Si l'exposition de
photographies réalisées par Olivier Ciappa m’intéresse, ce n’est pas tant pour
elle-même que par ce qu’elle révèle en creux.
Olivier Ciappa n'est pas un
militant. Il le dit lui-même. Mieux, il fait partie des homosexuels qui,
jusqu'au mois de novembre dernier, pensait que l'homophobie n'existait plus. Ou
seulement de façon résiduelle.
Ces photos sont nées, il
l’explique, en réaction aux manifestations d’hostilité à l’ouverture du mariage
aux couples homosexuels.
Et si, pour mener à bien
son projet, il s'est adossé à deux associations, Aides et SOS homophobie, cette
exposition n'en reste pas moins le fruit d'une initiative individuelle.
Les clichés, dans un second
temps, devront être vendus et les sommes récoltées reversées au profit du
Refuge, une association qui vient en aide aux jeunes homosexuels rejetés par
leurs parents.
S’il me semble important de
souligner ces éléments, c’est parce qu’ils permettent de comprendre comment des
trajectoires personnelles, au-delà de l’expérience singulière, ont été
impactées de façon semblable par l’homophobie ces derniers mois.
Ces quatre points forment
un schéma éclairant de la façon dont nombre d’homosexuels à priori non
militants ont répondu à l’agressivité qui soudain les atteignait :
- Découverte brutale de la
persistance d’une homophobie haineuse dans une frange non négligeable de la
société.
- Réaction au travers
d’initiatives individuelles, basée sur la créativité et les vecteurs modernes
d’expression (photo, graphisme, réseaux sociaux).
- Recours aux associations
existantes comme ressources structurelles permettant une mise à disposition au
plus grand nombre.
- Soutien accru aux
associations assumant concrètement les dégâts consécutifs aux manifestations de
l’homophobie.
Si cette dimension
individuelle de la réaction s’est avérée si évidente, c’est notamment parce
qu’elle est venue occuper un terrain laissé vacant par les structures
associatives.
Pourquoi une telle
discrétion des associations ?
Pour les unes, leur
vocation n’est pas l’intervention dans le débat public. Leur objet relève de la
convivialité ou du loisir, et ce sont désormais celles dont les adhérents sont
les plus nombreux.
Pour les autres, leurs
effectifs ont fondu. Ce d’autant plus sûrement que de nombreux homosexuels
partageaient avec Olivier Ciappa l’idée que l’homophobie n’était plus qu’un
lointain souvenir.
De ce fait, leurs forces
vives, déjà mobilisées sur le terrain quotidien de l’homophobie, ont eu
beaucoup de mal à mener de front les deux batailles de la prise en charge
concrète et de la réponse idéologique.
Enfin, la délégation depuis
des années à une seule grosse structure, de type interassociative (qui par sa
nature même a tendance à favoriser l’expression du plus petit dénominateur
commun), coincée par sa conception traditionnelle de la politique et sa
proximité quasi incestueuse avec le Parti socialiste a, une de fois de plus,
montré ses limites.
Mon intérêt pour « les
couples imaginaires » ne relève ni de leur aspect artistique, ni de leur
caractère singulier mais au contraire de ce que l’objet nous révèle du substrat
politique.
A ce titre, la mise en
lumière de l’aspect réactif (plutôt que prescriptif) et la forte dimension
d’engagement individuel ne sont pas les seules caractéristiques
"climatiques" que cette exposition permet de dégager.
En effet, en élaborant son
projet, le photographe s’est éloigné de son cliché initial qui le mettait en
scène avec son compagnon pour privilégier les représentations de couples
imaginaires. Fictifs dit-il. Et de fait, les homosexuels réels n’apparaissent plus qu’à
titre d’exception dans cette exposition.
Il est évident que le même
regard ne peut pas être porté sur un travail artistique personnel, même s’il se
revendique d’une portée politique (Olivier Ciappa entend participer à
« apaiser une société en tension avec ses minorités après les débats
difficiles »[1]) que celui
qui pourrait être posé sur un projet associatif.
Néanmoins, il me paraît
significatif, que ce soit à cette expression que les médias aient accordé une
exposition conséquente quant ils ignoraient la plupart des autres messages.
Car au-delà du fait qu’ils
préfèrent éclairer de leurs projecteurs l’initiative individuelle et artistique
plutôt qu’un discours politique supposé rébarbatif, le people plutôt que le
militant, il est assez symptomatique que ce soit une représentation fantasmée
de l’homosexualité qui ait leur faveur. Comme s'il n’y avait de place sur leurs
écrans que pour une homosexualité qui, justement, n’en est pas.
Pourrait-on en déduire que
pour bénéficier d’une exposition médiatique, l’homosexualité devait être
hétérosexuelle ? On peut se souvenir, dans le même ordre d’idée du succès
qu’avait rencontré le baiser de Marseille[2],
quand deux jeunes hétérosexuelles,
choquées par une manifestation anti-mariage avaient décidé de s’embrasser face
aux opposants.
En mettant en scène quasi exclusivement des hétéros
solidaires, l’exposition révèle un autre point, l’absence d’investissement dans
ce débat des personnalités publiques ouvertement homosexuelles. Presque
absentes sur ces clichés, on ne peut pas vraiment retenir qu’elles aient
manifesté leur soutien ailleurs ! et les quelques prises de paroles dont
on peut se souvenir n’ont pas été d’un engagement remarquable.
Quant à ceux qui espéraient des coming-out, ils en
ont été pour leurs illusions.
Le dernier enseignement que je tire de cette
exposition ressort au vandalisme qui s’est exercé dès lors qu’elle s’est
installée dans la rue.
Je ne reviendrais pas sur la dimension totalitaire de
toute destruction et/ou censure d’une œuvre artistique, beaucoup s’en sont déjà
chargés.
Les dégradations infligées à ces photographies ont
modifié la nature même de l’exposition. C’est ce qu’a bien compris le
photographe quand il a pris la décision de ne pas les remplacer mais au
contraire de les exposer en l’état accompagnés de nouveaux tirages.
Ceux qui s’en sont pris à ces photos voulaient
signifier leur volonté de s’opposer à la possibilité d’afficher des couples
homosexuels, même fictifs, dans l’espace public. Ces couples devaient
disparaître. Ne pas exister.
Afficher ces clichés lacérés, c’est non seulement
refuser cet effacement mais aussi montrer, telles qu’ils les ont exprimées, la
volonté de destruction qui anime les homophobes et leur violence.
Durant des mois, il a été répété qu’il n’y avait pas
d’homophobie à s’opposer à la reconnaissance égale des couples homosexuels.
Depuis quelques semaines, le président de la
République (mais aussi le Premier ministre et son gouvernement) tente de
justifier l’enterrement de ses promesses de campagne (ouverture de la PMA aux
couples de lesbiennes, droit des trans) au nom de la nécessité d’apaiser les
tensions nées de sa gestion du dossier mariage.
Cette volonté d’apaisement, Olivier Ciappa s’est
efforcé de lui donner des visages. Les homophobes n’en ont cure.
https://www.facebook.com/ciappa.olivier
Interessant, cependant il n'y a pas que l'interlgbt parisienne, il existe quand même un tissu d'assos en régions, qui font ce qu'elles peuvent, ainsi que le réseau de Contact ou de l'APGL.
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