Récemment le Centre gai et
lesbien a sollicité mon témoignage quant à ses 20 ans, un appel à voyager dans
ma mémoire, quasi concomitant à la lecture d’un article de Minorités[1] consacré à une exposition sur les cinq premières années du sida à New York.
Se souvenir !
Pour beaucoup de pédés et de
gouines, l’interminable séquence mariage pour tous fut pénible en raison notamment du déversement
massif de boues homophobes qui l’accompagna. Brutal ou larvé, il fut quasi
quotidien sur près d’une année. Qu’il nous ait pris par surprise ou confirmé
nos pires intuitions, peu d’entre nous peuvent prétendre ne pas en avoir été
affectés.
Et le mardi 23 avril, tandis que
l’Assemblée votait ce fameux texte au sujet duquel il y a tant à redire, une
partie de la pédalerie française un œil sur ses écrans, l’autre sur les réseaux
sociaux, échangeait en direct ses sentiments.
Soulagement, satisfaction,
émotion. Larmes pour certains. Et pas toujours de bonheur. Dans l’ombre de cet
instant, se tenaient de nombreux témoins disparus. Cette victoire, car à n’en
pas douter, c’en était une, ses opposants l’ont voulu ainsi, n’aurait jamais
été possible sans leur courage, leur volonté de se battre et leur refus du
silence. Je veux parler des premiers militants contre le sida. Je veux parler
de nos morts.
Leur absence nous déchire
toujours le cœur. Et le silence qui entoure leurs combats est une insulte à la
bravoure dont ils ont fait preuve. Aux souffrances endurées. Aux victoires
qu’ils ont remportées. Aux droits qu’ils ont conquis.
Il y avait ce 23 avril, dans ces
échanges pudiques de souvenirs, une dimension intime bien sûr, personnelle,
mais aussi la conscience d’une douleur commune. Si difficile à extérioriser. Au
point d’en négliger parfois que nous n’avons pas le droit de laisser le voile
de l’oubli ensevelir ces hommes et ces femmes qui de leur vivant ont refusé
qu’on les emmure dans la dissimulation.
Une exposition comme celle de New
York ? A Paris ? Silence. Delanoë
n’a rien vu à Paris. Rien.
Si nos dirigeants ne font preuve
d’aucune volonté d’honorer la mémoire de ces combattants, s’ils ne souhaitent
pas exposer combien l’engagement des réprouvés a permis de changer la nature de
la bataille et afficher que c’est dans la lutte que se sont arrachés les
progrès, thérapeutiques, sociaux, et juridiques, c’est parce qu’ils souhaitent
nous raconter une autre histoire.
Une histoire où nous devrions nos
droits à leur grande mansuétude, une histoire verticale où du haut de leur
position, les politiques accordent et les citoyens expriment leur gratitude,
tandis que des capitaines d’industrie s’enrichissent sans autre devoir que les
profits de leurs pairs.
Une histoire dans laquelle, ils
imposent leurs experts, verrouillent les cadres de discussion et dictent leur
agenda. Font passer l’orthodoxie pour l’unique possible.
C’est à cette pratique du
pouvoir, conservatrice et confiscatoire que s’est opposée une conception de la
politique à la première personne, liant émancipation individuelle et
émancipation collective, coalition des minorités pour lutter contre les
discriminations et les inégalités structurelles.
C’est à ce jeu de rôles bien rodé
que les malades et leurs proches se sont attaqués. Exigeant une redistribution
des responsabilités et des engagements.
Refusant un système de
valorisation du bénévolat contingenté à l’accompagnement des malades. Un
système de classe, sexué, racisé, où des hommes hétérosexuels, blancs et riches
s’accaparent le pouvoir tandis que femmes et exclus travaillent gratuitement à
compenser le coût de leurs décisions.
Le sida, de fait, a amplifié le
mouvement d’émancipation politique des gays. Confrontés à une épidémie dont
l’Etat (et ce quelle que soit la couleur politique des gouvernements) ne
prenait pas la mesure, confrontés à des enjeux qui les dépassaient
individuellement et dont les conséquences étaient directement mortelles, les
gays ont dû s’unir et se politiser. Pour lutter contre la maladie et sa
propagation, ils n’avaient pas d’autre choix que de combattre les hiérarchies
héritées du système politique, du pouvoir médical, et de l’ordre
hétéropatriarcal.
Cette mobilisation ne s’est pas
contentée d’apporter une réponse identitaire. Elle a également fait preuve de
solidarité et s’est efforcée de répondre à l’échec patent d’un universalisme
d’apparence par des stratégies concrètes d’alliances opposant à une prétendue
fatalité et à la démission des responsables de la santé publique, la
dénonciation de causes structurelles et une volonté transformatrice.
D’aucuns aujourd’hui
souhaiteraient, jusque dans nos rangs se démarquer de cette histoire, ou du
moins la relativiser, comme si désormais elle les encombrait.
J’ai en mémoire par exemple un
Stéphane Martinet, aujourd’hui conseiller de Paris et adjoint au Maire du 11ème
arrondissement, écrivant sur le site de Yagg ce printemps, qu’Act Up n’avait
historiquement pas apporté grand chose tout compte fait.
La seule accélération de la mise
à disposition des malades des antiprotéases en 1996 suffirait à lui répondre,
sans laquelle nombre de mariage qu’il entend célébrer aujourd’hui n’aurait
jamais eu lieu, les futurs mariés morts en ces funestes années.
N’en déplaise à ceux qui
souhaitent s’en distancier, s’il est important de ne pas confondre lutte contre
le sida et revendications LGBT, ne pas nier leur articulation ne l’est pas
moins.
Politiquement, se souvenir de
l’histoire de la lutte contre l’épidémie dans ce pays, c’est aussi se souvenir
que nous avons déjà dû batailler très durement contre des gouvernements de
gauche pour qu’ils prennent les mesures qui s’imposaient.
Se souvenir de cette lutte, c’est
se revendiquer acteur d’un processus de transformation sociale et non, en
récipiendaire de quelques privilèges accordés au compte-goutte.
Se souvenir de cette lutte, c’est
refuser les excuses circonstanciées pour justifier de l’exclusion de
populations désignées comme responsables par essence de leur statut
d’exception.
En traitant de nos revendications
en autant de sujets indépendants les uns des autres, le Parti socialiste,
entend se dispenser de réformes en profondeur des mécanismes d’exclusion qui
structurent la société. Il entend ne traiter que de symptômes, sans jamais
s’attaquer à la source.
Et peu importent les privilèges
dont on pense pouvoir profiter individuellement, accepter de surseoir à nos
revendications revient à affirmer qu’il nous est acceptable que des droits
ouverts à d’autres nous soient refusés au prétexte de notre orientation
sexuelle. Quand nous sommes les premiers à accepter l’homophobie, il n’est pas
très étonnant que d’autres la trouvent légitime, y compris dans des versions
plus brutales.
En agissant ainsi, non seulement
nous nous portons préjudice à nous-mêmes, mais nous nous désolidarisons de tous
ceux qui ne renoncent pas à exiger des politiques une véritable volonté
réformatrice.
Les associations de lutte contre
le sida ont toujours posé la solidarité entre exclus et l’articulation de leurs
revendications au cœur de leur mobilisation, elles n’y ont souvent réussi que
partiellement, mais elles n’ont jamais dévié de cette certitude : c’est
dans le respect et la fierté de nos identités respectives que nous pouvions
agir au profit de tous.
Alors commençons par respecter
notre propre histoire.
Ne nous en laissons pas
déposséder par ceux qui voudraient l’effacer ou la réécrire pour justifier
leurs désengagements.
Il ne s’agit pas de nous inventer
des héros. Encore moins de bâtir des mythes, ce qui reviendrait à enfermer ces
hommes et ces femmes qui se sont battus dans les placards de l’histoire. Des
placards dorés mais des placards quand même.
Il s’agit simplement de nous
saisir des outils qu’ils nous ont légués, eux qui avaient choisi de ne pas se
taire, pour à notre tour, refuser que d’autres décident à notre place de nos
vies.
A l’heure où l’état revoit à la
baisse les crédits de lutte contre le sida en se servant des compétences
acquises par les associations pour leur faire porter la charge de la lutte,
A l’heure où le Parti socialiste
entend honorer ses engagements de campagne non en se référant à des principes
mais au gré de son évaluation climatologique des rapports de forces politiques,
A l’heure où un ministre de
l’intérieur qui se prétend de gauche, à l’exemple de ses prédécesseurs fait
expulser sans vergogne des malades étrangers et assigne des vocations à des
populations en fonction de leur origine,
Ne pas oublier les combats
antérieurs aux nôtres, c’est aussi nous permettre d’en évaluer les apports
comme les limites, nous permettre d’inventer les ressources nécessaires aux
combats d’aujourd’hui.
l'histoire est toujours construite par le petits, et ce sont les politiques qui la récupèrent à leur profit! tu as raison il ne faut jamais baisser la garde!!
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