Une fois passée la satisfaction
d’avoir, après une autre année difficile, pu marcher quelques heures au sein de
ses pairs, d’avoir exprimé frustrations, indignations, colères contre les
innombrables reculs du gouvernement, reculs ratifiés par le parti socialiste -
car faut-il rappeler cette réalité, y compris dans un quinquennat présidentiel,
un gouvernement n’existe pas sans le soutien d’une majorité parlementaire-,
l’heure est-elle à se féliciter ou à s’interroger sur la réelle portée de cette
marche ?
Je précise qu’il n’est question
ici que de la Marche parisienne, qui revêt certaines caractéristiques qui lui
sont propres et ne me paraît pas avoir à remplir exactement aux mêmes fonctions
que les marches en régions.
Certes il n’est en 2014 toujours
pas négligeable d’être visibles et de faire nombre, ni de s’offrir du plaisir à
défiler ensemble au cœur de la Cité.
Cependant à lire commentaires et
comptes-rendus tant sur les réseaux sociaux que dans les médias, la réussite de
cette édition tiendrait à un renouveau de son caractère politique, et preuve en
serait l’omniprésence des messages et pancartes fustigeant les abandons d’une
loi destinée à déjudiciariser et démédicaliser le changement d’état civil pour les
trans, de l’ouverture de l’accès de la PMA à toutes et tous et, dernière
actualité, des ABCD de l’égalité.
La concomitance de ce dernier
recul avec la Marche me semble devoir à minima nous interroger sur la
considération portée à nos mouvements et sur la réalité de leur poids
politique. Surtout si on y ajoute que le vendredi précédant cette Pride a
également vu boucler le vote d’une loi famille soigneusement expurgée de tous
les éléments censés nous concerner. C’est dire si la perspective d’une Marche des
Fiertés à charge contre la politique de Hollande et consorts ne constitue guère
un motif de préoccupation dans les esprits de nos dirigeants.
Et après tout ont-ils tort ?
Car si toutes les marches ont battu leurs records d’affluence en région, ce fut
loin d’être le cas à Paris. Et si les pluies diluviennes de samedi ont
certainement joué un rôle dans cette faible mobilisation (très éloignée des 700
000 participants de Cologne ou du million de personnes défilant à Madrid), on
ne peut se contenter de cette explication.
Quant à l’écho médiatique, si on
s’y attarde quelques instants, que constate-t-on ? La relative bonne
couverture de la presse écrite et/ou en ligne ne peut faire oublier que les
journaux de 20h de TF1 et France 2 ont carrément fait l’impasse sur la
manifestation (et ce n’était pas par manque d’espace ou de temps, mais par
choix éditorial). Les chaînes d’info continue et les radios ont pour leur part
assuré une couverture minimale.
Mais quel message fut
envoyé ? Que la PMA avait été renvoyée aux calendes grecques et que les
lesbiennes, pédés et trans s’estimaient trahis par leur allié traditionnel.
Cette information apportait-elle quelque chose de nouveau par rapport aux
messages d’ors et déjà véhiculés par ces mêmes médias depuis des mois, assurément
non. J’ajouterais cependant un bémol à mon propos en posant l’hypothèse d’une
meilleure visibilité des trans qu’à l’accoutumée ?
Cette marche n’a pas pesé sur les
décisions ni du gouvernement ni sur la solidarité témoignée de fait par le PS
aux choix de ce dernier. N’a réussi à faire passer aucun message nouveau. Et
n’a somme toute exprimé qu’une colère modérée et impuissante.
Tolérant même que Jean-Paul
Huchon, au cœur du carré de tête de la manifestation, déclare à propos du choix
de ne pas ouvrir l’accès à la PMA qu’il « peut comprendre aujourd’hui que
le gouvernement essaye de ne pas élargir la fracture [ouverte par la bataille
du mariage] et de ne pas relancer la bagarre là-dessus », renvoyant cette
ouverture à « un jour ou l’autre, il faudra bien en passer à la PMA »
.
Un jour ou l’autre !
En attendant, ce qu’était venu
afficher Huchon à la marche, ce n’était donc pas son indignation devant les
renoncements du gouvernement mais au contraire son soutien à la politique
d’apaisement de celui-ci. Ce qui n’a semblé poser problème à aucun des
militants qui l’entouraient à l’avant-garde
de cette marche.
Pourtant c’était exactement ce
qu’était censé combattre cette manifestation : cette compréhension
officielle de la discrimination, affichée depuis la clause de conscience, qui
n’est rien d’autre qu’une validation de l’homophobie. Une autorisation
symbolique venue du sommet de l’Etat, inscrivant certaines des violences qui
s’exercent sur nous dans la catégorie de l’admissible.
Pire encore, en opposant notre
accès au droit commun à la paix civile, il est clairement posé que ces
violences à notre encontre ne sont même pas considérées comme portant atteinte
à cette paix. Qu’il n’y a pas là de fracture ! Ce qui revient à nous
renvoyer de facto à un statut de second rang.
Et bien ! heureusement que
cette marche était celle de la colère. Qui permet à un responsable socialiste
de venir parader à sa tête en prêchant la compréhension de choix qui nous
maltraitent ! Et seulement agacés, on faisait quoi, on offrait un
mégaphone à Manuel Valls ?
En fait cette marche était en
réalité à l’image d’un mouvement gay, lesbien et trans qui n’a pas fait son aggiornamento.
Traversé par la colère mais
incapable d’aller au bout de ses constats et de consommer la rupture avec un
allié dont il a pris l’habitude de tout attendre. Sans doute effrayée par la
nécessité de réinventer ses modes d’actions et l’articulation de ses
revendications, la nébuleuse LGBT hésite entre se donner les moyens de son
autonomie et patienter sans trop irriter les responsables du PS en attendant
leur retour à de meilleures dispositions.
Alors ménageant la chèvre et le
chou, avec la trouille de perdre ses soutiens familiers et les rares
subventions qui lui tiennent lieu de moyens, désemparée, elle s’efforce de
dissocier socialisme gouvernemental et socialisme local, acceptant une
distribution des rôles qui n’est qu’à moitié recevable entre bad et good
cops.
Une stratégie risquée qui loin de
pousser les uns et les autres à revoir leur implication à la hausse pourrait au
contraire permettre aux gentils de se
reposer sur leurs acquis et de se contenter de gestes symboliques qui par
comparaison à leurs collègues suffiraient à leur assurer leur badge gay
friendly.
Madame Hidalgo et monsieur Huchon
prétendent vouloir lutter à nos côtés ? Prenons-les au mot. Cessons de
nous adresser à eux en ordre dispersé et de nous satisfaire de bouts de
ficelles au prétexte que la droite nous a toujours refusé ces mêmes appoints.
Proposons à ces élus d’établir ensemble un véritable cahier des charges de ce
que serait une politique ambitieuse d’intégration des homos et des trans à la
vie de la région.
Et de notre côté, sortons de
l’allégeance. Réinvestissons le culturel, tournons-nous vers la société civile,
ancrons à nouveau nos mouvements dans une contestation plus vaste de
l’injustice sociale, dans un mouvement général de lutte contre les systèmes
d’aliénation et de domination. Contre ces politiques qui fragilisent et
précarisent toujours plus les populations les plus vulnérables quand elles n’en
font pas des boucs émissaires et des cibles.
Rénovons la façon dont nous
portons nos revendications afin de leur redonner leur charge imaginative et
conquérante. L’égalité nous a enfermé dans une demande de remise à niveau au détriment
de la dynamique transformatrice. Entre la doléance catégorielle et la sujétion
à un statu quo qui nous inclurait. Comme si notre seule préoccupation était
d’obtenir une place dans la société telle qu’elle est. Avec pour résultat
d’ailleurs de n’obtenir au final qu’un strapontin ! et un impact minimal.
Le mariage a-t-il été
rénové ? La famille s’est-elle enrichie de nos modes de vie ? Les
parents (hétérosexuels) ayant recours à la PMA peuvent-ils s’en ouvrir plus
sereinement au-delà de leurs cercles intimes ? Nos déconvenues nous
dépassent.
Nos outils et nos discours sont
inefficaces, périmés. Allons-nous tirer les leçons de la séquence qui s’est
terminée avec l’adoption d’une forme de mariage qui ne protège même pas nos
familles et n’est toujours pas accessible à certains des nôtres ou préférer
l’étirer en une lente impuissance ?
Nos adversaires s’organisent,
mutualisent leurs forces (bien plus considérables que les notres), gagnent du
terrain mais nous, nous n’en sommes encore qu’à témoigner de notre
colère ?
La politique est affaire de
rapports de force et de domination idéologique ; si nous voulons nous en
mêler, il va nous falloir nous inventer de nouvelles ressources et réveiller
notre imagination collective.
L’année dernière, le collectif Ouiouioui
évoquait l’idée de rassembler des Etats généraux de l’homosexualité, sans en
avoir la capacité organisationnelle.
Des Etats généraux ouverts. Non
seulement aux militants et aux associatifs mais également aux électrons libres
qui ne trouvent pas leur place dans le mouvement d’aujourd’hui et aux nouvelles
transversalités – embryonnaires encore, certes – qui tentent de s’organiser. Ce
pourrait être une piste. Un petit pas vers une autonomie désespérément
nécessaire.