Pourquoi
s’opposer, et avec tant de véhémence à un projet de loi qui ouvre des droits à
ceux qui en étaient privés et ne vous en retire aucun ?
Cette
interrogation étonnée accompagne inlassablement les manifestations d’opposition
au mariage des couples de même sexe.
Pour
y répondre, il faut s’écarter du droit, pour s’intéresser aux liens qui
unissent rapports de domination et identité.
Dans
un climat d’incertitude, largement alimenté par le sentiment d’être cerné par
la crise, la tentation est grande de se raccrocher à ce qu’on imagine posséder.
L’enjeu
de cette bataille, car c’en est une, dépasse évidemment le mariage, la
filiation, la protection des couples et des familles. Les opposants ne s’y sont
pas trompés quand ils proposent désormais de nous accorder des droits (même le
Vatican y vient, espérant encore pouvoir éviter le pire). Tout sauf le
mariage ! Tout sauf la filiation ! entonnent-ils en chœur.
Et
au fond, ils ont raison, les homophobes, conscients ou inconscients, de se
battre pied à pied pour que la citadelle du mariage ne tombe pas. Institution
conservatrice et normative s’il en est.
Car,
avec l’ouverture du mariage, c’est bien la norme hétérosexuelle elle-même qui
tombe.
Venu
afficher à l’intention de ses électeurs son opposition au projet de loi, dans
le loft républicain qu’était devenu l’hémicycle ces derniers jours, Jean-Charles Taugourdeau, député UMP, nous a fourni une
des clés du sentiment de dépossession qui anime si vigoureusement les
opposants. « Quand, demain, quelqu’un dira qu’il est
marié, on sera obligé de lui demander : Avec qui, un homme ou une
femme ? » s’est-il
insurgé.
A
première vue, la sortie prête à sourire, on a envie de lui objecter oui et alors ?
Pourtant, c’est sans doute une des phrases les plus parlantes du débat. Que
nous dit-il ce député, si ce n’est que le mariage était un marqueur, peut-être
même le marqueur ultime, qui servait, non seulement à différencier mais à
hiérarchiser les orientations sexuelles.
Et
pour certains, la terreur ne doit pas être très loin, il ne manquerait plus
qu’on les prenne pour des pédés !
En
effet, se marier, jusqu’ici, pour des Jean-Charles
Taugourdeau, c’était affirmer qu’on était un homme. Pour un hétérosexuel
masculin, c’était s’afficher comme membre de la caste dominante d’une structure
pyramidale.
Voilà
pourquoi, ils étaient prêts à sacrifier jusqu’au contenu du mariage du moment
qu’on leur laissait l’étiquette.
En
la leur retirant, on frôle la castration symbolique ! à cette lumière,
l’agressivité avec laquelle, ils défendent ce qu’ils estiment être leur apanage
ne doit plus nous étonner.
En
outre, parce que ce sentiment mêle à la fois intime et construction
inconsciente de l’identité des hétéros, il n’est pas surprenant non plus qu’il
génère une forme de solidarité instinctive.
Tant
que le mariage était réservé aux couples hétérosexuels il participait de
l’affirmation de leur supériorité sur les homos, en s’ouvrant il installe une
équivalence.
Et
quoi qu’il soit prétendu, c’est bien cette équivalence que les opposants au
projet de loi refusent. Qu’il s’agisse de conjugalité ou de filiation.
Car
dès que les questions d’adoption et d’état civil ont été abordées, les
objections se sont traduites, là encore, par une volonté de hiérarchisation,
avec pour seul postulat qu’il était mieux pour un enfant qu’il ait des parents
hétérosexuels plutôt qu’homosexuels. Le comble étant l’idée qu’on puisse un
jour choisir de confier un enfant à un couple homo plutôt qu’à un couple
hétéro.
Là
encore la dépossession est analogue. On peut même penser qu’avec la
désaffection progressive du mariage, la question de la filiation est venue peu
à peu, elle aussi, s’inscrire sur ce terrain symbolique de l’affirmation
identitaire.
On
devient un homme ou une femme à part entière en devenant parent. Et plus il est
difficile de trouver sa place dans la société (de réussir sa vie
professionnelle), plus on mise sur la cellule familiale. Plus, il est compliqué
de se réaliser, plus on s’attache à une transmission génétique.
Et
tout à coup, la société proclame qu’il ne suffit plus d’être hétéros, pour être
parents. Encore moins de bons parents. Il faudrait maintenant dans ce
domaine-là, aussi, faire ses preuves, donner du sens, là où jusqu’à maintenant
on se contentait d’être.
Horreur,
crient-ils, vous allez supprimer les mots de père et mère. En fait, nous faisons bien pire. Nous
inversons un processus, selon lequel, l’octroi de la qualité de père suffisait
à faire d’un homme un père, peu importe quel père vous étiez. Fonction qu’il
faudrait désormais investir !
Qu’est
ce qu’un mari, qu’est ce qu’une épouse, un père ou une mère ? Nous allons
indubitablement, y compris au corps défendant des plus conformistes d’entre
nous qui ne demandaient qu’à enfiler des pantoufles, bouleverser des jeux de
rôles prédéfinis qui ont bien du mal à se défaire de stéréotypes omniprésents.
Ne
serait-ce que du fait, que dans un couple de femmes ou d’hommes, la répartition
des rôles ne préexiste pas au couple.
Comme
le dénoncent les opposants au projet de loi, les effets de l’ouverture du
mariage vont affecter l’ensemble de la société. Ils s’en effraient.
Dans
un monde qui échappe à leur contrôle, nous bousculons la sécurité imaginaire
d’un ordre immuable. Grâce auquel, ils croient pouvoir chasser l’angoisse du
lendemain en s’inscrivant dans une généalogie rassurante. Il en sera de mes
enfants comme il en a été de mes parents, depuis toujours, veulent-ils penser, comme accrochés à un
doudou.
Cette
loi s’inscrit dans un mouvement d’émancipation. En cela, elle s’oppose à la
subordination de la loi à un prétendu ordre naturel, piètre avatar d’un ordre
hétéropatriarcal occidental et blanc où la place de chacun serait définie par
une identité biologique.
L’ouverture
du mariage ne leur retire aucun droit mais elle émancipe un peu plus la société
française de l’ordre qu’ils entendent lui imposer, un ordre où il n’était pas
tolérable qu’un homo puisse avoir la même valeur qu’un hétéro. Elle leur
conteste le pouvoir de gouverner nos vies.
Contraints
et forcés par nos luttes à nous concéder une place dans l’ombre qu’ils
appellent sphère privée, ils devront désormais admettre notre légitimité dans
la res publica car c’est ce qu’est le mariage : chose publique.
L’opposition
ne cessera pas le combat pour autant. Il suffit de se référer aux luttes pour
les droits des femmes ou pour les droits civiques pour mesurer ce qui nous
attend encore.
Mais
désormais, ce n’est plus l’homosexualité qui est anormale, c’est l’homophobie
qui le devient. Ne nous en croyons pas néanmoins débarrassés. Il faudra faire
face à des sursauts de violences. Il faudra aussi apprendre à contrer ses
visages plus policés, moins aisés à démontrer, à faire entendre et à abattre.
Et
surtout nous garder de nous faire nous-mêmes les acteurs d’un système de
ségrégation légèrement ravalé dans lequel nous aurions simplement trouvé notre
place. Ne pas nous couler dans le costume confortable de nouveaux notables
n’est pas le moindre des défis qui s’ouvrent à nous. L’égalité des droits, les
droits conjugaux et familiaux, ni même les droits des gays et des lesbiennes ne
sauraient être l’alpha et l’oméga de nos mobilisations.