Alors
que deux agressions lesbophobes1
et homophobes2,
physiques, se sont produites ces derniers jours, il aura donc fallu
que SOS homophobie s'émeuve3
du silence gouvernemental à ce sujet pour que le
Premier ministre, Edouard Philippe4
et sa secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre
hommes et femmes, Marlène Schiappa5,
daignent réagir et condamner par tweet ces agressions.
Deux
tweets tardifs donc, et fort peu spontanés.
Contrastant
avec d'autres empressements quand on se place sur le plan de la
sémiologie, un registre d'autant plus intéressant que le Président
de la République et ce gouvernement n'ont eu de cesse d'afficher
l'encadrement de leur communication en signe alpha de leur politique.
Un
timing parlant, d'autant que si l'utilisation tweeter s'inscrit dans
une forme d'économie de la rapidité, dès lors que cette dimension,
on l'a vu, n'était pas recherchée, le tweet devient plutôt
synonyme de service minimum en matière d'expression publique.
On
pourrait objecter que les médias portent leur part de responsabilité
dans cet état, pour peut-être n'avoir pas sollicité de réactions
officielles. On sait nos ministres, cependant, aptes à saisir micros
et caméras pour délivrer les actualités qui leur chantent et
déchantent sans trop se préoccuper des questions initialement
posées.
Et
dans un cas comme dans l'autre, le thermomètre est révélateur des
intérêts respectifs.
Une
fois évacuée l'indolence manifeste n'y aurait-il pas matière à
s'attarder sur ce que ces tweets arrachés trimbalent ?
Peut-on
se contenter de les ranger dans les tiroirs des condamnations
convenues et, obligées, littéralement ?
L'Etat
ayant ainsi empli la fonction symbolique qui serait sienne de soutien
aux victimes et de rappel de valeurs communes.
Mais
s'en tenir au dont
acte
qui s'en suivrait ne serait-il pas alors participatif d'une politique
qui n'est pas sans poser problème de confusion.
Car
bien qu'acculé à réagir, l'Etat en fait poursuit une autre logique
que la seule lutte contre l'homophobie et cette logique n'est pas
nouvelle, ni même consubstantielle de la Présidence Macron.
Rien
de cette lutte n'est venu spontanément des gouvernements de la
République, tout au contraire, l'engagement ne s'est construit,
pierre par pierre, que par l'action des activistes et associations de
lutte contre les discriminations et contre le sida qui ont su imposer
leurs combats et susciter des relais, des soutiens, des
compréhensions. Voire des convergences.
Mais
convergence ne signifie pas adhésion pour autant, encore moins
semblable.
Contraindre
l'Etat à agir, à prendre des responsabilités qui sont les siennes
ne saurait faire oublier que deux légitimités s'affrontent ici qui
ne se recouvrent pas et qu'au vu des rapports de force, s'en remettre
à l'Etat en la matière ressemblerait furieusement à de la naïveté
dangereuse. Car si l'Etat est acteur de la lutte contre l'homophobie,
et nous nous sommes - et continuerons - assez battus pour qu'il en
soit ainsi, comme pour accéder à nos droits et aux moyens sans
lesquels ils ne sont que papier de chiffon, impossible de passer sous
silence le fait que l'Etat est tout autant acteur de l'homophobie.
Par ses institutions comme du fait des choix et actes de ses
représentants.
Laissant
perdurer des discriminations qui nous frappent, couvrant de culture
patriarcale et de conservatisme idéologique des violences
quotidiennes, qui pour n'être pas directement physiques n'en
atteignent pas moins les corps et les vies.
Quand
il n'organise pas lui-même ces violences par ses inactions, comme en
n'assurant pas les actions de sensibilisation nécessaires ou les
soumettant à un consensus d'autant plus introuvable qu'il n'a jamais
donné les moyens d'y parvenir et que chacun de ses renoncements
redonne force et vitalité aux oppositions.
Quand
il délègue au libéralisme, à
la possession et l'argent, la liberté d'être et renvoie les
solidarités effectives aux familles, exposant les plus vulnérables
aux violences y compris domestiques et patronales, à la dépendance
et aux chantages ou encore au bon vouloir des bailleurs.
Quand
il contraint des mères à passer par le mariage et l'adoption pour
assurer la protection de leurs enfants, passe outre les condamnations
internationales pour continuer à refuser de retranscrire des états
civils et persister à blanchir des maltraitances juridiques ou
médicales. Quand sa justice administrative décide qu'oeuvrer à
améliorer la vie des homos et trans ne participe pas de l'intérêt
communal.
Encore
en nommant au gouvernement des ministres qui se sont illustrés par
leur oppositions aux droits des homos et trans, ce qui à tout le
moins envoie un message clair qu'il y a, pour paraphraser le premier
ministre, place
dans la République française pour certaines formes d'agressions
homophobes, à condition qu'elles aient emprunté à une forme
discursive policée plutôt que vulgaire ou qu'aux coups directement
physiques.
En
présentant l'accès universel à la
PMA et les préjugés homo-lesbo-transphobes comme à débattre,
faisant sans complexe des homos, trans et leurs enfants, les cibles
d'un déchaînement de violence dont il ne méconnait pas les effets
mais qu'il contribue à minimiser et même à favoriser quand il
réserve l'emploi du terme « brutaliser »6
aux consciences des opposants auxquels il assure à répétition
qu'ils seront écoutés.
Le
« en même temps » étant ici abus de vulnérabilité. La
PMA peut-être, d'ici la fin du quinquennat, nous dit sans dire
complètement le président qui a fait de son « je fais ce que
je dis » un style et prétendait pendant la campagne établir
avec le pays une relation de clarté7.
Une
prudence dans le choix des mots qui n'a donc rien d'anecdotique. Et
qu'on retrouve constante autant chez le Macron candidat8
que président qui n'a jamais prononcé d'engagement ou de promesse
préférant chaque fois se réfugier derrière des assertives ne se
référant qu'à un avis favorable.
Et
ce alors même que du point de vue du diagnostic, il avait été, là,
à l'inverse très clair : « Le fait que la PMA ne soit
pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une
discrimination intolérable. »9
Un
intolérable avec lequel on nous appelle pourtant à composer sur une
période qui menace de se transformer en jour sans fin et pour un
résultat sans autre garantie que d'avoir offert encore une
amplification médiatique aux évangélisateurs logorrhéiques de
l'inégalité. Le candidat nous avait prévenu les questions éthiques
« ne
sont pas prioritaires sur le plan de l’action politique »10.
Les
promesses n'engagent que ceux qui y croient dit l'adage politique,
ici la foi reposerait sur moins encore.
Et
en échange de cette carotte potentielle, nous devrions nous résoudre
à ce que malveillance et bêtise se paient au prix fort par nombre
d'entre nous. « Il
faut savoir entendre, laisser place au dissensus et non l'écraser »11
Joli renversement car jusqu'à nouvel ordre, ce ne sont ni les
hiérarques de l'Eglise catholique, ni ceux de la Manif pour tous qui
se font recoudre aux urgences ou harceler jusqu'au fond de nos
campagnes.
Si
nous ne souhaitons pas voir nos vies se transformer en un
interminable exercice de rappel sur chemin de croix, nous
ne saurions laisser loisir et prétention à l'Etat de se
positionner en celui qui définirait le périmètre de l'homophobie
et de ce qui n'en est pas, pas plus que de décider de qui en sont
les acteurs ou les combattants.
Rappelons-nous
qu'il est très différent d'exercer une vigilance extrême quant à
la réalité des actions menées, d'exiger de l'Etat qu'il assume les
responsabilités qui lui incombent ou de lui permettre d'outrepasser
ses prérogatives.
Au-delà
de notre propre expérience, l'exemple de la lutte antiraciste doit
également nous alerter sur la tentation des gouvernements de
cantonner la protection des minorités à des mesures ponctuelles,
partielles et morales. De renvoyer sur des responsabilités
individuelles de méchants pas beaux, ce qui relève à minima aussi
de discriminations systémiques.
Bref
de taper sur les doigts de ceux qui rayent la carrosserie mais sans
jamais se préoccuper du moteur.
Il
est d'actualité de nous faire passer pour moderne, une
pseudo-dépolitisation des luttes sociales. De prétendre que
l'efficacité s'incarnerait dans la technicité.
D'attribuer
les échecs et lacunes des politiques menées non à des choix
politiques mais à une politisation excessive.
Ainsi
il serait de bon ton de faire passer la neutralité partisane exigée
des grands commis de l'Etat pour la preuve de la neutralité
politique des actions qu'ils sont chargés de mettre en œuvre mais
c'est effacer à bon compte d'une part que les nominations,
affectations et carrières de ces hauts fonctionnaires dépendent des
choix des politiques, donc de choix idéologiques.
D'autre
part que précisément, s'ils sont censés mettre de côté leurs
convictions personnelles, c'est bien parce que ce sont des choix
qu'ils ont à traduire en acte et que ces choix relèvent non de
l'administration mais du politique.
Transformer
les hauts fonctionnaires en VRP d'une gestion libérale de l'Etat,
chaque jour plus proches des cadres d'entreprises n'a rien de neutre.
Il ne s'agit de rien de moins que d'habiller les ingénieurs du
libéralisme de costume d'experts pour accréditer une absence
d'alternative.
L'opérationnel
et le pragmatique, saupoudrés d'une dose de management prétendument
participatif, visent là tout autant à répondre à des situations
concrètes qu'à décorer d'un vernis progressif l'assurance que la
distribution de sparadraps ne puisse en venir à déstabiliser une
architecture globale dont en réalité on ne souhaite pas modifier la
structure pyramidale.
Demander
notre dû ne doit donc pas nous faire perdre de vue que c'est la
nature même, systémique, de la domination et des oppressions, que
nous avons à combattre.
Et
dans ce domaine, les
experts, ne sont pas dans les préfectures et administrations, encore
moins à la DILCRAH12.
Si
on revient aux tweets de Philippe et Schiappa, on voit bien cependant
combien nos responsables politiques souhaitent nous l'imposer en
référent central.
Mais
s'il est de leur intérêt d'abriter le politique derrière le
fonctionnaire pour masquer leurs choix et insuffisances au prétexte
de technicité, il n'est pas du nôtre d'accepter cette
invisibilisation volontaire du politique, ni de laisser installer en
expertise et porte-parole de la lutte contre l'homophobie un point de
vue univoque et extérieur aux premier.e.s concerné.s.
Il
n'y a pas à la DILCRAH de volonté de lutter contre les
discriminations racistes, homophobes, lesbophobes en ce qu'elles font
système.
On
s'y focalise sur le combat contre la haine et les préjugés, sur les
symptômes plutôt que les causes profondes, tout en veillant
scrupuleusement à épargner à l'universalisme républicain analyse
et remise en cause de fond de ses logiques structurelles
discriminantes.
(subsidaire :
le préjugé est donc une manifestation culturelle et morale imposée
par le milieu, la culture et l'éducation, tout domaine dans lequel
l'Etat, les institutions et la politique n'auraient que des
responsabilités extérieures. Leurs interventions ne sauraient se
mesurer qu'en positif tandis que pour rien, jamais, dans leur
construction problématique !)
Son
responsable ne le dissimule même pas, il suffit de lire l'interview
qu'il donnée il y a quelques jours à Libération13.
Parlant
de la délégation comme d'une «start-up dans l’appareil d’Etat»,
il renvoie les discriminations individuelles au défenseur des
droits, les discriminations systémiques à l'invention de solutions
ultérieures. Et y assume
sans complexe de ne pas avoir à écouter ni agir pour celles et ceux
avec lesquels il a un désaccord de fond.
Le
tri des interlocuteurs et des bonnes victimes est chose assez banale,
pratiquée de tout temps par les gouvernants. De la même façon que
des structures et des militants peuvent estimer que le dialogue avec
des institutions est peine perdue.
Le
12 février, Act Up-Paris, en dépit de sa demande d'en être n'avait
pas, par exemple, été conviée par Marlène Schiappa et la Dilcrah
à leur réunion de « réseaux engagés pour une politique de
lutte contre la haine anti #LGBT » consécutives aux
agressions.14
Mais
c'est loin d'être la première fois que l'association est écartée
de consultations présentées comme représentatives.
Dans
le contexte d'exacerbation de la lesbophobie, il y aurait aussi
pertinence à s'interroger sur la représentation des lesbiennes à
cette réunion et se demander comme le fait la militante Alice
Coffin15lesquelles
de leurs associations avaient été pressenties pour participer.
Mais
Frédéric Potier, le responsable de la Dilcrah, dans
son entreprise de confrontation idéologique a franchi dans
l'entretien accordé à Libé une étape supplémentaire,
quand pour récuser l'emploi du mot
«racisé», il prétend être
qualifié pour déterminer ce qui correspond « à
la réalité de ce que vivent les victimes concrètes » pour
lesquelles il « cherche à mettre en place des financements de
projets, de la formation, des évolutions de la loi, etc. »
Ce
qui revient ni plus ni moins, au motif de son désaccord à propos de
ce qu'il analyse comme une approche « théorique, sociologique,
conceptuelle » à trier entre les victimes des discriminations
(et leur nier cette qualité) pour
lesquelles, au nom de la dite universelle République dont il est
préfet, il a été nommé en mission de service public.
Choix
des concepts idéologiques, définition des victimes, préconisation
des évolutions de la loi, mais apolitisme et technicité nous
chante-t-on.
On
ne s'étonnera guère dès lors que notre expert ès
victimes auto-proclamé restreigne la mission de la Dilcrah aux
combats contre les préjugés et à la protection de l'universalisme.
Sous
pression des associations, nos gouvernements consentent à lâcher
quelques gestes et subsides mais à condition :
-
de s'en tenir à condamner (sans empressement débridé,
on
l'a vu) les agressions de base, celles qui ont si bien intégré
l'idéologie de la hiérarchisation qu'elles y ont lu autorisation
-
qu'il ne soit pas question en revanche de s'attaquer à ceux qui la
pratiquent industriellement et médiatiquement et encore moins au
système qui bourre les crânes de mépris décomplexé, de colère
et frustration explosives et légitime les discriminations
-
que ce soit en même temps l'opportunité de travailler non à
réformer ce système mais à l'absoudre et traquer tout ce qui
contredit le mythe que domination et discrimination ne sauraient lui
être autre qu'étrangères.
« La
haine et les discriminations anti-LGBT n’ont pas leur place dans la
République » nous répète-t-on.
Que
cela advienne !
En
attendant ces extériorité et auto-absolution gouvernementale ne
sont que fables. A nous de n'être ni crédules ni caution ou
attachés de presse de politiques et communications qui blanchissent
institutions et élus.
Parce
que, rappelez-vous, l'homme aujourd'hui à la tête de l'Etat en
avait débusqué au moins une, qui pour l'instant, y a toute sa place
au chaud dans la République :
« Le
fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux
femmes seules est une discrimination intolérable. » Emmanuel
Macron.
on
notera qu'Emmanuel Macron, interpellé lui aussi, n'a rien exprimé
Par
la suite la secrétaire d'Etat a également ajouté à ce tweet la
réception dans ses bureaux d'une sélection d'associations
12Délégation
interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme
et la haine anti-LGBT (DILCRAH)
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