jeudi 16 octobre 2014

Gouines, pédés : nous avons rendez-vous à l’Existrans !




Confrontés à la violence que représentaient la dernière parade de La Manif pour tous et l’écho complaisant que lui lui ont offert (et continuent de lui offrir) les médias, nombre d’homos se sont interrogés les dernières semaines sur la façon d’y répliquer. Comment exprimer le refus de baisser la tête ? Comment faire entendre la brutalité de la récusation de la légitimité de nos existences qui prétend se dissimuler sous des atours policés ?

Nous avons été quelques-uns à émettre une espérance. Celle d’une implication collective à donner une dimension visible et conséquente à la 18ème marche de l’Existrans programmée pour ce 18 octobre.

Cependant ne nous y trompons pas, cet appel relayé de voix en voix, par des militants, dans nos média et nos associations ne saurait se réduire à une simple opportunité de calendrier.

De cette marche, nous devons faire un tournant. Attester concrètement de notre mobilisation pour les plus vulnérables d’entre nous au sein de la communauté mouvante que nous prétendons constituer.

Il est question là de notre capacité à discerner les urgences, tout en continuant à nous battre sur de nombreux fronts et temporalités. Il est aussi question de nous relever et de joindre nos forces dans une contre-attaque régénérante.

A mon sens, si nous devions définir collectivement une priorité, la question de l’accès au changement d’état civil libre et gratuit, devrait s’imposer sans aucune hésitation, tant les conséquences de ses modalités de contrôle qu’elles soient judiciaires, médicales, économiques ou sociales sont immédiatement mortifères.

Nous devons nous donner les moyens de notre opposition commune à une violence structurelle et cela passe par une démonstration visible.

Et s’il faut préciser les enjeux de cette marche en tant que spécifiquement pédé ou gouine, il faut le dire clairement cette manifestation est nôtre.

Non pas qu’il faudrait la capter à notre profit, y inscrire nos revendications propres, y brandir notre visibilité, ce qui reviendrait à précisément effacer celle que les trans et Intersexes, en dépit d’obstacles innombrables (et parfois même posés par nous, pédés et gouines) tendent par leurs engagements à construire et faire vivre.

Samedi, nous devons faire nombre. Nous comporter comme des renforts acceptant de se placer sous une bannière que nous n’avons pas à écrire. Commençons par reconnaître que les trans et les intersexes sont en première ligne, plus exposés encore que nous ne le sommes, à la violence et aux discriminations. Notre seul mot d’ordre doit être le soutien. Notre apport, l’amplification d’une légitimité autonome du mouvement trans et Intersexe.

Pourtant, les raisons que nous avons à nous impliquer dépassent la seule solidarité. Tout simplement parce que dans les combats que livrent les trans et les Intersexes, ce sont également nos conditions de vie qui se jouent.

Ceux et celles qui pensent n’êtres pas directement intéressés dans cette lutte, ou seulement de loin, se leurrent.

Les freins, les refus, directs ou dilatoires - y compris ceux qui se veulent emprunts de bienveillance - de faire droit aux revendications des trans et des Intersexes s’inscrivent dans une résistance à l’autonomie de la personne dans son autodétermination. Il est ainsi frappant de constater combien, même chez ceux qui se présentent comme nos alliés et prétendent incarner le progressisme face aux renoncements du Parti socialiste, perdure en réalité une lecture normative des problématiques qui les empêche d’aller au bout de la remise en question des mécanismes structurels qui produisent les discriminations.

Les résistances à la volonté de desserrer l’étau des prédéfinitions imposées et rigides de ce que doivent être un homme et une femme (et nécessairement l’un ou l’autre) sont innombrables et multiformes. Il y a encore loin de la réalisation du célèbre slogan féministe « mon corps, mon choix ».

Savoir si nous voulons une société qui enferme dans des carcans qui préexistent à nos parcours, à nos vies et à ce que nous choisissons d’en faire est affaire commune. Une société qui favorise l’imagination, se nourrit des expressions singulières et les respecte ou s’arqueboute sur un modèle qui se prétend immuable et universel et dans la réalité viole jusqu’à nos corps et nos esprits.



samedi 18 octobre 2014, 18ème Existrans,
la marche des personnes trans et intersexes
et des personnes qui les soutiennent,
au départ de Stalingrad à 14 h
http://existrans.org/

vendredi 10 octobre 2014

La convergence des luttes : un égoïsme salutaire





Il y a une dimension franchement réjouissante dans l’enthousiasme qu’a provoqué dans nos réseaux la sortie sur les écrans français du film Pride. A lire les commentaires qui l’ont accompagnée, on pourrait même croire que l’immense majorité des gays et des lesbiennes seraient de fervents apôtres de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la convergence des luttes.

Que cette sortie en France intervienne après plus de deux ans de désillusions et d’éprouvant matraquage homophobe n’y est certainement pas étranger. Elle tombait à point nommé pour répondre à un besoin évident de comédie, d’insertion et de fierté, un besoin d’autant plus criant qu’elle coïncidait quasiment avec l’énième remontée de lait fielleux de la Manif pour tous. D’ailleurs il semble qu’au crépuscule de ce dernier tapage dominical, nombre d’entre nous aient eu l’idée d’effacer de leurs rétines les images odieuses qu’ils n’avaient pu éviter dans la journée en raison du gracieux concours apportés par les chaînes d’infos continues en allant voir ou revoir la comédie britannique. Ainsi nombre de séances ont semblé afficher complet.

Et quelle meilleure réponse en effet, au sentiment d’impuissance que de se regarder, de se projeter en acteur de la résistance face au conservatisme ? Héros plutôt que cible.

A s’y attarder, ne tient-on pas là (une fois écartés la critique cinéphile et le constant déficit de représentation de l’homosexualité), l’une des clés du succès du film ?

Sur le fond, ne devrait-il pas plus à sa qualité thérapeutique, forme de baume sentimental, qu’à une adhésion politique profonde et concrète à ses enjeux.

Qu’on ne s’y trompe pas, il n’est pas question pour moi de sous-estimer l’importance de la transmission mémorielle et la salutaire nécessité d’imposer des traces visibles de nos histoires dans l’imaginaire commun. Au contraire. Il me semble que c’est une bataille cruciale et trop souvent négligée.

Cependant, force est de reconnaître aussi que la convergence de nos jours, à l’exception d’initiatives embryonnaires vite essoufflées faute de relais, emprunte beaucoup au vœu pieu et peu aux traductions palpables. On y peine à dépasser les généreux et généraux slogans désincarnés.

Nous avons le choix au regard du rappel de ces luttes passées – dont il faut souligner aussi qu’elles furent ultra-minoritaires – de nous contenter de les ériger en glorieuses étoiles mortes ou de nous intéresser à leur potentiel questionnement contemporain.

L’engagement de pédés et de gouines aux côtés des mineurs en grève ne relevait pas de l’émotion ni de l’humanisme mais d’une analyse idéologique. Il ne s’agissait pas de défendre des valeurs abstraites dans un défilé incantatoire ni de se conduire en dames patronnesses un peu exotiques, échangeant le missel contre la follitude mais d’élaborer les conditions politiques d’une opposition commune à la manifestation aiguë d’une violence systémique.

Alors éloignons-nous quelques instants de l’image quasi romanesque de pédés et de gouines, avant-garde héroïque des solidarités transversales, pour en revenir à un présent moins enchanteur.

Il ne suffit pas de vouloir s’opposer à notre oppression pour faire de la politique. Ce n’est pas totalement inexact mais néanmoins un peu court. Et me semble-t-il cette question de la politique est au cœur de nos difficultés d’aujourd’hui. Ou plus exactement la dépolitisation de nos combats.

S’il y a un enseignement que nous devrions tirer de la mobilisation de la Manif pour tous, c’est que les conditions de nos existences sont subordonnées à des rapports de force idéologiques. Les avancées conquises, les promesses d’une gauche d’opposition, la soif d’intégration (et ne soyons pas naïfs non plus, nombre d’entre nous n’ont pas d’autre ambition que de faire corps avec les classes dominantes) ont contribué à nous le faire oublier et à nous illusionner.

A force de seriner la chansonnette de l’égalité, de nous en référer aux droits humains, aux grandes valeurs prétendument portées par cette gauche, nous avons confondu professionnalisation (au sens d’acquisition de compétences) et nous en rapporter au système pour qu’il se réforme. Subordonnant sa critique à la perspective de nous y intégrer et/ou la différant à des échéances futures. Ce faisant, nous n’avons fait que nous affaiblir en tant que corps indépendant, potentiellement contestataire et novateur.

L’indigence socialiste et l’obscurantisme en action se sont chargés de nous rappeler à l’ordre. Et nous voilà coincés dans un paradigme inefficace, qui oppose bons sentiments de gauche contre bon sens de droite. Nos aspirations et nos vies exfiltrées, renvoyées au mieux à une anecdotique périphérie quand nous aurions pu en faire l’élément d’une dynamique de transformation globale.

Comble de l’ironie, au vu de l’énergie qu’elle déploie à nous éliminer du paysage, la droite réactionnaire semble être celle qui a le mieux compris ces enjeux. Et l’intérêt de faire valoir l’impact sur la société toute entière de réformes qui au premier abord ne semblent concerner que nous.

Nous en revanche, continuons à insister sur l’idée qu’elle ne ferait que nous ouvrir des droits et à refuser d’envisager l’opposition et les réticences en termes conflictuels. Nous conforte dans ce choix l’idée que la majorité de la population serait plutôt favorable aux évolutions que nous réclamons. Certes. Mais de fait nous renonçons à impliquer cette majorité au-delà d’une vague indifférence relativement bienveillante, là où seraient nécessaires des actes et de la volonté pour déverrouiller les blocages que s’efforce de solidifier la minorité active de nos opposants.

Cette référence constante au droit finit par devenir tautologique, la revendication, entre personnes de bonne composition, vaudrait en elle-même justification. Et nous cantonnons notre discours à la résolution (nécessaire) de difficultés matérielles et à la morale (l’égalité, c’est bien ; l’exclusion c’est mal) mais nous sommes absents du rapport de force. Ainsi nous contribuons nous-même à minimiser le fait qu’il y a bien en cours un affrontement idéologique substantiel dont l’enjeu nous dépasse et n’est rien de moins que la reconduction de la domination conservatrice sur l’organisation sociale dans son ensemble.

Rendre possible l’action des politiques, c’est les convaincre qu’ils auraient à y gagner ou à tout le moins que le prix de leur inaction serait douloureux. A ce compte-là, les menacer d’une abstention d’un électorat LGBT (même s’il était constitué) s’apparente une plaisanterie.

La convergence des luttes dans cet esprit relève donc d’un nécessaire et salutaire égoïsme. Et l’âpreté des luttes des minorités politiques ne fait qu’en renforcer l’exigence.

Une exigence concrète et oui presque égoïste. Parce que seuls, nous ne pesons pas. Mais aussi parce que nous n’existons pas ex-nihilo, n’en déplaise à certains qui voudraient opposer artificiellement homos et classes populaires, réformes de société et politiques économiques et inscrire dans l’imaginaire collectif qu’il n’y aurait de gays que privilégiés.

Dans la réalité, les vulnérabilités s’ajoutent les unes aux autres et renforcent leurs effets. Eliminer des sources de fragilisation ou des obstacles à l’autonomie (économique, politique et affective) ne peut que permettre de mieux assumer son orientation sexuelle ou son identité de genre et de résister aux pressions, discriminations et violences qui s’exercent sur l’individu en raison de celles-ci.

Plus l’accès au logement, à l’éducation, au travail est compliqué, plus il peut être délicat de faire son coming out. Et inversement comment se défendre, comment porter plainte, en cas de discrimination ou d’agression si tu risques d’y laisser ton job, ton appart, tes solidarités familiales ?

Une exigence politique. Parce que les discriminations et la vulnérabilité des individus sont politiquement et socialement organisées. Et si elles peuvent paraître au premier regard sans liens apparents, elles sont en fait le résultat d’une même logique qui permet à quelques-uns de s’approprier richesses et privilèges aux dépens d’une majorité dont on organise la précarité.

Maintenir des individus dans des statuts de fragilité par rapport à la norme (lié à leur identité sociale, leur situation économique, leur origine, leur sexe ou leur orientation sexuelle), c’est les empêcher y compris matériellement de remettre en question individuellement et collectivement les conditions de vie qui leur sont faites et les institutions qui les produisent.

Ce sont les mêmes forces qui s’opposent aux luttes sociales, économiques et sociétales, au service d’un même système de domination. La fragmentation des luttes permet de mieux les juguler, voire de les opposer artificiellement et de maintenir un équilibre favorable au maintien de ce système.

En outre, la casse des solidarités qu’elles soient politiques ou publiques permet de proposer en leur lieu et place des alternatives commerciales dont l’objectif premier devient la rentabilité au profit de leurs actionnaires et ne bénéficient qu’à une minorité en capacité de se les offrir. Une organisation qui en retour, contribue à conforter encore la dynamique inégalitaire de la société.

Alors le succès de Pride était-il cinématographique ? Thérapeutique ? Ponctuel ? Flattait-il seulement nos fiertés malmenées ? Ou portons-nous vraiment le désir de nous opposer à cette dynamique inégalitaire dès lors qu’elle ne nous agresse pas au premier chef ? Et l’oublions-nous dès qu’elle s’éloigne un tant soit peu de nos personnes ? Une occasion nous est donnée de répondre dès le 18 octobre prochain. LGBT, psalmodions-nous. Ce jour-là à Paris, les trans et les intersexes, qui plus encore que les pédés et les gouines paient le prix des reculs des gouvernements socialistes seront dans la rue pour essayer d’arracher au moins le changement d’état-civil libre et gratuit sans condition médicale ni homologation par un juge.

Allons-nous faire front ?




samedi 18 octobre 2014, 18ème Existrans,
la marche des personnes trans et intersexes
et des personnes qui les soutiennent,
au départ de Stalingrad à 14 h
http://existrans.org/

vendredi 3 octobre 2014

GPA : un Premier ministre contre le droit




Manuel Valls prétend qu’il serait incohérent de reconnaître à des parents leur autorité, pire même il prétend leur refuser cette qualité de parent au prétexte de la prohibition sur le sol français de la technique de procréation qu’ils ont utilisée pour mettre au monde leurs enfants. Ce refus, il le justifie au nom du rôle des parents « responsables de l’éducation des enfants, c’est-à-dire chargés de la transmission de nos droits et de nos devoirs. »[1]

Ainsi, le fait de contourner la loi française les disqualifierait dans leur qualité parentale. Si on s’en tient à cette logique, toute infraction à la loi devrait produire les mêmes effets et tout parent ayant commis une infraction ou un délit devrait être aussitôt déchu de ses droits parentaux puisqu’il ne serait plus en état de jouer son rôle de modèle et de transmettre les valeurs du respect de la loi.

Le Premier ministre nous assure penser à la protection des enfants nés par GPA, protection qui  passerait par une mesure de substitution à l’autorité parentale.
En bref, pour les protéger, commençons par déconsidérer leurs parents et les déchoir de leur autorité. Des parents dont même Manuel Valls reconnaît qu’ils le sont (parents) quand, pas à une contradiction près, il déclare que ces enfants ont bien une filiation tout à fait légale : « Ils ont une filiation et une identité, mais établies à l’étranger ».

Alors ces parents maltraitent-ils leurs enfants ? Ce qui est somme toute la seule question qui devrait s’imposer en matière de droits parentaux ; non, seul le mode de conception qui a présidé à leur naissance est en cause. Mais cette question a-t-elle vraiment à être posée là ? Dîtes-nous comment vous avez conçu vos enfants ? De la réponse à cette question dépend que nous permettions ou non à vos enfants de bénéficier de leurs liens de filiation et des droits qui les accompagnent !

 Et puisque Manuel Valls entend faire du respect du droit le critère d’accessibilité à nos responsabilités et devoirs, appliquons cette logique Vallsienne à ses propres déclarations.

Le 26 juin dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour son refus de retranscrire leur filiation à des enfants nés d’une gestation pour autrui. La France avait jusqu’au 26 septembre, pour faire appel de cette décision (qui ne remet en rien en cause l’interdiction de la GPA par la France) et elle ne l’a pas fait. L'arrêt de la CEDH est donc devenu définitif.

Pourtant Manuel Valls affirme que « le gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers ». Si cette affirmation conduit la France à refuser à nouveau à des enfants nés à l’étranger cette transcription de leur état civil, elle s’expose à de nouvelles condamnations.

Alors paraphrasons un peu Manuel Valls, j’ajoute qu’il est incohérent de désigner comme Premier ministre une personne qui contourne clairement le droit … tout en affirmant qu’il est responsable des plus hautes obligations de l’Etat, c’est-à-dire chargé de la transmission de nos droits et de nos devoirs.