François Fillon en tête
au premier tour de la primaire de la droite, les réactions à la
nouvelle campagne de prévention du sida s’adressant aux HSH1,
mêmes symptômes.
Il n’y a là, hélas
rien de très nouveau. Si ce n’est la consolidation d’un
mouvement de fond. Parce que les classes dirigeantes n’ont en
aucune façon le désir d’en finir avec la hiérarchisation de la
société, elles s’efforcent de rendre toujours plus indiscutable
le fait qu’il n’y aurait pas d’alternatives crédibles
d’organisation sociale et qu’en découlerait la nécessité de
faire des choix entre des catégories de population.
Du déséquilibre au
désordre, en termes de ressenti, il n’y a pas loin. Il n’est
donc pas très ardu, face à l’écart grandissant entre classes
privilégiées et majorité de la population, de faire croire qu’il
suffirait d’en revenir à l’Ordre pour réparer le sentiment
d’abandon, effaçant au passage que c’est en réalité
précisément cet ordre qui est à l’œuvre et à l’origine du
déséquilibre.
En ce sens, les Primaires
portent bien leur nom. C’est ce que les dirigeants exploitent à
loisir, du primaire.
Hier midi sur France
Info, Frigide Barjot, à propos de l’aggravation de la différence
de traitement entre couples de même sexe et couples de sexes
discordants dans l’accès à l’adoption plénière justifiait
cette différence en l’adossant à celle qui serait légitime entre
mensonge vraisemblable et mensonge impossible.2
Gommer l’origine
biologique d’un enfant dans le cas d’adoption par un couple
hétérosexuel ne serait pas mensonge parce que ça a l’air vrai.
Voilà donc ce que
préconise le projet de François Fillon (pour autant, Fillon n’est
pas exceptionnel, la même logique est à l’œuvre également
aujourd’hui, Fillon entend seulement la pousser plus loin), mentir,
du moment que ça a l’apparence de la vérité.
Préserver, à coup de
mensonge vraisemblable, l’ordre établi, les hiérarchies sociales
en attribuant des places a priori à chacun et s’assurer que
personne ne vienne en contester la légitimité.
Car c’est ce que font
les couples de même sexe en la matière. Affirmer que nous pouvons
être partie prenante de nos destins.
L’alternative est là :
fonder nos liens aux autres sur la responsabilité et l’engagement
ou sur un ordre préétabli dont il importerait peu qu’il soit
mensonger et inégalitaire du moment qu’il emprunte à une
apparente sécurité.
Plus le mensonge est
gros, mieux il passe. Car la famille traditionnelle qu’on nous
propose alors comme modèle unique dont on devrait accepter la
suprématie, n’est rien d’autre que statistiquement tout autant
refuge réel dans certains cas, fantasmée dans bien d’autres et
lieu de violence sans rivale (féminicide, inceste, femmes et enfants
battus, homophobie …)
Dans le même temps, on
comprend bien l’intérêt pour les promoteurs d’une casse sociale
sans limites, de nous vendre la famille et les rôles traditionnels
comme moyens de protection de première intention.
Car quand il n’y aura
plus de sécu, d’hôpitaux, de Maison de retraite, d’écoles que
privées, qui sera en charge de s’occuper des malades, des vieux,
de l’instruction des enfants qui n’auront pas accès aux
cliniques de luxe, spécialistes aux honoraires exorbitants et autres
institutions privilégiées ? Maman à la maison, papa pas en
mesure de refuser de travailler quelles que soient les conditions de
l’embauche et priés de remercier de l’aumône qui leur sera
faite par quelques grandes familles de Conseils d’administrations
consanguins se distribuant toujours plus de dividendes d’un ordre
naturel, vous dit-on !
Il n’y a pas
d’alternative, que de laisser les riches faire de l’argent, ne
savent-ils pas mieux que quiconque le faire !
Dans cet ordre de la
jungle, on laissera s’extraire quelques jeunes carnassiers, pour
prétendre que le libéralisme fonctionne au mérite et au labeur et
non à l’héritage, un peu de sang neuf, ne nuit pas (vous vous
souvenez, « quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a
beaucoup qu’il y a des problèmes »3).
Le libéralisme intègre au compte-goutte à condition de nourrir la
pyramide.
Le lien avec la campagne
de lutte contre les contaminations chez les HSH ? Ne pensez
pas qu’il s’est perdu, c’est cette fameuse nécessité de faire
des choix entre des catégories de population dont les intérêts
seraient supposément contradictoires.
Certains ont vu dans
l’opposition à cette campagne des Poisson, Associations
Familiales catholiques (c’est leur nom) et autres affidés de
La Manif pour tous de l’hypocrisie, (en passant hein, je
note qu’à ma connaissance il n’y a pas eu de cris d’orfraies
venues d’autres religions et que les tenants d’une laïcité
variable n’ont rien à dire ici sur l’incursion d’un
catholicisme bon teint dans le champ politique) et ne trouvent rien
de plus pertinent que de dénoncer celle-ci et l’homophobie qu’elle
serait censée dissimuler.
Certes ils sont
homophobes, à n’en point douter.
Mais d’une part leurs
manières ont progressé dans la société, d’autre part
l’homophobie (il s’agit ici de considérer que l’hétérosexualité
est meilleure que l’homosexualité, pas de casser la gueule du
premier pédé qui passe) est tellement partagée et structurellement
intégrée à nos modes de pensée qu’il ne suffit pas de dire pour
convaincre. Oui, il faut la nommer mais hélas, on en est encore
aussi à devoir la démontrer.
Et si nous voulons
dénoncer l’hypocrisie alors ne nous contentons pas de qualifier,
démasquons-là jusqu’à son terme. Factuellement.
Ces associations, ces
maires, préfèrent que des gays se contaminent plutôt que
d’accepter que l’image de deux hommes s’enlaçant se banalise.
Ils prétendent que deux hommes qui s'enlacent c'est indécent. Non,
ce qui est indécent c'est de préférer que des contaminations se
produisent.
Ne perdons pas de vue que
s’ils ne disent pas ouvertement leur homophobie et ce qu'elle
recouvre (à quelques exceptions près), c’est qu’ils n’en ont
pas besoin. Mais aussi que ce serait contre-productif d’avancer
sans filtres. Car une large part de l’opinion publique n’est pas
prête à assumer la réalité de son homophobie et les conséquences
qui découleraient d’un tel aveu. Méfions-nous pourtant, ils
gagnent du terrain. Jouer sur le registre du non-dit, de l’implicite
leur sert à rallier peu à peu, ceux que trop de franchise aurait
effrayés mais qui au fond n’ont pas été convaincus mais
contraints à nous faire place, ceux qu’on peut persuader que
l’avancée de nos droits se ferait à leur détriment et que dans
ces conditions il n’y a rien de mal à être homophobe.
En croyant qu’il suffit
de dire qu’ils sont hypocrites, sans dire en quoi, nous misons sur
une compréhension de cette même opinion de nos points de vue et
nous oublions à quoi sert cette hypocrisie.
Ils font semblant
d’ignorer l’objectif de la campagne, remettent en cause son
intérêt et son efficacité, prétendent même se préoccuper de
notre sort en avançant qu’il y aurait d’autres vecteurs de
communication plus efficaces, mais tout ça est diversion. La réalité
c’est que ces forces, car c’en sont à nouveau, ne souhaitent que
notre disparition, y compris physique si c’est nécessaire. Nos
vies ne valent pas protection, voilà ce qu’ils disent réellement.
Comment ne pas être
renvoyé dans ce contexte au slogan « Séropos, la France
vous préfère morts » que rappelait Act Up-Paris il y a
quelques jours dans son appel à se mobiliser le 1er
décembre prochain.
A cette évocation, je me
souviens m’être faite la remarque, comme en 1995 déjà (tiens,
tiens, 1995, Juppé vous vous souvenez ?) que ce n’était pas
le meilleur mot d’ordre que nous avions produit. Qui m’a toujours
paru trop frontal et me semblait-il à l’époque aurait dû être
point de départ de la réflexion et non son aboutissement. Mais avec
le recul, un tel mot d’ordre ne reflétait-il pas en effet notre
réalité, notre épuisement et l’apogée de l’hécatombe. Les
trithérapies n’étaient pas encore arrivées. Et nous étions
entourés de morts et de combattants exténués en sursis. Et face à
nous, toujours ce mur d’indifférence et d’homophobie qui non
seulement avait permis à l’épidémie de se développer, mais
continuait à justifier de ne pas en prendre la mesure.
Toujours cette même
assimilation des campagnes de prévention grand public à destination
des gays à la promotion de l’homosexualité.
Toujours ce même
fantasme d’une homosexualité contagieuse. Plus capitale à enrayer
que la multiplication de nos morts.
Nous voici donc 20 ans
plus tard ; nous attendons toujours les campagnes de lutte
contre l’homophobie, il a fallu se battre pour que la campagne de
2016 ne soient pas renvoyée dans les réseaux communautaires (même
si d’autres arguments ont été aussi évoqués, comme la
pertinence de mettre sur le même plan préservatif, Prep, Tasp) ou
accompagnée de visuels s’adressant à d’autres que des hommes
ayant des relations sexuelles avec des hommes Comme si s’adresser à
eux, spécifiquement, demeurait illégitime.
Que les pouvoirs publics
aient finalement accepté de s’y résoudre, et de défendre la
campagne une fois celle-ci attaquée, ne peut faire oublier qu’au
fond leurs réticences n’étaient pas très éloignées des
arguments qu’ils condamnent publiquement.
Car ce que nous payons
aujourd’hui ce sont ces réticences, et les campagnes qui n’ont
jamais vu le jour. Et ce qu’elles nous disent, en dépit des
messages de soutien, c’est combien nous sommes loin de la banalité.
Parce que pour chaque
pas, pour chaque mesure qui s’imposent pour assurer notre
bien-être, notre santé, notre existence, les pouvoirs publics
continuent de peser ce que ça pourrait leur coûter en terme
d’image.
Et parce que les mesures
de santé publique qui nous concernent continuent d’être évaluées
non pas tant à leur efficacité qu’à leur réception réelle ou
fantasmée de l’opinion publique.
C’est l’existence de
cette balance, que le slogan cru de 1995 rendait visible.
Une balance qui n’a pas
disparu. Seuls les rapports de force qui en font pencher les plateaux
fluctuent. Indicateurs de ce que nos vies pèsent.
En 2012, la Manif pour
tous a estimé qu’elle ne pouvait se permettre d’affirmer
haut et fort que nos vies ne valent rien (même si quelques-unes de
ses franges ne s’en sont pas privées).
Qu’elle ne pouvait
revendiquer frontalement l’homophobie, comme elle ne peut pas dire
ouvertement aujourd’hui qu’elle se moque totalement que des
homosexuels soient contaminés. Cette crudité-là n’est
aujourd’hui pas audible.
Elle n’y a pas renoncé
pour autant.
Puisque l’opinion
publique dans sa majorité, n’était plus prête à assumer une
homophobie brutale et décomplexée, elle a décidé de contourner
l’obstacle.
Plutôt que le frontal,
elle a choisi le collatéral pour remettre du poids dans son plateau
de la balance.
L’homophobie n’aurait
rien d’idéologique, et bien sûr ne relèverait en rien d’un
ordre moral, non ce serait plutôt une conséquence inévitable de
choix qui s’imposent en raison de contradictions indépassables
entre intérêts de différentes populations. On ne serait dès lors
pas homophobes, et surtout pas par une volonté de nuire, ni même de
s’opposer, mais contraints et forcés à des choix imposés par des
intérêts supérieurs.
Il suffit pour cela de
prétendre que les droits des uns porteraient atteintes à d’autres.
Et si possible à d’autres dont la vulnérabilité fait consensus.
D’où les enfants. Retour de la moralité. Qui ne veut protéger
les enfants ?
L’équation est assez
simple en fait : quand on ne peut pas dire l’homophobie, c’est
bien, commençons par neutraliser la thèse inverse, l’homophobie
c’est mal. Peu ont envie d’assumer d’incarner le mal. Ensuite,
il sera bien plus facile de faire assumer des choix qui sont
homophobes. Puisque ce n’est pas blâmable.
C’est une façon de
procéder qui a également fait ses preuves en matière de racisme.
Les violences, discriminations passent d’autant mieux qu’on
prétend les expliquer par des raisons objectives, factuelles. On
peut s’abriter derrière l’idée que n’est pas du racisme mais
des circonstances qui ont imposé des choix. Un intérêt supérieur
à la valeur des vies.
Mais une fois qu’on
s’est habitué à admettre que ces vies n’ont pas de valeur et
que nos choix ne sont en rien moralement condamnables, là on peut
passer à nouveau à l’étape suivante. Puisque ces actes, ces
discriminations homophobes ou racistes, parfois les deux d’ailleurs,
sont justifiés, pourquoi ne pourrait-on pas les assumer et les
revendiquer pour ce qu’ils sont.
Face à cette mécanique
qui se développe à vitesse effrayante, nous continuons à
sous-estimer l’ampleur des dégâts.
Bien sûr, il faut
continuer à dénoncer et démasquer l’homophobie sous toutes ses
formes, insidieuse, banale, structurelle, institutionnelle,
politique, brutale ou policée.
Mais il faut cesser de
croire que cette dénonciation, ce rendre visible suffisent. Pas plus
que qu’il suffit de croire que parce que nos revendications sont
justes, elles vont automatiquement susciter l’adhésion.
Nécessaire mais non
suffisant.
Il faut aussi cesser de
penser que parce que nous recevons des témoignages de solidarité,
des soutiens et des re-tweet dans le monde des réseaux sociaux, nous
avons avec nous la population.
Les messages de nos
opposants ne s’adressent pas à ces soutiens, qui sont
réconfortants par ailleurs et là encore nécessaires, mais à une
frange de la population qui a fini par croire que l’amélioration
de sa situation qu’elle ne voit matériellement pas venir, passera
par des repères identitaires dont on l’aurait expropriée.
Et à qui nos opposants
ne cessent de répéter qu’il ne peut y avoir de projet commun
entre eux et nous.
Nous nous rassurons en
pensant que la minorité qui nous combat est une minorité justement.
Nous oublions, que le pouvoir d’une minorité ne se mesure pas
seulement à son poids numérique (et heureusement pour nous, sinon
nous n’aurions jamais fait avancer nos droits) mais plutôt à
l’influence qu’elle exerce en des points stratégiques et sur sa
capacité à mobiliser plus que son opposition.
Aujourd’hui, nous
pouvons encore compter sur la compréhension d’une majorité de la
population. Ce qui n’implique pas qu’elle se mobilisera à nos
côtés. Qu’elle n’estimera pas nos combats secondaires.
Potentiellement sacrifiables. D’autant plus que la situation se
tend sur des fronts multiples. Nous-mêmes, nous ne sommes pas
exempts de ces réflexes, et ne choisissons-nous pas nos priorités ?
D’autre part,
avons-nous fait l’effort que nous reprochons à la gauche en
général de ne pas avoir fait, à savoir prendre le temps d’inclure
nos droits dans un projet global crédible, audible, où s’articulent
les droits de chacun ?
A nous adosser quasi
exclusivement aux droits de l’homme, nous en négligeons la
dimension politique (ou la réduisons au monde politico-médiatique
et associatif) et le versant matériel.
Les classes populaires,
les autres minorités ne sont pas contre nous, en revanche, elles ont
d’autres urgences que de nous défendre. Et nous aurions tort de le
leur reprocher.
Le sida c’est la guerre
disait Act Up. L’homophobie aussi. Il est tentant de l’oublier.
De la croire renvoyée au Moyen-âge. De la penser résiduelle et
limitée à un groupuscule de connards, là où nous sommes
confrontés à une minorité certes, mais organisée, déterminée,
qui dispose de moyens incomparables et déploie des stratégies
pensées qui gagnent chaque jour en influence et nocivité.
Eux sont prêts à la
guerre. Et nous ?