Mort, sans jamais avoir été
pratiqué, voilà qui pourrait être la réalité de l’outing en France.
Depuis le 1er juin
(2013), c’est une boutade selon Stéphane Bern, qui a déclaré dans une émission
de télé, à propos de Geoffroy Didier, cofondateur à l'UMP du mouvement de la
Droite forte, «Tout le monde sait qu'il est homo, mais il dit qu'il est
hétéro »[1].
Une affirmation non démentie sur l’instant par l’intéressé qui a préféré
s’ériger en victime quelques jours plus tard par tweet interposé.
Mais qu’est-ce que l’outing
exactement ? Car selon qu’on invoque sa définition politique, sa dimension
juridique, ou le langage commun, l’outing ne recouvre pas exactement les mêmes
réalités.
Si on se réfère à la définition
la plus large, l’outing serait la révélation par un tiers de l’homosexualité
(réelle ou supposée) d’une personne sans son accord préalable. Dans ce cadre,
il est susceptible de concerner tout un chacun.
A ce jour, du point de vue
juridique, rendre publique l’orientation sexuelle d’une personne sans son
autorisation relève d’une atteinte à la vie privée. Et celle-ci est protégée
par l'article 9 du code civil[2].
En fait, la plupart du temps,
quand on parle d’outing, on fait référence à sa définition politique, et c’est
à cet outing-là que je m’intéresserais ici. En commençant par circonscrire de
quoi il s’agit : d’un acte politique qui consiste à révéler
délibérément l’homosexualité d’une personnalité publique qui par son silence ou
par son action fait le jeu de l’homophobie.
Et si on s’en tient strictement à
cette définition, il me semble qu’on peut affirmer qu’il n’y a jamais eu
d’outing en France.
En effet, si l’association de
lutte contre le sida, Act Up-Paris est très souvent associée à cette idée, il
est bon de rappeler que contrairement à une idée largement répandue, elle n’est
jamais passée à l’acte.
Petit rappel des faits.
En mars 1991, le principe de
l’outing est voté et adopté par l’association.
Après la manifestation des
anti-Pacs du 31 janvier 1999 lors de laquelle fleurissent des slogans
homophobes du type "les pédés au bûcher", Act Up-Paris menace d’outer
un député de droite qui y avait participé.
S’en suit un tollé médiatique.
Politiques et journalistes sont unanimes pour dénoncer le procédé. Position
partagée par une large frange de la communauté gay. On notera cependant que
dans le même temps les mêmes cherchent par tous les moyens à décrypter les
indices donnés par l’association quant à l’identité du député visé.
Conséquence non négligeable de la
menace brandie par Act Up-Paris, la dimension homophobe des manifestations
anti-Pacs s’impose enfin sur la place publique et les dérapages sont dénoncés.
Act Up peut dès lors
tranquillement renoncer au passage à l’acte (et s’épargner les poursuites
judiciaires qui s’en suivraient), l’association a atteint son but sans coup
férir.
Pour finir, c’est, le journaliste
et essayiste, Guy Birenbaum qui se chargera, en 2003, d’outer Renaud Donnedieu
de Vabres dans son livre Nos délits d’initiés. « Ce qui m’intéressait confie-t-il aux Inrockuptibles, c’était d’abord de pointer les contradictions de
personnalités publiques entre leur discours et leurs actes au niveau
personnel. »[3] Renaud
Donnedieu de Vabres n’a jamais porté plainte.
Avec cette publication, Guy
Birenbaum rompt le gentleman agrement
qui régit les relations internes de la communauté politico-médiatique. Une
communauté où les frontières entre vie privée et vie publique sont poreuses
mais relèvent de l’entre soi.
Des pratiques qui sont justement à l’origine de ce qui fut
appelé l’outing de Jean-Luc Romero.
Si les faits furent condamnés[4]
par la 17e chambre civile du tribunal de Paris, dans un jugement qui statuait
que « l’orientation sexuelle relève de la sphère privée », les
qualifier d’outing me paraît néanmoins politiquement discutable.
Car la mention, en octobre 2000,
de l’homosexualité de Jean-Luc Romero au détour d’un édito[5]
du journaliste Alain Royer dans le magazine gratuit gay e-m@le ne visait en aucun cas à dénoncer une quelconque
homophobie de Jean-Luc Romero et relevait du malentendu. Pas un instant, le
journaliste ou sa rédaction n’avaient pensé possible que le conseiller régional
d'Ile-de-France ne soit pas encore officiellement sorti du placard. Ce qui n’a pas empêché Romero de
porter plainte.
En juillet 2011, c’est au tour de
David-Xavier Weiss, secrétaire national de l’UMP d’annoncer qu’il poursuit Le
Canard enchaîné[6] pour outing. Mais là encore, si on ne s’en tient qu’à une définition strictement
politique, la qualification ne tient pas.
Ni l’homophobie, ni
l’homosexualité de David-Xavier Weiss ne sont les véritables sujets de
l’article incriminé. L’hebdomadaire qui s’intéresse à Roger Karoutchi rapporte
que celui-ci, entendu par la police, dans une affaire de diffamation sur
internet liée aux élections régionales de 2010, a dans sa défense, fait
référence à son compagnon, David-Xavier Weiss.
Nous en revenons donc à Stéphane
Bern. Outing ou pas ? La révélation est délibérée et Bern l’associe
immédiatement dans un sourire aux orientations idéologiques défendues par
l’homme public Geoffroy Didier : « Je comprends que, vu vos positions
politiques, ça peut vous embarrasser ».
S’en suit cependant la semaine
suivante, une séquence de rétropédalage. Et Stéphane Bern d’expliquer qu’il ne
sait rien de la vie privée de Geoffroy Didier et s’en moque.
« Ce
n'est pas de l'outing ! L'outing, c'est de dire un tel est comme ça ! Je me
serais bien gardé de parler de la vie privée de Geoffroy Didier ou de Guillaume
Peltier, […] Ce n'est pas honnête de faire de l'outing. En revanche, mettre les
gens face à leurs contradictions, c'est pas mal »[7]
Volonté de calmer le jeu,
d’échapper à des poursuites éventuelles ? Bern patauge, semble revenir sur
ses propos mais dans le même temps, s’empresse d’entretenir le doute.
De l’épisode, je retiens quelques
éléments.
A l’heure actuelle, Geoffroy
Didier a préféré s’en remettre à Twitter plutôt qu’à la justice.
En 2013, on s’émeut moins des
affirmations d’un Stéphane Bern qu’en 1999 à l’idée d’un outing potentiel.
Sans doute peut-on minimiser la
portée du constat en opposant l’inscription de cet outing dans un mélange tout
à fait contemporain de divertissement, de people et de politique.
Objecter que les classes
dirigeantes avaient bien plus à craindre de la décision d’une association
politiquement structurée d’ajouter désormais l’outing à son arsenal militant
plutôt que du mouvement d’humeur d’une personnalité publique.
Certes ; il m’apparaît
cependant significatif qu’une telle personnalité choisisse aujourd’hui de
révéler publiquement des conversations qui jusque-là ne se partageaient que
dans la confidence de ces dîners où politiques, journalistes, hauts
fonctionnaires et cadres supérieurs de nos grandes entreprises se rencontrent
en toute discrétion. Rompant ainsi précisément un pacte tacite qui veut que ce
qui se sait dans ces cercles du pouvoir ne se partage pas au-delà.
Que s’est-il donc passé pour
qu’un Stéphane Bern (qui lui-même, il y a quelques années n’hésitait pas à
attaquer des média coupables d’avoir évoqué son orientation sexuelle) en arrive
à balancer ceux-là même avec qui il dîne ?
La réponse tient sans doute dans
les regrets qu’il exprime quant au peu de réactions suscitées par la révélation
d’un Jean-François Copé favorable en privé à l’ouverture du mariage homosexuel
mais s’agitant publiquement de toutes ses forces pour organiser et incarner
l’opposition au texte de loi.
Il semble que les quelques pédés
out, pourvus d’une plus ou moins grande audience médiatique, n’étaient pas les
plus préparés au déferlement d’homophobie de ces derniers mois. On en prendra
pour preuve, les revirements de nombre d’entre eux au sujet du mariage.
Si au mois de novembre, certains
pensaient ne pas être concernés par le débat au prétexte que le mariage ne les
intéressait pas à titre privé (jugeant pour eux-mêmes la reconnaissance légale
superflue), les opposants se sont rapidement chargés de leur rappeler que, de
leur côté, ils ne distinguaient pas entre homosexuels aisés ou non, célèbres ou
non, avant de leur refuser droit de cité au nom même de leur homosexualité.
Et même si la très grande
majorité de la population était et est demeurée favorable à l’ouverture du
mariage, le mythe d’une société française non homophobe a violemment volé en
éclats. Et sans doute plus violemment encore pour ceux qui souhaitaient se
bercer de l’illusion que l’homophobie aurait été le fait de classes sociales
populaires ou de populations issues de l’immigration.
Car ce ne sont pas de Barbès ou
de Belleville, ni des quartiers ou des banlieues les plus économiquement
défavorisées que sont venus les fidèles, roses et bleus, de la manif pour tous,
et c’est à Saint Cloud ou Versailles qu’une affiche où deux hommes s’embrassent
est censurée.
Confrontés à ce festival au long
cours d’expression homophobe, nos people gays ont soudain pris conscience que
ces manifestants et leurs soutiens les renvoyaient eux aussi à un statut de
seconde zone.
Et voilà notre Stéphane Bern,
horrifié par l’hypocrisie de responsables politiques, maniant un outil
auparavant honni.
Malheureusement, la situation
politique ne l’a pas attendu. La Manif pour tous, ne s’est pas contenté de
libérer l’homophobie rampante.
En hissant au rôle de porte-voix,
des homosexuels prêts à lutter contre leurs propres droits et se faisant les
hérauts d’une hiérarchisation des orientations sexuelles, elle a réussi à
désamorcer l’un des ressorts de l’outing : montrer que la violence de la
contrainte homophobe est telle qu’elle conduit des homosexuels non seulement à
se cacher mais aussi à défendre les idées qui précisément les enferment dans
cette dissimulation obligatoire.
Et peu importe que ceux-ci
viennent maintenant pleurnicher sur les réseaux sociaux que le monstre qu’ils
ont aidé à créer se retourne contre eux.
De la même manière qu’une femme peut
défendre des positions sexistes, il n’est plus choquant d’entendre un
homosexuel défendre des idées homophobes.
Or une part de l’efficacité de
l’outing reposait sur ce principe de rendre visible la contradiction entre
l’identité et les pratiques personnelles d’un individu et les idées qu’il
prône.
C’est une arme contre le mensonge
et l’hypocrisie de privilégiés. Mais voilà, il semble y avoir une exception
française ! Dans ce pays, personne ne s’émeut plus des tricheries, des
fraudes, du népotisme et autres escroqueries du personnel politique. Il n’y a
qu’à faire l’inventaire des élus, pris la main dans le sac et aussitôt réélus.
Au moment de voter, l’honnêteté ne vient pas en tête de liste de nos critères
de choix.
Pour un temps, la droite
réactionnaire fait semblant d’accepter dans ses rangs des homosexuels, tous des
hommes soit dit en passant. Comme l’église prétend condamner l’homosexualité
mais pas l’homosexuel. A défaut de pouvoir (mais ça vient) revendiquer
ouvertement notre disparition, elle entend réinventer une figure homosexuelle
qui lui convienne. Son homo affiche les attributs de l’hétérosexualité, voire
fait des enfants à une femme comme le suggérait leur égérie et accepte son
"infériorité naturelle". S’il reste à cette place, on le tolèrera. Un
temps.
L’outing trouve son efficacité en
appuyant sur deux ressorts :
- la dénonciation de la
contradiction entre comportement privé et morale publique. Or aujourd’hui tout
le monde s’en fout !
- le dévoilement par sa propre
brutalité de la violence systémique qui mène des individus à se faire les
auxiliaires consentants de leur propre aliénation. Or aujourd’hui personne ne
s’émeut plus que des homosexuels se fassent ouvertement les défenseurs de
l’homophobie.
Alors
l’outing est-il impraticable à l’heure actuelle ? Il me semble qu’une des
manières de lui redonner une certaine efficacité serait de recourir à l’outing
multiple, comme ont pu le pratiquer OutRage ou des militants italiens,
c’est-à-dire non pas l'outing d'une personne mais de dix, quinze à la fois afin
de se concentrer sur la dimension structurelle d’une homophobie
institutionnalisée et la complicité objective de ceux qui par leur silence
cautionnent ce fonctionnement.
Mais
quels groupes LGBT auraient aujourd’hui la volonté et les ressources de porter
une telle action ?
L’ouverture du mariage était
censée améliorer la vie des pédés et des gouines dans ce pays, pour le moment
les opposants ont perdu la bataille juridique mais ils ont marqué des points
dans la bataille idéologique.
Non seulement, ils nous contraignent à défendre des projets
minimalistes mais ils nous privent des outils que nous avions inventés pour
nous faire entendre.
Si nous voulons peser dans le débat public, y faire vivre
nos idées, nous n’avons pas d’autre choix que de nous atteler à renouveler nos
modes d’actions. Fêter le mariage à la Gay Pride n’y suffira pas.
A la vitesse où l’expression
homophobe regagne sa légitimité, ce n’est plus au sujet de l’outing que nous
devrons nous interroger mais à comment faire face à la délation.
Car bientôt, il ne sera plus
question de dévoiler l’homosexualité des uns ou des autres pour démontrer
combien il est violent que des homos croient encore de leur intérêt de se faire
discrets mais pour mieux encore leur nier tout droit à l’existence.
[2]
« Chacun a droit au respect de sa vie
privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi,
prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à
empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces
mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
[3] les Inrockuptibles, 15 janvier 2012
[4] Le journaliste et le magazine ont été condamnés à
verser à Jean-Luc Romero 3.000 euros de dommages et intérêts.
[5] Edito consacré à la campagne municipale d’un Philippe
Seguin tentant de conquérir de Paris, et à sa recherche du candidat idoine pour
le 4ème arrondissement.
[7] "C à vous" sur
France 5, 5 juin 2013
Très bon comme d'hab. Je partage.
RépondreSupprimerBises.
Arlindo.
très très bon article. Merci beaucoup.
RépondreSupprimerEn parfait accord, comment ne pas adhérer d'ailleurs.
RépondreSupprimerMichel