mercredi 16 juillet 2014

GPA : Cachez ces enfants qu’on ne saurait voir





Dans une lettre ouverte[1], publiée dans Libération le 13 juillet dernier, et adressée à François Hollande, un aréopage de personnalités s’offusque que la Cour européenne des droits de l’homme ait condamné la France pour son refus de retranscrire leur filiation, y compris paternelle (au demeurant biologiquement avérée) à des enfants nés d’une gestation pour autrui[2].

Une situation qui privait de ce fait ces enfants de leurs droits élémentaires à bénéficier de leur état civil et de leur nationalité, les transformant en sans-papiers dans leur propre pays.

Pourtant loin de se réjouir de la réintégration de ces enfants dans leurs droits, ces personnalités demandent à François Hollande de s’opposer à cette décision.

Concédant à reculons qu’il serait « concevable de trouver des solutions techniques pour améliorer la situation juridique des enfants présents sur le sol français sans succomber à ce qui est un triomphe de l’industrie de l’enfantement sur commande, et sans que cela leur coûte le statut d’être humain par la reconnaissance de l’efficacité du contrat de mère porteuse qui les a désignés comme une chose. »

Selon les auteurs de cette lettre donc, permettre à un enfant de bénéficier des protections légales auxquelles il a droit le transformerait en chose, tandis que lui concéder un statut juridique de seconde zone et dérogatoire (dont on ne sait d’ailleurs pas très bien ce qu’il pourrait être) ne bafoue en rien son statut d’être humain.

En outre, en admettant même que l’on veuille suivre les auteurs de cette tribune sur la voie de l’assimilation pure et simple des pratiques de gestation pour autrui à un commerce, il est assez déconcertant de lire sous la plume de certains parlementaires que ce serait l’encadrement juridique qui réifierait et non la pratique elle-même (opinion que je ne partage pas) ou son organisation sauvage.

Cette tribune n’a de cesse d’emprunter au vocabulaire commercial pour mieux asséner son point de vue et il y a quelque chose d’indécent quelle que soit son opinion quant à la GPA d’en arriver à prétendre que des individus qui recourent à ce mode de conception ne seraient préoccupés que de faire valider la pratique plutôt que par la protection de leurs enfants.

Assimiler ces parents à des consommateurs de pizzas livrées à domicile est injurieux, pour ces parents comme pour leurs enfants. Et à lire cette tribune, on peut se demander qui transforme ces enfants en chose ? Est-ce ceux qui les ont voulus ? Ou ceux qui leur affirment que leur mode de conception les exclut de l’humanité ?

La gestation pour autrui interroge. Et c’est heureux. La pratique existe et se développe. Et force est de reconnaître que les réponses apportées par la France sont insatisfaisantes et n’empêchent en rien les risques d’exploitation de femmes en situation de vulnérabilité.

Mais plutôt que nous appeler collectivement à la réflexion, nous préférons adopter une position prétendument morale de condamnation. Les auteurs de la tribune prétendent que la reconnaissance des enfants ouvrira la voie à une discrimination par l’argent entre ceux qui pourront se payer une GPA et les autres qui subiront l’interdiction. Mais dans quelle tour d’ivoire vivent-ils ? C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Et les enfants n’ont pas à en payer le prix.

Loin de mettre un terme à la commercialisation, l’interdiction la favorise. Et génère des pratiques douteuses, des organisations plus ou moins mafieuses, du trafic. A défaut d’encadrement légal, l’argent devient même le principal vecteur structurant de ces pratiques.

Il n’est jamais bon que le droit ignore la réalité - cela ne fait pas disparaître les problèmes. Ne serait-il pas de notre responsabilité de trouver des solutions dont d’autres ne s’encombrent pas ?

Mais nous préférons nous donner bonne conscience en interdisant la GPA sur notre territoire. Oups, par un tour de passe-passe, nous sommes les bons. La GPA, c’est pas chez nous.

Et pour cause, nous l’avons délocalisée !

mardi 8 juillet 2014

Une réussite, la Marche des Fiertés, vraiment ?




Une fois passée la satisfaction d’avoir, après une autre année difficile, pu marcher quelques heures au sein de ses pairs, d’avoir exprimé frustrations, indignations, colères contre les innombrables reculs du gouvernement, reculs ratifiés par le parti socialiste - car faut-il rappeler cette réalité, y compris dans un quinquennat présidentiel, un gouvernement n’existe pas sans le soutien d’une majorité parlementaire-, l’heure est-elle à se féliciter ou à s’interroger sur la réelle portée de cette marche ?
Je précise qu’il n’est question ici que de la Marche parisienne, qui revêt certaines caractéristiques qui lui sont propres et ne me paraît pas avoir à remplir exactement aux mêmes fonctions que les marches en régions.

Certes il n’est en 2014 toujours pas négligeable d’être visibles et de faire nombre, ni de s’offrir du plaisir à défiler ensemble au cœur de la Cité.

Cependant à lire commentaires et comptes-rendus tant sur les réseaux sociaux que dans les médias, la réussite de cette édition tiendrait à un renouveau de son caractère politique, et preuve en serait l’omniprésence des messages et pancartes fustigeant les abandons d’une loi destinée à déjudiciariser et démédicaliser le changement d’état civil pour les trans, de l’ouverture de l’accès de la PMA à toutes et tous et, dernière actualité, des ABCD de l’égalité.

La concomitance de ce dernier recul avec la Marche me semble devoir à minima nous interroger sur la considération portée à nos mouvements et sur la réalité de leur poids politique. Surtout si on y ajoute que le vendredi précédant cette Pride a également vu boucler le vote d’une loi famille soigneusement expurgée de tous les éléments censés nous concerner. C’est dire si la perspective d’une Marche des Fiertés à charge contre la politique de Hollande et consorts ne constitue guère un motif de préoccupation dans les esprits de nos dirigeants.

Et après tout ont-ils tort ? Car si toutes les marches ont battu leurs records d’affluence en région, ce fut loin d’être le cas à Paris. Et si les pluies diluviennes de samedi ont certainement joué un rôle dans cette faible mobilisation (très éloignée des 700 000 participants de Cologne ou du million de personnes défilant à Madrid), on ne peut se contenter de cette explication.

Quant à l’écho médiatique, si on s’y attarde quelques instants, que constate-t-on ? La relative bonne couverture de la presse écrite et/ou en ligne ne peut faire oublier que les journaux de 20h de TF1 et France 2 ont carrément fait l’impasse sur la manifestation (et ce n’était pas par manque d’espace ou de temps, mais par choix éditorial). Les chaînes d’info continue et les radios ont pour leur part assuré une couverture minimale.

Mais quel message fut envoyé ? Que la PMA avait été renvoyée aux calendes grecques et que les lesbiennes, pédés et trans s’estimaient trahis par leur allié traditionnel. Cette information apportait-elle quelque chose de nouveau par rapport aux messages d’ors et déjà véhiculés par ces mêmes médias depuis des mois, assurément non. J’ajouterais cependant un bémol à mon propos en posant l’hypothèse d’une meilleure visibilité des trans qu’à l’accoutumée ?

Cette marche n’a pas pesé sur les décisions ni du gouvernement ni sur la solidarité témoignée de fait par le PS aux choix de ce dernier. N’a réussi à faire passer aucun message nouveau. Et n’a somme toute exprimé qu’une colère modérée et impuissante.

Tolérant même que Jean-Paul Huchon, au cœur du carré de tête de la manifestation, déclare à propos du choix de ne pas ouvrir l’accès à la PMA qu’il « peut comprendre aujourd’hui que le gouvernement essaye de ne pas élargir la fracture [ouverte par la bataille du mariage] et de ne pas relancer la bagarre là-dessus », renvoyant cette ouverture à « un jour ou l’autre, il faudra bien en passer à la PMA »[1]. Un jour ou l’autre !
En attendant, ce qu’était venu afficher Huchon à la marche, ce n’était donc pas son indignation devant les renoncements du gouvernement mais au contraire son soutien à la politique d’apaisement de celui-ci. Ce qui n’a semblé poser problème à aucun des militants qui l’entouraient à l’avant-garde de cette marche.

Pourtant c’était exactement ce qu’était censé combattre cette manifestation : cette compréhension officielle de la discrimination, affichée depuis la clause de conscience, qui n’est rien d’autre qu’une validation de l’homophobie. Une autorisation symbolique venue du sommet de l’Etat, inscrivant certaines des violences qui s’exercent sur nous dans la catégorie de l’admissible.

Pire encore, en opposant notre accès au droit commun à la paix civile, il est clairement posé que ces violences à notre encontre ne sont même pas considérées comme portant atteinte à cette paix. Qu’il n’y a pas là de fracture ! Ce qui revient à nous renvoyer de facto à un statut de second rang.

Et bien ! heureusement que cette marche était celle de la colère. Qui permet à un responsable socialiste de venir parader à sa tête en prêchant la compréhension de choix qui nous maltraitent ! Et seulement agacés, on faisait quoi, on offrait un mégaphone à Manuel Valls ?

En fait cette marche était en réalité à l’image d’un mouvement gay, lesbien et trans qui n’a pas fait son aggiornamento.

Traversé par la colère mais incapable d’aller au bout de ses constats et de consommer la rupture avec un allié dont il a pris l’habitude de tout attendre. Sans doute effrayée par la nécessité de réinventer ses modes d’actions et l’articulation de ses revendications, la nébuleuse LGBT hésite entre se donner les moyens de son autonomie et patienter sans trop irriter les responsables du PS en attendant leur retour à de meilleures dispositions.

Alors ménageant la chèvre et le chou, avec la trouille de perdre ses soutiens familiers et les rares subventions qui lui tiennent lieu de moyens, désemparée, elle s’efforce de dissocier socialisme gouvernemental et socialisme local, acceptant une distribution des rôles qui n’est qu’à moitié recevable entre bad et good cops.

Une stratégie risquée qui loin de pousser les uns et les autres à revoir leur implication à la hausse pourrait au contraire permettre aux gentils de se reposer sur leurs acquis et de se contenter de gestes symboliques qui par comparaison à leurs collègues suffiraient à leur assurer leur badge gay friendly.

Madame Hidalgo et monsieur Huchon prétendent vouloir lutter à nos côtés ? Prenons-les au mot. Cessons de nous adresser à eux en ordre dispersé et de nous satisfaire de bouts de ficelles au prétexte que la droite nous a toujours refusé ces mêmes appoints. Proposons à ces élus d’établir ensemble un véritable cahier des charges de ce que serait une politique ambitieuse d’intégration des homos et des trans à la vie de la région.

Et de notre côté, sortons de l’allégeance. Réinvestissons le culturel, tournons-nous vers la société civile, ancrons à nouveau nos mouvements dans une contestation plus vaste de l’injustice sociale, dans un mouvement général de lutte contre les systèmes d’aliénation et de domination. Contre ces politiques qui fragilisent et précarisent toujours plus les populations les plus vulnérables quand elles n’en font pas des boucs émissaires et des cibles.

Rénovons la façon dont nous portons nos revendications afin de leur redonner leur charge imaginative et conquérante. L’égalité nous a enfermé dans une demande de remise à niveau au détriment de la dynamique transformatrice. Entre la doléance catégorielle et la sujétion à un statu quo qui nous inclurait. Comme si notre seule préoccupation était d’obtenir une place dans la société telle qu’elle est. Avec pour résultat d’ailleurs de n’obtenir au final qu’un strapontin ! et un impact minimal.
Le mariage a-t-il été rénové ? La famille s’est-elle enrichie de nos modes de vie ? Les parents (hétérosexuels) ayant recours à la PMA peuvent-ils s’en ouvrir plus sereinement au-delà de leurs cercles intimes ? Nos déconvenues nous dépassent.

Nos outils et nos discours sont inefficaces, périmés. Allons-nous tirer les leçons de la séquence qui s’est terminée avec l’adoption d’une forme de mariage qui ne protège même pas nos familles et n’est toujours pas accessible à certains des nôtres ou préférer l’étirer en une lente impuissance ?

Nos adversaires s’organisent, mutualisent leurs forces (bien plus considérables que les notres), gagnent du terrain mais nous, nous n’en sommes encore qu’à témoigner de notre colère ?

La politique est affaire de rapports de force et de domination idéologique ; si nous voulons nous en mêler, il va nous falloir nous inventer de nouvelles ressources et réveiller notre imagination collective.

L’année dernière, le collectif Ouiouioui évoquait l’idée de rassembler des Etats généraux de l’homosexualité, sans en avoir la capacité organisationnelle.

Des Etats généraux ouverts. Non seulement aux militants et aux associatifs mais également aux électrons libres qui ne trouvent pas leur place dans le mouvement d’aujourd’hui et aux nouvelles transversalités – embryonnaires encore, certes – qui tentent de s’organiser. Ce pourrait être une piste. Un petit pas vers une autonomie désespérément nécessaire.


Gaypride Paris 2014 - Le Reportage - 28/06 (à partir de 2’50) ; GayvoxVideos