Dans un contexte extrêmement difficile, qui voyait des militants avoir à la fois la tête à Paris et à Avignon, les organisateurs ont réussi à permettre aux nombreux participants qui s’étaient réunis pour ces Etats généraux LGBTI[1] d’échanger dans une sérénité qui n’avait rien d’évidente.
Au départ, personne ne savait vraiment ce qu’il allait en être, et beaucoup
sont venus avec une bonne dose de scepticisme et des attentes minimalistes. Mais
sans tomber dans la naïveté ou le dithyrambe, je crois pouvoir affirmer que les
participants sont repartis plutôt contents d’être venus, et ça, par les temps
qui courent, ce n’est pas négligeable.
Pas de révolution, le mouvement associatif ne ressort pas de là avec une
nouvelle organisation structurelle, une stratégie prête à l’emploi et une liste
de revendications claires et hiérarchisées. Ça peut sembler frustrant à
certains, pour ma part ça me va bien.
Dans cet esprit, il ne me paraît pas négligeable que le fait de se
retrouver, physiquement, nombreux, dans un même lieu ait contribué à lutter
contre le marasme et le sentiment d’isolement dans lequel la séquence mariage a
plongé nombre de militants.
Il ne me semble pas
anodin non plus que les oppositions, divergences et diverses tensions aient été
pour une fois incarnées, portées par des personnes et non exprimées au travers
de posts, textes, images ou de quelques phrases qui perdent à travers leurs
supports leurs qualités charnelles et leurs failles comme leur chaleur humaine.
Parfois un sourire, une bonne grosse blague en font plus pour faire avancer une
idée que la plus solide des argumentations.
Sur un jour et demi, il
est difficile de traiter de tous les sujets, des insatisfactions et perspectives
ainsi que de se mettre d’accord. Ces Etats généraux ont donc eu beaucoup de
limites, certaines thématiques ont été à peine évoquées et l’état des lieux
plus facile à dessiner que l’avenir. D’où la frustration sans doute de ne pas
repartir avec des éléments concrets. Et peut-être la difficulté d’expliquer à
ceux qui n’étaient pas là, une certaine satisfaction.
Le parti pris des organisateurs de ne pas décider à l’avance de ce que
seraient ces Etats généraux a pu déconcerter, faire craindre un barnum improductif
de plus, en même temps il a offert une liberté de parole très confortable,
propice à faire émerger que les oppositions et les rapports de forces ne sont
pas aussi certains, simples, tranchés et absolus que parfois nous nous en
persuadons. Confronter les points de vue, les expériences très tranquillement a
mis en évidence que nous n’étions pas (pas toujours du moins) si éloignés les
uns des autres, que les lignes de fracture n’étaient pas toujours où elles
semblaient être mais également mis en lumière le défaut de connaissance mutuel
du travail des autres acteurs de la communauté.
De quoi nous rappeler notre peu d’impact et la nécessité non seulement de
nous adresser dans nos actions à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de cette
fluctuante communauté et au-delà de nos périmètres de confort.
Ces Etats généraux se sont conclus sur la nécessité de prolonger les
rencontres, essentiellement sous 4 formes :
- la bonification au quotidien des prises de contact et échanges de
coordonnées entre interlocuteurs qui désormais se connaissent ;
l’information réciproque, l’identification des ressources, le dialogue, le
partage de savoir faire doivent trouver à se poursuivre à tous les
étages : interassociatifs comme interpersonnels.
- l’organisation d’étapes régionales doit continuer. Afin de permettre
l’invention de mutualisations adaptées aux situations locales, d’amplifier la
portée de nos voix sur tous les territoires, les aider à se faire écho d’une
région à l’autre mais aussi de cultiver l’état d’esprit de ces Etats généraux
et participer pleinement à la préparation d’une seconde édition à l’échelon
national.
- les rencontres d’Avignon se sont terminées sur un constat unanime de la
nécessité d’une deuxième session, qui après, la phase de l’initiation d’un dialogue,
doit entrer dans le cœur des débats. Certains de ces débats pourront trouver
des traductions concrètes, d’autres seront plus ardus à mener mais ces Etats
généraux ont montré qu’il était possible de mettre les désaccords sur la table
et que les positions n’étaient pas aussi figées qu’elles le semblent.
Qu’en partie au moins, certains de ces désaccords reposent sur la
méconnaissance de ce qui fait la réalité des unes et des autres.
Quoi qu’il en soit, une majorité s’est dégagée pour en finir avec le fait
d’enterrer les débats par avance au prétexte qu’il y aurait divergences.
Et à plusieurs reprises, ont été pointées les conséquences de la recherche
systématique d’une position consensuelle qui s’affirme au détriment des plus
exposés d’entre nous aux violences.
D’où la nécessité de re-trouver des modes de fonctionnements non seulement
plus respectueux des minorités en notre sein mais qui prennent en compte aussi
les dimensions d’urgence et de vulnérabilité.
- enfin, compte-tenu du contexte politique, du contexte électoral, de notre
peu de poids dans le débat public, du coup d’arrêt qui a été porté à nos
revendications, la question de la coordination des différentes marches des
Fiertés se pose.
Tout naturellement aussi la question de la représentativité et de
l’efficacité de la Marche des Fiertés parisienne de juin prochain s’est
retrouvée au cœur des préoccupations.
De fait le centralisme républicain politique, administratif et médiatique
français pèse sur nos organisations.
De fait, la marche de Paris ne peut pas être la marche d’une ville ;
les Parisiens bénéficient d’un éclairage privilégié et national, de cette
situation leur incombent des devoirs vis-à-vis de leurs pairs en régions.
La marche des Fiertés de Paris n’appartient ni à ses organisateurs, ni même
aux Parisiens, elle est notre patrimoine commun.
Elle est notre outil principal de visibilité. Et nous ne pouvons nous
permettre de mettre des centaines de milliers de personnes dans la rue sans
nous interroger collectivement sur le message qu’elle doit porter et sur la
façon de maximiser son efficacité.
L’enjeu est d’autant plus sérieux, que cette marche sera la dernière avant
les élections présidentielles. Si nous ne parvenons pas à nous saisir de ce
levier pour nous affirmer acteurs des débats, d’autres n’hésiteront pas soit à
nous réduire au silence soit à produire en nos lieux et place le bilan du
quinquennat écoulé et à nous imposer leurs priorités et calendriers.
L’Inter-LGBT a été invitée à se dépasser elle-même et à prendre en compte
qu’elle ne peut se contenter ni de sa dimension parisienne ni de sa propre
légitimité.
Comme souvent dans ce type d’événements, cette discussion initiée par la
plénière de restitution du travail des ateliers s’est poursuivie dans les
coursives. Et il a été demandé à l’Inter-LGBT de se mettre au service de la
dynamique des États Généraux et d’organiser à court terme (d’ici deux mois, le
temps d’en assurer une large communication communautaire et de s’organiser pour
ceux qui devront faire le voyage), une réunion publique conviant à la fois des
représentants de toutes les associations et collectifs qui ont participé à
cette première session, mais aussi toutes celles et ceux qui n’ont pu faire le
voyage en Avignon, ou qui souhaitent se joindre (individus compris) à cette
énergie manifestée, afin que nous puissions le plus collectivement possible
définir ensemble ce que nous souhaitons faire de ce patrimoine commun qu’est
donc la Marche des Fiertés.
La situation est exceptionnelle et demande une réponse qui ne l’est pas
moins. Face aux militants qui l’interrogeaient, Jérôme Beaugé, président de
l’inter-LGBT s’est engagé publiquement à répondre à cette demande sous réserve
que ses adhérents l’approuvent.
La question qui leur est posée est relativement simple, les Etats généraux
ont montré une volonté commune dans le respect de nos spécificités de redonner
un élan collectif à nos expressions et de permettre aux plus vulnérables
d’entre nous d’être entendus et défendus.
Pendant 3 jours à Avignon, une centaine d’associations, plus de deux cents
participants se sont efforcés d’ouvrir espaces et perspectives à la
constellation LGBTI au-delà de leurs chapelles respectives. L’Inter-LGBT doit
se saisir de cette responsabilité pour, en lien et en coopération avec les
organisateurs des Etats Généraux, faire perdurer l’ouverture dont ces derniers
ont été moteur et peuvent être garants. Ensemble ils doivent travailler à une
première traduction immédiate et concrète de cette mobilisation réaffimée.
[1]Les Etats généraux LGBTI se sont déroulés
les 13, 14 et 15 novembre 2015 à Avignon.
http://www.etatsgenerauxlgbti.fr/