Je
vois passer des comparaisons idiotes entre les épidémies de
coronavirus et de VIH.
Deux
virus et deux épidémies qui médicalement ne sont pas comparables.
Pourtant,
s’il y a une communauté qui devrait partager son expérience,
c’est bien la communauté sida. Mais existe-t-elle encore ?
L’expérience
que l’épidémie de coronavirus sera aussi sociale.
L’expérience
que l’Etat réagira avec retard. Et que ses priorités pourront
différer des nôtres. Que sa conception de l’utilité générale
est partielle et partiale.
L’expérience
que le gouvernement, comme ceux qui l’ont précédé minimisera,
prendra des décisions d’abord économiques, prétendra donner des
leçons au monde entier sans tirer conséquence du délai qui nous a
été donné pour essayer d’anticiper plutôt que de subir.
L’expérience
qu’il commencera par nous expliquer que l’excellence française
fait de nous l’exception mondiale, de celle qui arrête des nuages
aux frontières.
L’expérience,
que dans la réalité, la principale barrière tiendra sur le
dévouement des soignants en première ligne qui sacrifieront y
compris leur santé pour essayer d’épargner la nôtre.
Alors,
forts de cette expérience, c’est aussi à nous de nous
auto-responsabiliser à notre échelle.
La
mémoire des luttes, c’est cela aussi.
Il
nous faut exiger de la part de l’Etat de prendre des mesures à la
hauteur de la situation, sans attendre. Et non pas, pour protéger en
priorité l’économie et sa structuration mais pour protéger tout
un chacun et d’abord les plus vulnérables.
Evidemment le gouvernement est le premier
responsable de la gestion de la crise et les moyens qui seront
engagés ou non dépendent au premier chef de ce qu’il décidera ou
non.
Mais nous savons déjà, que les mesures sociales
seront les dernières décidées (si elles le sont) et que paieront
le prix fort de l’épidémie, ceux qui sont déjà les plus
vulnérables.
Les plus vieux, les immuno-déprimés, les
atteints de co-pathologies, les femmes, les pauvres et précaires,
les migrants et SDF abandonnés et entassés sur les trottoirs,
celles et ceux qui n’ont déjà pas accès aux soins, celles et
ceux qu’on estime négligeables, celles et ceux qui vont devoir
pallier aux mesures de (non) prise en charge, qui n’ont pas les
ressources financières pour attendre que le fort de la crise passe,
celles et ceux qu’on envoie travailler dans les conditions de
promiscuité qui font le lit de l’épidémie mais ne peuvent se
passer du peu d’argent que cela représente, celles et ceux déjà
contraints par les conditions de production de masse et la relégation
géographique, celles qui ont déjà en charge toutes les tâches de
reproduction sociale, de care et de nettoyage sans que leurs propres
existences soient prises en considération, celles et ceux qui ont
déjà en charge l’organisation de la solidarité réelle.
Tous ces plus vulnérables, ce sont nous et nos
proches. Et nous le savons d’ors et déjà, l’Etat n’en prend
pas soin. C’est nous qui le faisons.
Il ne s’agit pas de noircir le tableau. Encore
une fois, les soignants feront ce qu’ils pourront et notre système
hospitalier, en dépit des coups qui lui sont portés par les
possédants et de son démantèlement organisé est plutôt meilleur
que dans bien d’autres pays.
Il amortira en partie, il sauvera et soignera
beaucoup. Mais quand il sera débordé, la mortalité en sera
démultipliée, mécaniquement. Il serait naïf et irréel de croire
le contraire. La mortalité des plus âgés et des plus vulnérables,
mais pas seulement, quand le système sature, la mortalité explose
par manque de moyens, par retard de prise en charge y compris dans
les classes d'âges inférieures et les mieux portant.
Chaque jour qui passe, le nombre de cas croît de
façon exponentielle et en l’absence de test, les porteurs
asymptomatiques participent à leur corps défendant de cette
croissance explosive et non mesurée.
Les véritables experts de la réduction des
risques et de la solidarité, c’est nous.
Alors, il faut prendre sur nous de décréter
qu’il n’est plus temps d’attendre, de différer.
Il faut cesser provisoirement mais au maximum tout
ce qui n'est pas vital, obligatoire ou activité de solidarité qui
permette à d'autres de ne pas sortir, de se nourrir, d’accéder
aux soins avant que leur état ne se soit dégradé sans que personne
ne s’en soit préoccupé.
Il faut cesser de penser que nous sommes et seront
épargnés : faire l’autruche ou les malins ne protègent
personne, pas même ceux qui estiment être statistiquement protégés
parce qu’ils ne font pas partie des personnes les plus à risque.
J’en reviens à l’expérience de la communauté
sida.
Nous avons su et dû ne pas attendre l’Etat pour
organiser des réponses à notre échelle.
Nous savions la nécessité de prendre soin de soi
pour ne pas transmettre à d’autres y compris des pathologies
bénignes pour nous mais potentiellement grave pour nos amis
immuno-déprimés.
Nous savions respecter les mesures de précaution
élémentaires, ne plus nous embrasser s’il le fallait et quand il
le fallait et célébrer la vie néanmoins.
Nous savions faire leurs courses, leurs diners,
leurs lessives si besoin.
Nous pouvons nous inspirer de ces expériences.
Des savoirs et solidarités populaires. Des savoirs de ceux qui
savent d’abord devoir compter sur eux-mêmes.
Nous pouvons au moins essayer de mettre fin à la
circulation du virus, pallier aux risques d'isolement, d’abandon,
livrer des courses, alimentaires ou de médicaments, essayer de
contribuer à ce que ne craquent pas les services d’assistance à
domicile.
Créer des réseaux d’information, d’alerte,
de solidarité et de relai. Nous avons même aujourd’hui les
réseaux sociaux pour nous y aider.
Exiger de l’état que soit mis en place un
revenu minimum pour tous. Qu’il gèle tous les prélèvements, les
remboursement de crédit, etc …
Mais nous devons d’abord apprendre à nous
réunir, au moins provisoirement sans rassemblement physique.