vendredi 21 avril 2017

Vous avez dit progressiste ?



Il y a différentes façons de priver les personnes de leurs droits. Empêcher l'adoption de ces droits, s'y opposer frontalement, les abroger ou les rendre matériellement inaccessibles à d'autres que des catégories économiquement et socialement privilégiées.

Certains candidats à l'élection présidentielle ne se privent d'ailleurs pas d'utiliser toutes ces méthodes. D'autant plus tranquillement qu'en réalité, eux n'ont pas nécessité de les transcrire dans la loi pour pouvoir se les offrir en cas de besoin.

L'argent blanchit, hétéréoïse et paie des avortements ou des PMA dans des cliniques de luxe à l'étranger.

D'autres prétendent au progressisme de classe. Affichant sur le papier se faire les défenseurs de droits que leur politique économique réserve en réalité à ceux toujours moins nombreux qui pourront les faire valoir. La liberté et l'indépendance demeurant liée à la possession et l'argent.

La casse sociale, le démantèlement de la fonction publique, la précarité, les salaires partiels, cette politique a de tout temps exposé les femmes aux violences domestiques comme d'état, les emprisonnant dans la dépendance et les privant du contrôle de leur corps et de leur vie.

Qui peut publier des bans si cela l'expose à un patron homophobe ? Quel adolescent peut se permettre de s'affirmer si cela signifie perdre les seules solidarités dont il peut espérer qu'elles lui permettent de survivre ?

Les droits ne peuvent se concrétiser en dehors de nos conditions matérielles d'existence.

Alors non, ceux dont précisément les politiques économiques nous confrontent à des choix impossibles entre être ce que nous sommes et des droits aussi primaires que manger et s'abriter sous un toit ne sont pas des progressistes.


jeudi 16 mars 2017

LGBT à l’honneur et honneur des LGBT



En 2017, la réception à l’Elysée de représentants associatifs LGBT est une information.
Tel est le premier constat et il n’honore personne.

Il montre qu’en dépit des avancées et des oppositions, les luttes des associations et des activistes et militants gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes demeurent tout sauf banales.

Il faudrait donc d’une certaine façon rendre hommage à François Hollande de ce geste qu’il adresse à la fois à ses convives et à la société dans son ensemble ?

Seulement voilà, cette invitation souligne par sa dimension exceptionnelle, son caractère problématique.

Car, dans la mesure où c’est la loi de la République que de s’incarner à travers des symboles et du cérémonial et l’une des fonctions du Président que de figurer dans la dimension une et indivisible de la République le rassemblement en son sein de toutes ses composantes, une telle réception ne devrait pas attirer l’attention plus qu’une ligne parmi d’autres dans un agenda élyséen. Et sa fréquence ne devrait pas trancher avec la régularité de rendez-vous qui réunissent d’autres corps intermédiaires de la société civile.

Or qui pourrait nier que ce soit pour s’en réjouir, s’en gausser, la critiquer, la mépriser ou s’y opposer, que cette réception de vendredi garde un aspect événementiel ?

Bref, depuis 5 ans que François Hollande préside, les militants pinky les plus institutionnels auraient déjà dû se fondre sans plus ni moins de grâce qu’un pot de fleur hétéro et cis dans la mare aux canards des Garden Party juillettiste.

Ce qui m’amène assez naturellement au calendrier.

Les militants LGBT, qui sont par définition, relativement familiers de la notion de retournement du stigmate, ne pourront qu’apprécier combien François Hollande emprunte à une méthode qui n’en est pas au fond très différente.

Car de quoi faudrait-il en fait le créditer, si ce n’est de transformer en vertu une action qui vaut en grande partie pour ce qu’elle tranche avec l’absence qui la précède.

Jusqu’au dernier brin, François Hollande usera de la ficelle de l’éternelle virginité de la gauche par opposition à ses prédécesseurs et à la droite.

Et ses rejetons (dont on ne sait d’ailleurs toujours pas lesquels font office d’héritiers en attendant que le suffrage donne l’onction) ont retenu la méthode qui font de même, s’exonérant chacun à leur façon de rendre des comptes de la part qu’ils ont pris au bilan quinquennal.

Voilà donc les LGBT conviés au bal des entrants à l’Elysée, à chausser les pointes pour, à leurs propres objectifs défendant, être les protagonistes de quelques ultimes pirouettes à gauche prétendant faire oublier que le cavalier est sortant.

C’est le sort des minorités politiques pour qui la porte est étroite dans la lutte pour faire valoir la dignité de leurs vies comme la justesse et la nécessité de leurs engagements contre les violences et les haines recuites.

Coincées entre l’acceptation de reconnaissances qui leur sont dues et ont été arrachées du fait de leurs combats et les instrumentalisations des politiques cherchant à inverser l’humilité d’hommages qu’ils doivent en mérite et espoirs à-valoir dont il faudrait leur être redevables.

Ce n’est d’ailleurs pas sans rappeler la visite du Président au chevet de Théo Luhaka le 7 février dernier à l'hôpital d’Aulnay-sous-Bois, quand dans le même temps sa majorité parlementaire non contente d’avoir renié ses promesses de campagne vote en dernière loi de son exercice un élargissement inique de la légitime défense.

Sortir du complexe de Cendrillon, c’est rappeler que la politique est un rapport de force dans lequel les minorités n’obtiennent d’avancées qu’à condition de refuser d’entretenir la geste dans laquelle c’est le politique qui honore.

C’est rappeler qu’ils sont acteurs au sens d’agissants et non pas seulement de représentation.

Rappeler que cette invitation à l’Elysée est le fruit d’une histoire et d’affrontements.

Ce quinquennat ne déroge pas à cette règle. Il suffit de contextualiser le calendrier des réceptions par le Président de la République.

Ce sont les porte-parole de l’Inter-LGBT reçus suite à la manifestation de militants devant Solferino en réaction à François Hollande envisageant de soumettre nos droits à une clause de conscience.

Ce sont des représentants de l’Inter-LGBT, du Centre gai et lesbien d’Ile de France et de SOS Homophobie reçus au moment précis où la communauté décide de remettre en question frontalement le bilan du gouvernement sur les questions LGBT et de ne pas permettre que celui-ci en impose sa version.

Ce sont des représentants reçus ce vendredi à quelques semaines des élections présidentielles et législatives.
Dernière tentative de redorer à peu de frais le bilan de cinq années qui auront vu les gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes subir un backlash de violences largement nourri par les instrumentalisations, atermoiements et renoncements des gouvernements Hollande et qui voit les héritiers au mieux resservir les mêmes promesses qu’en 2012 avec moins encore de garanties de les tenir et des copiés-collés de déclarations hollando-vallsiennes sur la nécessité de ne pas heurter ceux qui nous violentent.

On notera aussi que cette réception intervient à deux jours de l’organisation de la seconde Marche pour la Justice et la Dignité.1

Une marche à l’appel des familles victimes de violences policières qui intervient dans un contexte où la radicalisation autoritaire et anti-sociale de la politique du gouvernement et l’extension des violences institutionnelles ont conduit à des mobilisations collectives et des rapprochements entre activistes et militants de divers fronts (état d’urgence, loi travail, soutien à la famille d’Adama Traoré, à Théo Luhaka, 8 mars …).

Une solidarité en marche, une coalition des minorisés et une ébauche de repolitisation collective autonome que le gouvernement attaque de toutes ses forces.
Et notamment par la voix de Gilles Clavreul, son Préfet, Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et hop, depuis moins d’un an à la lutte contre la Haine anti-LGBT (DILCRAH2) , c’est-à-dire, tiens donc, depuis que le gouvernement a compris que l’ouverture du mariage ne lui garantissait plus bilan choupi-choupi.

Attardons-nous quelques instants d’ailleurs sur l’intitulé et le vocabulaire choisis du carton d’invitation qu’ont reçu les impétrants.

On notera bien sûr que la formule évite soigneusement toute mention d’une quelconque forme de lutte, de politisation, de militance et évidemment de communauté.

Mais on enregistrera aussi que si le Président de la République invite « des actrices et des acteurs engagés contre la haine et les discriminations anti-LGBT », avec un "des" qui est article partitif (ce qui signifie donc qu’il invite une partie de ces acteur.e.s. engagés), en réalité sur le carton, il a été choisi d'écrire « en l'honneur des actrices et des acteurs » avec un "des" qui lui est un article défini (c’est-à-dire l’outil de la détermination complète). En conséquence de quoi, en bon français, l'Elysée prétend définir qui sont les acteur.e.s de ces luttes.

Qu’il y ait choix des invités c’est de bonne guerre et que ce choix se fasse, en priorité, en privilégiant plutôt les moins critiques aussi.

Par contre un mouvement qui se veut autonome se doit à minima de dénoncer qu'il y a eu tri et la dimension politique de ce tri, sauf à s’en arranger et accepter de servir des intérêts qui sont ceux du politique et non ceux des LGBT.

Il y aurait à s’inquiéter aussi que ce tri en indique un autre à venir (prévisible ?) : à savoir que les financements de projets relevant de la DILCRAH aient été attribués non pas en fonction de leur utilité mais avec cette même grille idéologique inversement proportionnelle à l’indépendance politique.

Pour le reste que l’Elysée fasse de la politique, c’est la moindre des choses. C’est pourquoi d’ailleurs, veillant à ne pas verser dans une caricature, quelques invitations ont été adressées à des représentants qu’on ne peut soupçonner de complaisance. En revanche, on aura bien compris qu’ils seront très minoritaires.

Je n’ironiserai pas plus qu’en passant sur le fait qu’il semble que quelques invitations se soient égarées dans l’espace sidéral du net. Qu’on apprenne alors qu’Alice Coffin questionne la légitimité du tri effectué et s’en émeut, que ce sont celles d’Act Up et de l’AJL qui ne sont pas parvenues à leurs destinataires est sans doute pur hasard.

J’ajouterais, pour être très claire, que la question n’est pas de savoir si les structures et personnes « oubliées » y seraient allées ou pas.

En fait d’ailleurs, cette question de se rendre ou pas à l'Elysée ne me semble que de très peu d’intérêt à partir du moment où elle n’est pas posée en termes politiques et collectifs et de faire savoir.

Un boycott collectif argumenté et médiatisé, aurait eu un sens. Y aller peut en avoir aussi : porter des paroles silenciées, interroger le tri, contrecarrer le bilan tout positif qu'on veut vendre à l'opinion publique et rappeler que l'honneur des activistes n'a pas attendu que l'Elysée nous remette un diplôme, et qu'à l'inverse les activistes ne sont pas prêts d'organiser une cérémonie à l'honneur des gouvernements socialistes …

2Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH)

lundi 13 février 2017

Se souvenir d'Arnaud Marty-Lavauzelle






Penser à Arnaud et c'est aussitôt son sourire et sa chaleur qui me reviennent. C’est un souvenir charnel, une sensation physique.
Arnaud rayonnait, dégageait par sa seule présence une solidité et une détermination rassurantes. Evidemment sa stature n’y était pas pour rien.
Ce côté grand ours bienveillant et serein avait un aspect enveloppant et celles et ceux qui en ont cru qu’ils en avaient trouvé un partenaire accommodant, se sont vite heurté à son exigence tranquille.
Trompés par l’aisance avec laquelle il portait les attributs d’une classe au pouvoir, ils sous-estimaient l’acuité de sa colère et la fermeté de ses engagements.
Arnaud avait compris très vite l’intérêt stratégique pour nos luttes qu’il y avait à jouer avec les codes, les présupposés, les interprétations trop rapides et faciles de nos interlocuteurs. A jouer de la symbolique du pouvoir et à retourner contre celui-là sa propre imagination,
Il savait, quand il le jugeait nécessaire, laisser Act Up monter en première ligne, placer la barre le plus haut possible et faire passer ensuite la demande formulée par Aides comme raisonnable et fruit de compromis, pour arracher bien plus que ce que le gouvernement avait initialement compté accorder.
Il savait aussi déstabiliser des négociateurs, n’être pas à la place qu’ils lui assignaient et dont ils imaginaient qu’il se contenterait. Intervertir les figures du gentil et du méchant dont les institutions pensaient avoir fait une arme contrôlable pour la leur faire péter à la figure.
Mener une guerre, c’est aussi cela, faire preuve de sens tactique et Arnaud n’en manquait pas. C’est savoir s’instrumentaliser soi-même. Faire des craintes de l’adversaire, un levier puissant. J’ai vu Arnaud arracher des avancées simplement en prenant la parole le premier. Brandissant en non-dit menaçant la seule présence d’Act Up et Act Up intelligemment le laisser faire, se prêter au bluff et laisser supposer par le silence, une surenchère à venir.
J’ai négocié à plusieurs reprises avec Arnaud, dans des ministères ou face à une armada de journalistes et de producteurs télés. Il faut essayer de visualiser la déstabilisation d’un haut fonctionnaire, d’un ministre ou de ses conseillers qui soudain prennent conscience de l’inimaginable pour eux : un mur qui se dresse bâti sur l’inconcevable alliance indéfectible entre une lesbienne séronégative jouant de tous les clichés que le pouvoir attribue à la sphère gauchiste et un pédé séropo s’habillant de tous ceux des bourgeoises institutions conventionnelles.
L’association du Bombers et de mes Docs vertes pomme et des élégants gilets d’Arnaud dans les salons du septième arrondissement en avertissement de l’armée résolue de militants d’Act Up et des volontaires de Aides envahissant les rues ensemble.
Contre cette incompréhension institutionnelle d’une complicité et d’une communauté en pleine expansion et se soudant, nous avons collectivement su faire ciment et force.
Et n’en déplaisent à celles et ceux qui, hier comme aujourd’hui, y compris au sein de nos mouvements, n’ont eu de cesse d’essayer d’effacer l’épidémie de nos mobilisations ou de tenter de nous déposséder de notre rôle dans notre propre histoire, la lutte contre le sida fut bien le cœur de notre communauté. Une communauté politique qui menait ses combats par, pour et au-delà d’elle-même.
Bien souvent nous allons chercher nos héros aux States. Parce que les américains mieux que nous ont su raconter. Pour des raisons culturelles. Aussi parce qu’ils disposent de plus de ressources. Et qu’ils ont l’échelle d’un continent. Nos amis ne manquent pas seulement comme nos amants, nos frères et nos soeurs, ils manquent aussi à nos forces. « Nous aurions pu être 14 000 de plus » n’est pas que le slogan de veuves en colère. Décimés, nous avons été. Décimés, nous sommes encore. A la douleur de l’absence, s’ajoute la mémoire amputée.
Mais manquent aussi la singularité de leur présence, la force de leur amour. La puissance de leurs engagements.
Certains d’entre nous sont, à des degrés différents, des survivants. Et parfois pour nous, le chemin est étroit.
Il ne s’agit pas de faire pleurer dans les chaumières, parce que croyez-nous, nous avons eu plus que notre part de larmes.
Et si nous ne savons pas toujours transmettre, c’est que survivre c’est aussi se débattre avec des injonctions contradictoires : aller de l’avant, ne pas réveiller la douleur, la contenir dans des recoins intimes de nos vulnérabilités, respecter nos pudeurs réciproques, ne pas jeter de sel sur les plaies jamais refermées de nos compagnons de lutte et en même temps face à l’effacement, dépositaires à nos corps et cœurs dépendants de ces hommes et femmes dont les vies et luttes traversent qui nous sommes.
Ils et elles se sont battus pour leur peau, pour que le héros cesse de mourir à la fin, pour que nous puissions vous épargner et que vous ne connaissiez jamais ces vies.
C’est tout le paradoxe de la généalogie de nos luttes.
Il ne doit pas y avoir d’ombre du commandeur sur nos mouvements. Dont la dimension collective est l’une de nos principales directions.
Elle a pourtant des figures. Arnaud Marty-Lavauzelle était l’une d’entre elles.

Arnaud Marty-Lavauzelle, Président de l’association AIDES de 1991 à 1998, est mort du sida dans la nuit du 12 au 13 février 2007.



dimanche 5 février 2017

Lord, law & order - Le seigneur, la loi et l’ordre


Ce vendredi 3 février, Frigide Barjot, égérie de La Manif pour Tous et l’une de ses deux initiatrices, a émis une pétition visant à sauver le soldat Fillon1.

Du moins c’est l’objet apparent de la pétition.

A y regarder de plus près, ses intentions sont moins solidaires. Il s’agit surtout de préserver l’influence politique assurée à travers le succès de Fillon à la primaire de droite. C’est pourquoi on peut y lire une volonté de démonstration de force et un avertissement clair aux tenants d’un plan B et à ceux parmi eux qui imaginent une victoire de la droite sans prise en compte de ce courant réactionnaire.

C’est également pourquoi les pétitionnaires ne se contentent pas de jouer les pompiers mais enfoncent le clou, affichant une cohérence dont François Fillon n’a pas fait preuve dans sa défense.

Par mélange d’arrogance et de calcul, de souci de conserver le soutien d’une frange électorale moins extrémiste qui pourrait être rebutée par des dévoilements trop crus ? Des choix qui l’ont conduit à une valse hésitation recroquevillée sur le déni.

Barjot et ses adeptes ne s'embarrassent pas de ses préoccupations, estimant, à raison, qu'il a été choisi lors de la primaire, précisément pour incarner cette vision hiérarchisée de la société organisée autour de la légitimation d’une appropriation de privilèges. L’inégalité comme cœur de programme.

Cette pétition est aussi une forme de réponse à ceux qui pensent, à droite comme à gauche, que les questions de société seraient indépendantes des questions économiques, sociales et qu'elles peuvent se traiter en dehors de ces cadres.

Qu'il y aurait d'un côté les luttes nobles et sérieuses et de l'autre les luttes accessoires qui peuvent attendre indéfiniment que les 1ères aient trouvé leur résolution.

Un peu comme certains opposent les sciences dures aux sciences sociales.

Les mêmes souvent qui essaient à toute force de faire entrer les sciences économiques dans le panel de la dureté.

Car cette pétition illustre combien les hiérarchies sociales, économiques et politiques sont liées entre elles et se nourrissent mutuellement.

Les hétéros bénéficiant de droits supérieurs aux homos,
les hommes de droits supérieurs à ceux des femmes ,
les blancs de droits supérieurs à ceux des racisés,
les châtelains de droits supérieurs à ceux des paysans,
les riches de droits supérieurs à ceux des pauvres,
les patrons et actionnaires de droits supérieurs à ceux des travailleurs,
les politiques de droits supérieurs à ceux des citoyens lambdas, etc.

La première de ces pyramides étant naturellement la famille, dans laquelle le pater familias jouit, tandis que femme et enfants, extensions à peine individualisées, travaillent à cette jouissance méritée. Et il n'y a pas d'autre place pour une femme dans cet ordre, que celle de la cellule familiale, de la discrète action qui permet à son homme d'être, lui public.

Un brin provocatrice, on aimerait que François Fillon reconnaisse que c'est cette tâche qui était rémunérée : de travail domestique et de reproduction d’une mâle TPE et que cette division sexuelle du travail lui paraît à ce point normale qu'il a du mal à admettre que des esprits chagrins n'en reconnaissent pas l'existence et en exigent des preuves matérielles.

Dans l’esprit de Fillon et ses semblables, les preuves sont déjà là. Elles ont le visage de sa réussite et s’incarnent tautologiquement : sa femme et ses enfants en sont les attributs.

Encore une fois la pétition Barjotique l’énonce plus clairement que le champion : Assistante = épouse et mère au foyer. Dans ces conditions, l’absence de visibilité publique et d’activité autres que familiales ne sauraient être retenues à charge puisqu’elles sont ce qu’il convient de rémunérer : l’effacement.

Qui plus est, s’adjoint ici une autre dimension de la conception hiérarchisée des rapports sociaux selon Fillon et ses alliés : le candidat et par extension sa classe ne sauraient être soumis à la loi commune.

Il y a de la vulgarité à exiger de leur part qu’ils fournissent de banals2 contrats.

Si la stratégie de défense de Fillon est aussi désastreuse, c’est qu’il oscille entre sa vision féodale de la société, sa propre victimisation et la certitude de son bon droit et une nécessité inhérente à l’élection présidentielle au suffrage universel qui lui impose de ne pas déplaire à un nombre significatif de ses électeurs potentiels, là où d’une certaine façon son intronisation s’est jouée dans une forme de suffrage censitaire (le corps électoral des primaires de droite s’étant révélé moins populaire, qu’âgé et aisé).

Plus que « Fillon, tiens bon », assumez la loi du seigneur, crie Barjot à la droite.

Et s’ils n’ont aucune pudeur à crier au vol, c’est parce que fondamentalement, ces partisans d’anciens régimes n’ont jamais admis aucune légitimité à d’autres qu’eux d’exercer le pouvoir. Dans leur esprit ce n’est pas une alternance qui doit se produire aux présidentielles mais une restauration.




2 Banalité : terme de féodalité désignant le droit du seigneur d'assujettir ses vassaux à l'usage d'objets lui appartenant et par métonymie, l'étendue du territoire soumis à cette juridiction. Source : Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert.