jeudi 16 mars 2017

LGBT à l’honneur et honneur des LGBT



En 2017, la réception à l’Elysée de représentants associatifs LGBT est une information.
Tel est le premier constat et il n’honore personne.

Il montre qu’en dépit des avancées et des oppositions, les luttes des associations et des activistes et militants gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes demeurent tout sauf banales.

Il faudrait donc d’une certaine façon rendre hommage à François Hollande de ce geste qu’il adresse à la fois à ses convives et à la société dans son ensemble ?

Seulement voilà, cette invitation souligne par sa dimension exceptionnelle, son caractère problématique.

Car, dans la mesure où c’est la loi de la République que de s’incarner à travers des symboles et du cérémonial et l’une des fonctions du Président que de figurer dans la dimension une et indivisible de la République le rassemblement en son sein de toutes ses composantes, une telle réception ne devrait pas attirer l’attention plus qu’une ligne parmi d’autres dans un agenda élyséen. Et sa fréquence ne devrait pas trancher avec la régularité de rendez-vous qui réunissent d’autres corps intermédiaires de la société civile.

Or qui pourrait nier que ce soit pour s’en réjouir, s’en gausser, la critiquer, la mépriser ou s’y opposer, que cette réception de vendredi garde un aspect événementiel ?

Bref, depuis 5 ans que François Hollande préside, les militants pinky les plus institutionnels auraient déjà dû se fondre sans plus ni moins de grâce qu’un pot de fleur hétéro et cis dans la mare aux canards des Garden Party juillettiste.

Ce qui m’amène assez naturellement au calendrier.

Les militants LGBT, qui sont par définition, relativement familiers de la notion de retournement du stigmate, ne pourront qu’apprécier combien François Hollande emprunte à une méthode qui n’en est pas au fond très différente.

Car de quoi faudrait-il en fait le créditer, si ce n’est de transformer en vertu une action qui vaut en grande partie pour ce qu’elle tranche avec l’absence qui la précède.

Jusqu’au dernier brin, François Hollande usera de la ficelle de l’éternelle virginité de la gauche par opposition à ses prédécesseurs et à la droite.

Et ses rejetons (dont on ne sait d’ailleurs toujours pas lesquels font office d’héritiers en attendant que le suffrage donne l’onction) ont retenu la méthode qui font de même, s’exonérant chacun à leur façon de rendre des comptes de la part qu’ils ont pris au bilan quinquennal.

Voilà donc les LGBT conviés au bal des entrants à l’Elysée, à chausser les pointes pour, à leurs propres objectifs défendant, être les protagonistes de quelques ultimes pirouettes à gauche prétendant faire oublier que le cavalier est sortant.

C’est le sort des minorités politiques pour qui la porte est étroite dans la lutte pour faire valoir la dignité de leurs vies comme la justesse et la nécessité de leurs engagements contre les violences et les haines recuites.

Coincées entre l’acceptation de reconnaissances qui leur sont dues et ont été arrachées du fait de leurs combats et les instrumentalisations des politiques cherchant à inverser l’humilité d’hommages qu’ils doivent en mérite et espoirs à-valoir dont il faudrait leur être redevables.

Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler la visite du Président au chevet de Théo Luhaka le 7 février dernier à l'hôpital d’Aulnay-sous-Bois, quand dans le même temps sa majorité parlementaire non contente d’avoir renié ses promesses de campagne vote en dernière loi de son exercice un élargissement inique de la légitime défense.

Sortir du complexe de Cendrillon, c’est rappeler que la politique est un rapport de force dans lequel les minorités n’obtiennent d’avancées qu’à condition de refuser d’entretenir la geste dans laquelle c’est le politique qui honore.

C’est rappeler qu’ils sont acteurs au sens d’agissants et non pas seulement de représentation.

Rappeler que cette invitation à l’Elysée est le fruit d’une histoire et d’affrontements.

Ce quinquennat ne déroge pas à cette règle. Il suffit de contextualiser le calendrier des réceptions par le Président de la République.

Ce sont les porte-parole de l’Inter-LGBT reçus suite à la manifestation de militants devant Solferino en réaction à François Hollande envisageant de soumettre nos droits à une clause de conscience.

Ce sont des représentants de l’Inter-LGBT, du Centre gai et lesbien d’Ile de France et de SOS Homophobie reçus au moment précis où la communauté décide de remettre en question frontalement le bilan du gouvernement sur les questions LGBT et de ne pas permettre que celui-ci en impose sa version.

Ce sont des représentants reçus ce vendredi à quelques semaines des élections présidentielles et législatives.
Dernière tentative de redorer à peu de frais le bilan de cinq années qui auront vu les gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes subir un backlash de violences largement nourri par les instrumentalisations, atermoiements et renoncements des gouvernements Hollande et qui voit les héritiers au mieux resservir les mêmes promesses qu’en 2012 avec moins encore de garanties de les tenir et des copiés-collés de déclarations hollando-vallsiennes sur la nécessité de ne pas heurter ceux qui nous violentent.

On notera aussi que cette réception intervient à deux jours de l’organisation de la seconde Marche pour la Justice et la Dignité.1

Une marche à l’appel des familles victimes de violences policières qui intervient dans un contexte où la radicalisation autoritaire et anti-sociale de la politique du gouvernement et l’extension des violences institutionnelles ont conduit à des mobilisations collectives et des rapprochements entre activistes et militants de divers fronts (état d’urgence, loi travail, soutien à la famille d’Adama Traoré, à Théo Luhaka, 8 mars …).

Une solidarité en marche, une coalition des minorisés et une ébauche de repolitisation collective autonome que le gouvernement attaque de toutes ses forces.
Et notamment par la voix de Gilles Clavreul, son Préfet, Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et hop, depuis moins d’un an à la lutte contre la Haine anti-LGBT (DILCRAH2) , c’est-à-dire, tiens donc, depuis que le gouvernement a compris que l’ouverture du mariage ne lui garantissait plus bilan choupi-choupi.

Attardons-nous quelques instants d’ailleurs sur l’intitulé et le vocabulaire choisis du carton d’invitation qu’ont reçu les impétrants.

On notera bien sûr que la formule évite soigneusement toute mention d’une quelconque forme de lutte, de politisation, de militance et évidemment de communauté.

Mais on enregistrera aussi que si le Président de la République invite « des actrices et des acteurs engagés contre la haine et les discriminations anti-LGBT », avec un "des" qui est article partitif (ce qui signifie donc qu’il invite une partie de ces acteur.e.s. engagés), en réalité sur le carton, il a été choisi d'écrire « en l'honneur des actrices et des acteurs » avec un "des" qui lui est un article défini (c’est-à-dire l’outil de la détermination complète). En conséquence de quoi, en bon français, l'Elysée prétend définir qui sont les acteur.e.s de ces luttes.

Qu’il y ait choix des invités c’est de bonne guerre et que ce choix se fasse, en priorité, en privilégiant plutôt les moins critiques aussi.

Par contre un mouvement qui se veut autonome se doit à minima de dénoncer qu'il y a eu tri et la dimension politique de ce tri, sauf à s’en arranger et accepter de servir des intérêts qui sont ceux du politique et non ceux des LGBT.

Il y aurait à s’inquiéter aussi que ce tri en indique un autre à venir (prévisible ?) : à savoir que les financements de projets relevant de la DILCRAH aient été attribués non pas en fonction de leur utilité mais avec cette même grille idéologique inversement proportionnelle à l’indépendance politique.

Pour le reste que l’Elysée fasse de la politique, c’est la moindre des choses. C’est pourquoi d’ailleurs, veillant à ne pas verser dans une caricature, quelques invitations ont été adressées à des représentants qu’on ne peut soupçonner de complaisance. En revanche, on aura bien compris qu’ils seront très minoritaires.

Je n’ironiserai pas plus qu’en passant sur le fait qu’il semble que quelques invitations se soient égarées dans l’espace sidéral du net. Qu’on apprenne alors qu’Alice Coffin questionne la légitimité du tri effectué et s’en émeut, que ce sont celles d’Act Up et de l’AJL qui ne sont pas parvenues à leurs destinataires est sans doute pur hasard.

J’ajouterais, pour être très claire, que la question n’est pas de savoir si les structures et personnes « oubliées » y seraient allées ou pas.

En fait d’ailleurs, cette question de se rendre ou pas à l'Elysée ne me semble que de très peu d’intérêt à partir du moment où elle n’est pas posée en termes politiques et collectifs et de faire savoir.

Un boycott collectif argumenté et médiatisé, aurait eu un sens. Y aller peut en avoir aussi : porter des paroles silenciées, interroger le tri, contrecarrer le bilan tout positif qu'on veut vendre à l'opinion publique et rappeler que l'honneur des activistes n'a pas attendu que l'Elysée nous remette un diplôme, et qu'à l'inverse les activistes ne sont pas prêts d'organiser une cérémonie à l'honneur des gouvernements socialistes …

2Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH)