mercredi 4 avril 2018

Act Up-Paris bouge encore




Le désormais ancien président d'Act Up-Paris, Remy Hamai, dénonce un "entrisme politique" de la part de nouveaux militants politiques, venus notamment du Parti des Indigènes de la République ainsi que de collectifs d'aide aux migrants qui seraient venus grossir les rangs d'Act Up-Paris.
Faisant rimer cette affirmation d'origine avec source de dissension et de détournement politique.
Passons rapidement sur la dimension risible de l'accusation d'entrisme coordonné ...
SI des militants issus de ces luttes en viennent à rejoindre la lutte contre le sida, n'y aurait pas là plutôt matière à se réjouir que la lutte contre le sida séduise au-delà des bassins plus historiquement habituels et concentrés de recrutement de cette lutte ?
Il paraît un peu paradoxal de déplorer l'élargissement des cercles de motivés plutôt que de chercher, même si ça ne va pas sans épisode conflictuels, comment cette lutte pourrait s'enrichir de cet apport de forces nouvelles et de cette confrontation de points de vue ? Surtout quand on parle d'une association moribonde, puisque l'ex-président d'Act Up-Paris le reconnaît lui-même, en dépit des efforts de l'ancienne équipe, l'association ne comptait plus qu'une dizaine de militants.
Et à l'heure où les luttes communautaires sont dépréciées de toute part, où le racisme ne cesse d'étendre son emprise sur les imaginaires et réalités politiques, où les offensives contre les migrants flambent littéralement, où le gouvernement s'apprête à faire voter une loi aggravant de façon jamais atteinte les répressions qu'ils subissent et renoue avec les expulsions de malades étrangers y compris vers des pays où ils ne pourront pas se soigner, où on voit la présidente de la région Ile de France refuser en toute illégalité d'appliquer le jugement du tribunal administratif lui ordonnant de redonner le droit à la solidarité transports aux bénéficiaires de l'Aide médicale d'Etat, il y aurait plutôt à se féliciter de voir expertise de la lutte contre le sida et expérience du racisme et des politiques anti-migrants se rapprocher les unes des autres.
De nouveaux militants ne pourraient-ils apporter un regard différent sur des problématiques actuelles, une expertise différente de concernés sur les conséquences directes et concrètes de politiques racistes ? Comme sur l'impact de la précarisation, de l'inégalité de l'accès aux soins, à la prévention, au logement, à l'université, au travail. Comme sur l'impact de la répression policière et économique. Comme sur l'impact des contrôles au faciès sur les possibilités de se déplacer, de faire valoir ses droits.
Toutes politiques qui ont des conséquences sur les vulnérabilités et les possibilités d'être acteurs de sa santé.
Et ce combien même, comme le déplore l'ancien président d'Act Up-Paris, ces militants auraient été convaincus par l'écho médiatique autour de 120BPM et seraient arrivés pour « profiter de l'héritage historique de l'association ».
Après tout, n'est ce pas un peu le lot de tout militant arrivé à Act Up-Paris que d'avoir profité d'un héritage bâti par ces prédécesseurs et des médiatisations successives de l'association ?
La question n'est donc pas là mais dans ce qui en sera fait. Et ça, ce sont les actes qui nous le diront.
Que l'arrivée de nouveaux 5 fois plus nombreux que le noyau qui avait subsisté déstabilise ses membres plus anciens est sans aucun doute inévitable, et on comprend que le changement de dimension soit moins confortable que des discussions en cercles quasi intimes mais il n'y a pas là, trahison de l'histoire d'Act Up-Paris qui fut constellée d'échanges houleux et de débats parfois plus que musclés.
La différence réside peut-être que confrontée à des arrivées massives, comme ce fut le cas par exemple au lendemain du premier sidaction, l'association pouvait même en tanguant s'accrocher à une structuration garante de pérennité. Quoi qu'on puisse se questionner par ailleurs, et à différents stades de la vie de l'association, sur la pertinence de cette pérennité.
Act Up-Paris a toujours été une association politique, et son aide aux malades a toujours été de lutter d'abord contre les causes structurelles et systémiques qui leur nuisent. Sa dimension concrète résidant moins dans la gestion des cas individuels que dans sa capacité à faire ressortir de ceux-ci leur dimension emblématique susceptible de résoudre pour tous et toutes les problèmes ainsi révélés. C'est ainsi que l'association s'est inscrite dans un tissu associatif communautaire aux savoirs-faire complémentaires.
Quand un ex-président d'Act Up-Paris se met à user du vocabulaires des détracteurs d'Act Up-Paris, parlant de victimes du sida et qualifiant de "violentes" même avec des guillemets, les actions passées de l'association, il fait des contresens qui contredisent l'histoire et l'identité de l'association.
Non, Act Up-Paris n'a jamais dit non plus "Tout le monde est séropositif », seulement tout militant d'Act Up-Paris accepte de passer pour un séropositif, la différence étant qu'il ne s'agit pas de prétendre au vécu d'un séropositif mais d'affirmer le refus du stigma.
La crédibilité d'Act Up-Paris repose certes sur son passé et son image, une marque étonnamment résistante. Mais surtout sur son expertise de l'épidémie, sa capacité à travailler et argumenter ses dossiers et la réalité de son efficacité contre cette épidémie.
Act Up-Paris saura-t-il sortir de ses propres rituels, quand le 1er décembre n'est plus qu'une institution, le jeter de sang, pseudo romantique, usé jusqu'à la corde et bien souvent sa prise de parole dans les lieux de décision, la petite critique radicale attendue de la plus turbulente des associations chère à Eric Favereau ? Adapter sa communication à l'heure des réseaux sociaux, réconcilier son efficacité verticale à l'horizontalité d'aujourd'hui ?
Mais qu'Act Up-Paris se transforme, voire survive ou pas, est-ce si grave ? Chacun aura son idée sur la question. En revanche, la lutte contre le sida et ses exigences, elles, vont au-delà d'Act Up-Paris. Et quelles que soient leurs actualisations, ce qui est certain c'est que cette lutte ne peut exister dans une opposition insensée entre minorités, entre expertise et politique, entre plaidoyer et action publique, entre antiracisme et lutte contre l'épidémie. Et en s'offrant en appui aux instrumentalisations des détracteurs de ces luttes et aux pourfendeurs des solidarités communautaires. Et ces enjeux-là dépassent le destin d'Act Up-Paris.


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