Fin
de séquence. L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et la loi famille ont
été enterrées officiellement par le gouvernement. J’ai presque envie de
dire : enfin.
Evidemment
c’est un coup dur. Mais puisque nos prétendus alliés ont cessé de nous faire
miroiter l’accessibilité de compromis plus ou moins satisfaisants,
saisissons-nous de cette occasion pour changer nos logiciels.
La
PMA (telle qu’elle s’annonçait, c’est-à-dire, au mieux, réservée à des femmes
pouvant se prévaloir d’une relation de couple stable) est d’ors et déjà une
revendication d’arrière-garde. Elle découlera du vote de l’ouverture du
mariage, exactement de la même façon que le mariage était inscrit dans
l’adoption du pacs. Quand la droite pousse ses cris d’orfraies destinés à
alerter une population supposée attardée sur l’inéluctabilité d’une telle
réforme, nous avons raison de protester, il n’empêche que le diagnostic est
exact.
La
bataille de la PMA est déjà gagnée (ce qui n’en suppose pas moins de la mener),
tout simplement parce qu’elle existe, avec ou sans loi. Comme les couples gays
préexistaient à leur encadrement juridique et ont rendu celui-ci possible par
leur affirmation.
La
situation actuelle est injuste, expose à des parcours de combattantes, à des
discriminations, condamne les mères au mariage pour se voir reconnues (et
encore ce n’est même pas une garantie), mais elle ne changera rien à la
détermination tranquille de milliers de femmes d’en recourir à cette pratique
pour fonder leur famille.
Dans
leur entourage, leur village, les écoles, les centres aérés et clubs sportifs
de leurs enfants, cette réalité fera son chemin. Et ces enfants seront chaque
jour plus nombreux.
Et
le PS, la prochaine fois qu’il aura besoin de se différencier de la droite à
moindre frais, ressortira sa promesse des cartons. S’affichant ainsi une fois
de plus en réformateur raisonnable et s’appliquant à nous réduire aux
récriminations modérées des électorats captifs. A quoi l’opposera-t-il cette
fois ? à l’ouverture de la PMA aux célibataires ? à l’encadrement de
la GPA ?
Comme
un air de déjà vu.
Bien
sûr, une dégradation pestilentielle de la situation politique n’est pas
totalement à écarter qui renverrait la PMA dans les limbes. Mais alors nous
n’en serions pas non plus à nous réclamer de la sécurité juridique.
Nous
voici donc momentanément dans une impasse, et même obligés d’essuyer de face
une contre-offensive obscurantiste dans laquelle tout ce qui compte de réacs se
jette à corps perdu avec force moyens et relais, tandis que nos soutiens font
au mieux preuve d’une solidarité distanciée et discrète.
Notre
colère est légitime. Nos frustrations compréhensibles. Qui grossissent sur fond
d’amertume et sentiments de trahison.
Mais
alors que nous sommes quasi unanimes à reprocher au PS de ne plus être une
force de transformation sociale, l’heure n’est-elle pas venue d’interroger
notre part de responsabilité dans cette oraison ?
Il
ne s’agit pas de minimiser les raisons structurelles et politiques qui nous font
obstacle mais de se demander si les outils dont nous usons sont efficaces au
regard de l’état de nos forces, organisations et conjoncture.
Non
pas en termes individuels, ni en pointant telle ou telle association, mais
plutôt en questionnant ce qui ressort majoritairement de nos expressions
collectives.
Car
de notre côté, quelle dynamique de transformation de la société impulsons-nous
vraiment ?
En
dépit de nos actions, rassemblements et argumentaires, nous peinons non
seulement à nous faire entendre mais à susciter des mobilisations hors de nos
cercles restreints.
Pourquoi
sommes-nous incapables d’établir des ponts solides avec d’autres
mouvements ? de réels rassemblements unitaires et durables ?
Les
solidarités n’excédant guère les déclarations de principe, aussi vagues
qu’inopérantes et la symbolique ponctuelle qui n’engage en réalité personne.
Avec
une communauté en lambeaux, éparpillée en groupuscules, aux moyens comptés,
s’appuyant sur des militants parfois au bord du burn out, coincés dans un courant
défavorable, nous épuisons nos énergies à ériger des digues.
Il
n’est de fait pas aisé de relever le nez du guidon pour nous interroger sur la
pertinence de nos stratégies.
Il
faudrait pourtant l’admettre, certains de nos mots d’ordre sont obsolètes.
Inefficaces. Et sans doute même contre-productifs. Au premier rang desquels la
revendication de l’égalité.
La
force de cette demande ne s’est-elle pas évanouie, ayant produit tout ce
qu’elle était en capacité de provoquer ?
Quand
nous avons commencé à porter cette exigence, elle a littéralement fait
irruption. Choqué les esprits. Sa puissance naissait de ce qu’elle était
simplement inconcevable, insensée.
Une
partie de la société était prête à nous concéder sa compassion, peut-être même
se sentait-elle confusément redevable vis-à-vis de ces pédés qui avaient pris
en charge la lutte contre le sida, et le pacs devait en témoigner qui suffirait
à éloigner la vision culpabilisante de ces veufs jetés à la rue au lendemain du
décès de leur compagnon.
Mais
l’homophobie demeurait la norme. Partagée sans états d’âme. Et seul le spectre
du communautarisme avait éloigné la solution d’un contrat spécifique.
En
fallait-il de l’aplomb pour prétendre à l’égalité !
Y
compris dans nos rangs, cette prétention avait effrayé. Une telle surenchère
n’allait-elle pas nous aliéner nos soutiens au PS ? N’allait-elle pas
faire échouer l’adoption du pacs ?
D’une
certaine façon, ce furent les résistances exprimées au cours des débats
parlementaires (absence des députés socialistes aux premières séances,
application du gouvernement à nous exclure du couple – les pacsés restaient des
célibataires- et de la famille et bien sûr outrances de la droite) qui
soudèrent les différents courants de la communauté sur cette revendication.
Unité
d’opportunité. Peu importe que les uns en aient attendu une perspective de
normalisation là où d’autres imaginaient le ver dans la pomme
hétéropatriarcale.
S’inscrire
dans le principe d’égalité, c’était établir un parallèle entre homophobie et
racisme. Car à l’époque, en terme d’affichage public (ce qui n’a rien à voir
avec la réalité, car s’il était/est de bon ton de se dire antiraciste, ça
n’empêchait/n’empêche en rien de conduire des politiques racistes), s’affirmer
anti-raciste faisait partie du package obligatoire du militant de gauche tandis
que l’homophobie se partageait sans complexe.
Ce
parallèle incongru et inédit devait obliger les partis de gauche à intégrer
dans leur petit panier de valeurs la nécessité de briser l’évidence bien partagée, la "normalité"
implicite de l’homophobie. Pour mémoire, en 1998, un gouvernement de gauche en est encore à censurer
une campagne de prévention de la Direction Générale de la Santé et du CFES
(comité français pour l’éducation à la santé) qui met en scène deux garçons qui
s’embrassent et l’entourage de Jospin n’hésite pas à justifier cette censure
ainsi : l’argent public n’a pas à financer le prosélytisme.
Alors
si certains émettaient des doutes quant à la pertinence de la stratégie
égalitaire (la marche des beurs pour l’égalité était loin d’avoir produit les
résultats escomptés) et mettaient en garde sur le risque de verser dans
l’injonction normalisante et le corporatisme, ces objections n’atteignaient
guère la majorité des militants.
Semblaient
protéger de ces écueils les fondements de la lutte contre le sida qui avait
posé la coalition des minorités et la déconstruction des mécanismes d’exclusion
sociale comme des préalables non négociables (emblématiques de ces choix, les
participations d’Act Up-Paris aux deux premières grandes messes télévisuelles
du sidaction. Lors de la première édition, le président de l’association,
Cleews Vellay avait enflammé la soirée en imposant aux animateurs la question
de la santé des prisonniers, tandis que son successeur, Christophe Martet, deux
ans plus tard quittait les plateaux de l’émission en s’insurgeant de
l’expulsion des malades étrangers).
Dans
un mouvement gay en pleine expansion, tout ébaubi de se découvrir chaque jour
de nouvelles facettes et découvrant une énergie insoupçonnée dans l’affirmation
positive de ses singularités, les éternelles oppositions et tensions entre
tenants de la transmutation sociale et ceux de l’intégration paraissaient
secondaires, voire dépassables. Les chantiers étaient innombrables. Et les
premiers succès nous berçaient.
Les trithérapies arrivaient, des députés commençaient à plancher
sur des projets de pénalisation de l’homophobie, des associations recevaient
pour la première fois un agrément du ministère de la jeunesse et des sports, et
l’idée de subventionner la lutte contre l’homophobie sur des crédits d’action
sociale et non plus sur des fonds sida faisait peu à peu son chemin.
Mais
au fil des années, le pavé dans la mare s’est transformé en lieu commun.
Tandis
que se développaient associations familiales et sociabilité de loisirs,
l’influence des associations sida a décliné.
De
cœur associatif communautaire, la gestion du politique s’en est trouvée
déplacée et déléguée à des associations ou des groupes spécialisés que ce soit
au sein des partis traditionnels ou en inter-associatif.
Pour
fédérer le plus grand nombre, notre discours s’est simplifié, rétréci pour
finir par se polariser sur une revendication-phare phagocytant tout le reste,
reléguant au second plan, l’originalité de nos pratiques, nos propositions
innovantes, notre capacité à bouleverser des structures sclérosantes et
sclérosées.
En
positif nous essaimions, en négatif nous en sommes peu à peu revenu à une
approche très institutionnelle. Et si les politiques ont intégré certaines de
nos revendications, ils ont également repris la main sur la hiérarchisation et
le calendrier à leur appliquer.
De
choix tactiques en priorités politiques de court termes, un glissement s’est
opéré qui nous a vu renoncer à la contestation de la norme en échange d’une
participation à celle-ci.
Une
évolution qui s’est vue favorisée par des facteurs sociétaux non spécifiques
aux gays mais pas sans influence : plus d’une décennie de droite au
pouvoir, vouée au libéralisme, à la consommation, l’accent mis sur des
stratégies de réussite individuelle, la mise en avant de valeurs
traditionnelles comme remède à la crise, l’agitation des peurs. Une sociabilité
qui s’est vue impactée par le développement des réseaux sociaux (avec pour les
gays une conséquence sur la viabilité des bars et autres lieux de drague
physiquement localisés).
L’articulation
de nos argumentaires s’est désunie, notre discours dépolitisé. Avec le recul
global de l’homophobie, nous nous sommes illusionnés sur sa disparition. Nous
avons perdu de vue ses ressorts idéologiques.
D’aucuns
ont pu clamer l’inutilité du communautaire, stigmatiser son ringardisme.
Oubliant un peu vite combien il était facile de nous réduire au silence quand
nous nous privions nous-mêmes d’outils collectifs.
Les
partis politiques ont bien saisi le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de ce
tournant, instaurant dès lors un rapport de force visant à nous canaliser à
travers des pratiques de récompense en échange de notre allégeance.
Notre
faible poids médiatique, couplé à notre désertion du champ culturel, ont fini
de nous réduire à des sigles abscons, désincarnés qui ne touchent plus
quiconque : PMA, GPA, LGBTQI
… , à des slogans trop généraux qui tendent à faire croire que tout est soluble
dans tout et équivalent : égalité, pour toutes, et à des
revendications qui se limitent à la reproduction sociale, renvoyant à la marge
notre volonté de nous faire partie prenante d’un processus de transformation
sociale[1] et rendant de fait inaudibles actions et discours
alternatifs.
Quand
nous ne nous sommes pas fait, plus ou moins volontairement, les complices de la
reconduction d’un ordre social sexiste, raciste et classiste.
En
niant être traversés nous-mêmes par ces courants. En nous excusant quasiment de
nos singularités. En nous appliquant à donner des gages quant à notre
respectabilité et notre homologie, à rassurer sur nos pratiques de la
conjugalité.
Qui
nous a entendu nous opposer vigoureusement au pinkwashing ? Aux propos de
Marine Le Pen instrumentalisant l’homophobie pour stigmatiser les
quartiers ? À ceux qui parmi nous ne cachent pas leur racisme ou
prétendent l’habiller de masques libéraux ?
De
sorte que nous avons fini par apparaître – même si c’est à tort - comme
préoccupés seulement de nos propres droits. Ne luttant plus pour nous opposer
aux mécanismes de l’exclusion mais seulement pour recevoir l’autorisation de
nous asseoir à la table de la famille traditionnelle, ayant échangé notre force
de contestation contre un droit de cité.
Où
est passée notre critique des rapports de domination ? Notre opposition à
leur inlassable reproduction ? quelle forme d’émancipation
proposons-nous ? Quels espaces ouvrons-nous ?
Il
est plus que temps, me semble-t-il de sortir des sentiers rebattus de l’égalité
et de retrouver une capacité collective à politiser les enjeux de nos luttes.
De nous rappeler que les rapports de domination s’inscrivent dans des logiques
d’exploitation non seulement sociales mais aussi à visée économique.
Ce
qui suppose, si je devais en revenir au point de départ de ce texte, à la PMA
et la loi famille, d’affirmer haut et fort que nous voulons une véritable
refonte générale des règles de la filiation (à détacher des références
biologiques et de la dualité du couple) et non des aménagements qui prennent
plus ou moins en compte les réalités de nos vies.
Sur
ces questions, quelques éléments de méthode pourraient être cherchés dans une
articulation, à diffuser hors de nos cercles d’initiés, des pistes de réflexion
proposées par Thomas Linard[2] à travers les textes qu’il publie régulièrement et
de la démarche de partage par l’association Les enfants d’Arc en Ciel[3] de témoignages concrets des effets des règles
actuelles. Et à condition de ne pas refaire de la famille le titan omnivore que
fut le mariage.
Mais
plus largement, il me paraît urgent de nous attacher à réinventer des lieux et
des moments de rencontres incarnées, (car les réseaux sociaux aussi utiles
qu’ils soient sont en train de montrer leurs limites), où la parole des unes et
des autres circule, où nos expériences se confrontent, se décalent et
s’interpellent. Où les corps et les désirs reprennent place.
Il
nous faut régénérer nos expressions collectives, réinvestir le champ culturel
au sens large du terme. Nous efforcer de forger des outils contemporains.
Depuis
des mois, la détermination violente de quelques-uns à nous faire taire et
disparaître de l’espace public ne fait que s’amplifier. Nous pouvons y opposer
plaisir, imagination et puissance collective. Ou alors continuer à psalmodier
que nous voulons – légitimement – l’égalité. Rien ne nous empêche de produire
du sens et du mouvement. Donnons-nous en les moyens. Ouvrons les chantiers.
[1]
Il y aurait d’ailleurs, à
l’aune des divisions traversant aujourd’hui les mouvements féministes, un parallèle
à tracer dans les effets politiques des mots d’ordre de l’égalité et de la
parité qui furent adoptés quasiment au même moment.
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