Hétéros, quelle
société voulez-vous ?
Confrontée à la question de
l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, la droite avait le choix entre
plusieurs options stratégiques.
Elle pouvait miser, comme le fait
David Cameron au nom des conservateurs britanniques, sur le potentiel
d’intégration qu’entraîne une telle réforme. De son point de vue, il est
préférable de s’adresser à des individus liés à la société par un ensemble
d’engagements et de devoirs conjugaux et familiaux qu’à des individus renvoyés à
la marge et susceptibles de développer une attitude hostile au système en place
et de s’inscrire dans un mouvement global de lutte pour la justice sociale.
Encourager les gays à se fondre
dans les normes prédominantes, c’est les encourager à se solidariser avec une
société qui les protège, c’est les transformer en potentiels électeurs
conservateurs plutôt que de les voir inventer de nouveaux liens de solidarité
et unir leurs forces aux autres mouvements sociaux.
La droite française a choisi une
option radicalement opposée. Coincée entre le Front National et le Parti
Socialiste, elle a préféré, dans la continuité de sa campagne électorale,
s’afficher mainstream, aviver les tensions et instrumentaliser les différences.
Terrorisée à l’idée de se voir
dépouillée de son électorat, elle n’a plus qu’une stratégie : attiser les
peurs et s’accrocher à ses branches les plus traditionalistes.
La décision du gouvernement de
présenter un texte de loi a minima (et d’ors et déjà en recul comparé aux
discours de campagne du candidat Hollande) et les contorsions du Président
n’ont pu que l’encourager dans cette voie.
Si on compare la mobilisation à
droite de toutes les familles réactionnaires et la volonté de l’UMP de s’en
remettre à la rue pour instaurer un rapport de force avec le gouvernement à
l’asthénie réformatrice de ce dit gouvernement, on mesure alors les équilibres
politiques qui sont en train de se jouer à l’occasion de ce texte.
Tandis que PS et UMP patouillent
allègrement, il est clair que ni les uns ni les autres n’ont l’intention de
s’attaquer réellement au système libéral, tout juste les socialistes
entendent-ils concéder quelques ajustements sociaux dont la droite ne souhaite
pas s’encombrer.
L’enjeu de la bataille qui se
livre désormais autour de ce texte dépasse très largement la simple réparation
d’une injustice et la question de l’égalité des droits.
En associant l’UMP aux
manifestations contre l’ouverture du mariage, en appelant à y participer,
Jean-François Copé a choisi de faire de ce texte une affaire politique. Son
calcul est simple, il entend surfer sur le succès éventuel de cette
mobilisation pour se projeter porte-parole d’une prétendue majorité
silencieuse, espérant ainsi priver le gouvernement de toute légitimité
populaire.
On peut d’ailleurs gager que les
difficultés qu’il rencontre à l’intérieur de l’UMP sont venues conforter ce
choix tactique. Plus sa propre légitimité sera mise à mal, plus il sera tenté
de surenchérir à propos du mariage.
Si la droite réussit à contrer la
seule réforme un tant soit peu identifiable proposée par la gauche, alors la
gauche, du fait de sa seule lâcheté et de son incapacité à se mobiliser
elle-même aura perdu dans la rue, les élections qu’elle a gagnées dans les
urnes.
Voilà le pari engagé par
Jean-François Copé et nombre d’opposants au projet. Rendre impossible le
changement. Comment pourrait-on imaginer, le gouvernement, en cas de recul
aujourd’hui, se battre demain face à une droite remobilisée, pour le droit de
vote des étrangers ou le droit de mourir dans la dignité ? Pour ne citer
que deux projets qui demanderont détermination et conviction.
Le 16 décembre, lors de la
manifestation pour l’égalité, il ne s’agira pas seulement de défendre les
droits des couples homosexuels et de leurs enfants mais de mettre la gauche au
pied du mur afin qu’elle fasse le travail pour lequel elle a été élue. Nous
n’avons pas voté François Hollande pour le voir appliquer une politique de
droite, tant sur le plan économique que social. Il est encore temps de le lui
signifier. Nous pouvons encore exiger la fin des renoncements, des reculades.
Nous pouvons exiger plus d’ambition, plus de courage, une véritable rupture
avec le libéralisme qui ordonne la mort des solidarités.
Ou nous pouvons laisser la droite
imposer sa domination idéologique.
Le 16 décembre, nul doute que
nombre d’homosexuels battront le pavé. Pédés, gouines, bi, trans, folles,
lesbian chic, camionneuses, queer, nounours, séropo ou séronég, jeunes et
vieux, célibataires, veufs et veuves, en famille, à la recherche d’une maîtresse
ou d’un mari … Certains pour la première fois peut-être. Visibles et fiers.
Dans toute notre diversité. Nous n’avons rien à perdre, tout à gagner. Et nous
battre seuls, dans l’indifférence, contre la haine, n’est pas nouveau pour
nous. Quelles que soient les oppositions, nos revendications n’en seront pas
moins justes. Nous, nous ne nous tairons pas.
Mais quand la droite prétend
sélectionner les couples qui ont droit à la sécurité et ceux qu’elle écarte,
quand elle procède à un tri entre les enfants qui seraient à protéger et les
autres, c’est au nom des hétérosexuels.
Ces enfants à qui elle assène que
leurs parents sont de mauvais parents, ces enfants que la loi prive d’une
partie de leur héritage, ces enfants à qui l’administration répond dans un couloir
d’hôpital ou à la sortie de l’école, qu’ils n’ont aucun lien avec la personne
qui les élève ou les a élevés. Ces enfants qui se découvrent homosexuels et
entendent qu’ils n’ont pas les mêmes droits que les autres, ces enfants qui
doivent se construire au mépris des discours de rejet.
Tous ces enfants-là,
c’est en votre nom que la droite prétend s’opposer à leur protection, alors la
laisserez-vous affirmer qu’elle parle pour vous ?
Manifestation pour l’égalité,
dimanche 16 décembre à 14h, à Paris, place de la Bastille.
cet article a été publié à l'origine par le site d'information Rue89 :