La Cour d'appel de Paris a considéré ce jeudi 19 décembre 2013
que le public est en droit de connaître l'homosexualité d'un responsable
politique lorsque cette information est «de nature à apporter une
contribution à un débat d'intérêt général».
Deux cadres du Front National avaient obtenu, la semaine
dernière du
tribunal de grande instance de Paris qu’il interdise aux éditions
Jacob-Duvernet de publier en l'état le livre d’Octave Nitkovski, Le Front national des
villes et le Front national des champs, au motif qu’il y était fait mention de leur
orientation sexuelle. La Cour d'appel de Paris a pour sa part estimé que le
droit à l’information du public devait l’emporter sur « l’atteinte à la
vie privée » dans le cas de Steeve Briois, compte tenu de son statut de «personnalité
politique de premier plan».
Jusqu’à ce jour, en France, du point de vue juridique, rendre publique l’orientation
sexuelle d’une personne sans son autorisation relevait d’une atteinte à la vie
privée, celle-ci étant protégée par l'article 9 du code civil[1]. La décision de la Cour d’appel n’est
donc pas anodine.
Elle
ouvre la voie à de futurs outing tout autant qu’à la volonté de disqualifier
des homosexuels.
Mais dans le cas présent, il ne s’agit toujours pas selon moi,
d’outing : acte
politique qui consiste à révéler délibérément l’homosexualité d’une
personnalité publique qui par son silence ou par son action fait le jeu de
l’homophobie.[2]
En effet, Octave Nitkovski ne prétend pas mentionner l’homosexualité
de ces cadres au prétexte qu’ils contribuent à l’homophobie mais à l’inverse
parce qu’il lui semble que leur orientation sexuelle explique que Marine Le Pen
n’ait pas associé le Front National aux manifestations contre le Mariage pour
tous.
Je ne dis pas qu’il
n’y aurait pas matière – bien au contraire - à développer un
argumentaire sur leur appartenance à un parti qui entretient l’homophobie,
quels que soient ses clins d’oeils aux gays, mais ce n’est pas ce que Nitkovski
a choisi de faire.
Non, ce que Nitkovski affirme, c’est que l’orientation sexuelle
de ces deux cadres permettrait de comprendre le positionnement politique de
Marine Le Pen, rejoignant ainsi le discours de Minute dans son dossier sur le «lobby
gay» au FN[3] quand il titrait « Les Gays de la
Marine ». Posant ainsi leur
homosexualité en élément constitutif de leurs choix stratégiques. Pose-t-on ce
préalable de l’hétérosexualité pour expliquer les idées défendues par
d’autres ?
L’avocate de la maison d’édition a beau regretter qu’il n’y
ait pas d’équivalence entre le fait de dire d’une personne qu’elle est
hétérosexuelle ou homosexuelle[4] et espérer que dans dix
ans, ce soit devenu anodin, ajoutant « Quand l'évocation de
l'homosexualité suscitera aussi peu de passion que l'hétérosexualité, il y aura
une véritable égalité. Mais cela veut dire qu'il faut sortir des
positionnements archaïques »[5], ses propos montrent bien
qu’à l’heure actuelle, il n’en est rien.
Un hétérosexuel n’encourt aucun danger à afficher son
orientation sexuelle. Ce n’est pas aux hétéros de décider pour nous quand et
comment nous devrions assumer. De choisir à notre place, les risques que nous
sommes prêts à affronter.
L’homophobie n’est pas un fantasme, et même les pédés du FN le
savent qui en viennent à en recourir à la justice pour se protéger de cette
homophobie qu’ils prétendent nier par ailleurs.
L’outing est une arme. C’est bien pourquoi, toutes les
associations et groupes qui ont défendu l’outing ne l’ont jamais fait que sur
cette base de ne l’utiliser que contre des personnalités publiques et des
personnalités publiques explicitement homophobes.
L’outing pointe une contradiction entre comportement privé et politique servie, il figure la
violence de l’aliénation produite par l’homophobie institutionnalisée. L’outing
ne renvoie pas l’homosexualité à la honte. Ne sert pas à déconsidérer
ou affaiblir une personne.
L’outing ne
dénigre pas l’homosexualité mais l’homophobie.
Si Steeve
Briois (ou tout autre pédé FN) devait disparaître de la scène politique,
éliminé uniquement par l’homophobie, je n’y verrais aucune raison de me
réjouir. Même s’appliquant à un pédé d’extrême droite, l’homophobie est
nuisible.
Maintenant, je trouve particulièrement ironique que des cadres
du Front National aient dû fait appel à la justice pour empêcher la divulgation de leur
homosexualité au motif que cette révélation pourrait être problématique dans
une circonscription de province alors qu’ils s’efforcent de nous vendre
l’homophobie comme une caractéristique de quartiers et de populations qu’ils
aiment à désigner à la vindicte populaire.
Néanmoins, cela ne doit pas masquer qu’il demeure une cohérence
dans le discours du Front National qui même quand il présente des candidats
ouvertement homos, comme dans le 3ème arrondissement de Paris,
persiste à ne reconnaître l’homosexualité que comme une affaire privée et
personnelle. Différenciant ainsi nettement la visibilité de la revendication
politique. Après les pédés de la Manif pour tous, ceux du FN vont défendre à
visage découvert des politiques anti-gays en prétendant que leur homosexualité
les dédouane de toute homophobie.
D’autre part, pour en revenir à la décision de la Cour d'appel
de Paris. Elle représente par certains aspects un progrès par rapport à la
situation antérieure, normative, où la seule homosexualité relevait du privé.
Néanmoins, nous pénétrons dans une zone de turbulence où les
frontières ne sont plus claires. Entrent dans le champ public, à côté de
l’hétérosexualité, l’homosexualité de pédés ou de gouines mariés (de par la
publications des bans et du statut marital en de nombreuses occasions),
l’homosexualité de ceux et celles qui ont choisi la visibilité publique et
désormais, celles de personnalité politique de premier plan, lorsque la justice estime
que cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat
d'intérêt général».
Dans l’idéal, hétéros et homos devraient bénéficier des mêmes
protections de leurs vies privées et ce quelle que soit leur orientation
sexuelle et l’on cesserait de nous renvoyer au privé dès qu’il est question
d’homosexualité.
Vers cet état de fait, il n’existe pas d’autres voies que celle
de la visibilité, au quotidien bien sûr, mais surtout de ceux et celles qui
jouissent de conditions de vies privilégiées.
Pourtant
la visibilité aujourd’hui, ce sont des milliers d’anonymes qui la portent (et
pour certains se font casser la gueule dans la rue, chasser de chez leurs
parents, perdent leurs amis, voient un boulot s’échapper …) tandis que d’autres
qui sont en fait ceux qui ont le moins à perdre attendent dans le confort de
leurs placards dorés, de bénéficier des droits arrachés par la mobilisation de
ces anonymes.
Tous
ces peoples, ces sportifs, ces journalistes, ces dirigeants d’entreprises, ces
politiques, qui simplement en ne cachant plus qui ils sont changeraient la vie
de gamins en mal de perspectives.
Evidemment,
il faudrait aussi et surtout une vraie politique de lutte contre l’homophobie.
Le mariage n’en tient pas lieu. A défaut, ce seront les juges qui continueront
de décider au cas par cas où se situent les frontières entre privé et public.
Mais
sur quels critères ? Il n’est pas question dans la décision de la Cour d'appel de Paris de favoriser le bien vivre des
homos mais du droit à l’info. Des hétéros ?
Steeve Briois, homosexuel, aurait convaincu Marine Le Pen de ne
pas s’opposer à l’ouverture du Mariage ? La belle affaire ! Le Front
National continue d’affirmer qu’il reviendra sur le droit des homosexuels à se
marier s’il parvenait au pouvoir. Steeve Briois, personnalité publique de
premier plan, défend des politiques homophobes. Qu’en dit la justice ?
Est-ce de nature à contribuer au débat
d'intérêt général ? Parce qu’il y en a d’autres, qui se cachent dans des partis plus
présentables, alors, allons-y, contribuons au débat !
[1]« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les
juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire
toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou
faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent,
s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
[2]Pour un historique sur cette question, on pourra se
reporter à un de mes précédents articles :
http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/06/louting-une-plaisanterie.html
[3] http://www.minute-hebdo.fr/tout-minute/politique/385-les-gays-de-la-marine,
Minute, 7 janvier 2013
[4] http://yagg.com/2013/12/13/deux-cadres-du-fn-font-interdire-livre-qui-evoque-leur-vie-privee/,
Yagg, 13 décembre 2013
[5] http://yagg.com/2013/12/19/la-justice-autorise-la-revelation-de-lhomosexualite-dun-cadre-du-fn/,
Yagg, 19 décembre 2013