie pour nous en remettre à la bonne volonté de ceux qui nous gouvernent. Charge à eux de déterminer le moment où ils jugeront que l’équilibre politique serait devenu plus favorable.

Mais quels moyens nous donnons-nous pour travailler à modifier cet équilibre ?

Les politiques ne peuvent être les seuls acteurs de la politique. Et la droite la seule à faire entendre ses exigences. Comment le silence pourrait-il contribuer à faire évoluer les perceptions des uns et des autres sur des revendications devenues invisibles ? Comment faire valoir nos arguments s’ils demeurent confidentiels ?

Si les Gay Pride ont toujours été festives, c’est parce que le sens même de cette détermination joyeuse est politique, c’est parce que nous y avons toujours partagé le refus de nous taire, le refus de l’ombre et de l’invisible. Y compris dans les périodes les plus sombres, nous avons toujours opposé la force de nos vies aux volontés de nous enterrer. Notre émancipation ne tient qu’au fil de notre expression.

Quand nos opposants ont obtenu du gouvernement qu’il recule sur la PMA et réussi à instaurer un climat d’homophobie délétère, nous n’aurions rien d’autre à proposer que de nous faire discrets ?

Et l’égalité, on en fait quoi pendant ce temps-là ? On négocie avec la SNCF, quoi ? un geste ? des tarifs spéciaux sur les Thalys ? On les baptisera abonnements égalité !

En attendant, ah oui, le mariage ! ce ne sont quand même pas quelques gouines qui vont gâcher la fête !



[1] François Hollande, conférence de presse du 16 mai 2013