En
2017, la réception à l’Elysée de représentants associatifs LGBT
est une information.
Tel
est le premier constat et il n’honore personne.
Il
montre qu’en dépit des avancées et des oppositions, les luttes
des associations et des activistes et militants gays, lesbiennes, bi,
trans et intersexes demeurent tout sauf banales.
Il
faudrait donc d’une certaine façon rendre hommage à François
Hollande de ce geste qu’il adresse à la fois à ses convives et à
la société dans son ensemble ?
Seulement
voilà, cette invitation souligne par sa dimension exceptionnelle,
son caractère problématique.
Car,
dans la mesure où c’est la loi de la République que de s’incarner
à travers des symboles et du cérémonial et l’une des fonctions
du Président que de figurer dans la dimension une et indivisible de
la République le rassemblement en son sein de toutes ses
composantes, une telle réception ne devrait pas attirer l’attention
plus qu’une ligne parmi d’autres dans un agenda élyséen. Et sa
fréquence ne devrait pas trancher avec la régularité de
rendez-vous qui réunissent d’autres corps intermédiaires de la
société civile.
Or
qui pourrait nier que ce soit pour s’en réjouir, s’en gausser,
la critiquer, la mépriser ou s’y opposer, que cette réception de
vendredi garde un aspect événementiel ?
Bref,
depuis 5 ans que François Hollande préside, les militants pinky les
plus institutionnels auraient déjà dû se fondre sans plus ni moins
de grâce qu’un pot de fleur hétéro et cis dans la mare aux
canards des Garden Party juillettiste.
Ce
qui m’amène assez naturellement au calendrier.
Les
militants LGBT, qui sont par définition, relativement familiers de
la notion de retournement du stigmate, ne pourront qu’apprécier
combien François Hollande emprunte à une méthode qui n’en est
pas au fond très différente.
Car
de quoi faudrait-il en fait le créditer, si ce n’est de
transformer en vertu une action qui vaut en grande partie pour ce
qu’elle tranche avec l’absence qui la précède.
Jusqu’au
dernier brin, François Hollande usera de la ficelle de l’éternelle
virginité de la gauche par opposition à ses prédécesseurs et à
la droite.
Et
ses rejetons (dont on ne sait d’ailleurs toujours pas lesquels font
office d’héritiers
en attendant que le suffrage donne l’onction) ont retenu la méthode
qui font de même, s’exonérant chacun à leur façon de rendre des
comptes de la part qu’ils ont pris au bilan quinquennal.
Voilà
donc les LGBT conviés au bal des entrants à l’Elysée, à
chausser les pointes pour, à leurs propres objectifs défendant,
être les protagonistes de quelques ultimes pirouettes à gauche
prétendant faire oublier que le cavalier est sortant.
C’est
le sort des minorités politiques pour qui la porte est étroite dans
la lutte pour faire valoir la dignité de leurs vies comme la
justesse et la nécessité de leurs engagements contre les violences
et les haines recuites.
Coincées
entre l’acceptation de reconnaissances qui leur sont dues et ont
été arrachées du fait de leurs combats et les instrumentalisations
des politiques cherchant à inverser l’humilité d’hommages
qu’ils doivent en mérite et espoirs à-valoir dont il faudrait
leur être redevables.
Ce
n’est d’ailleurs pas sans rappeler la visite du Président au
chevet de Théo Luhaka le 7 février dernier à l'hôpital
d’Aulnay-sous-Bois, quand dans le même temps sa majorité
parlementaire non contente d’avoir renié ses promesses de campagne
vote en dernière loi de son exercice un élargissement inique de la
légitime défense.
Sortir
du complexe de Cendrillon, c’est rappeler que la politique est un
rapport de force dans lequel les minorités n’obtiennent d’avancées
qu’à condition de refuser d’entretenir la geste dans laquelle
c’est le politique qui honore.
C’est
rappeler qu’ils sont acteurs au sens d’agissants et non pas
seulement de représentation.
Rappeler
que cette invitation à l’Elysée est le fruit d’une histoire et
d’affrontements.
Ce
quinquennat ne déroge pas à cette règle. Il suffit de
contextualiser le calendrier des réceptions par le Président de la
République.
Ce
sont les porte-parole de l’Inter-LGBT reçus suite à la
manifestation de militants devant Solferino en réaction à François
Hollande envisageant de soumettre nos droits à une clause de
conscience.
Ce
sont des représentants de l’Inter-LGBT, du Centre gai et lesbien
d’Ile de France et de SOS Homophobie reçus au moment précis où
la communauté décide de remettre en question frontalement le bilan
du gouvernement sur les questions LGBT et de ne pas permettre que
celui-ci en impose sa version.
Ce
sont des représentants reçus ce vendredi à quelques semaines des
élections présidentielles et législatives.
Dernière
tentative de redorer à peu de frais le bilan de cinq années qui
auront vu les gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes subir un
backlash de violences largement nourri par les instrumentalisations,
atermoiements et renoncements des gouvernements Hollande et qui voit
les héritiers au mieux resservir les mêmes promesses qu’en 2012
avec moins encore de garanties de les tenir et des copiés-collés de
déclarations hollando-vallsiennes sur la nécessité de ne pas
heurter ceux qui nous violentent.
On
notera aussi que cette réception intervient à deux jours de
l’organisation de la seconde Marche pour la Justice et la Dignité.1
Une
marche à l’appel des familles victimes de violences policières
qui intervient dans un contexte où la radicalisation autoritaire et
anti-sociale de la politique du gouvernement et l’extension des
violences institutionnelles ont conduit à des mobilisations
collectives et des rapprochements entre activistes et militants de
divers fronts (état d’urgence, loi travail, soutien à la famille
d’Adama Traoré, à Théo Luhaka, 8 mars …).
Une
solidarité en marche, une coalition des minorisés et une ébauche
de repolitisation collective autonome que le gouvernement attaque de
toutes ses forces.
Et
notamment par la voix de Gilles Clavreul, son Préfet, Délégué
interministériel à la lutte contre le racisme et hop, depuis moins
d’un an à la lutte contre la
Haine anti-LGBT (DILCRAH2)
,
c’est-à-dire, tiens donc, depuis que le gouvernement a compris que
l’ouverture du mariage ne lui garantissait plus bilan
choupi-choupi.
Attardons-nous
quelques instants d’ailleurs sur l’intitulé et le vocabulaire
choisis du carton d’invitation qu’ont reçu les impétrants.
On
notera bien sûr que la formule évite soigneusement toute mention
d’une quelconque forme de lutte, de politisation, de militance et
évidemment de communauté.
Mais
on enregistrera aussi que si le Président de la République invite
« des actrices et des acteurs engagés contre la haine et les
discriminations anti-LGBT », avec un "des" qui est
article partitif (ce qui signifie donc qu’il invite une partie de
ces acteur.e.s. engagés), en réalité sur le carton, il a été
choisi d'écrire « en l'honneur des actrices et des acteurs » avec
un "des" qui lui est un article défini (c’est-à-dire
l’outil de la détermination complète). En conséquence de quoi,
en bon français, l'Elysée prétend définir qui sont les acteur.e.s
de ces luttes.
Qu’il
y ait choix des invités c’est de bonne guerre et que ce choix se
fasse, en priorité, en privilégiant plutôt les moins critiques
aussi.
Par
contre un mouvement qui se veut autonome se doit à minima de
dénoncer qu'il y a eu tri et la dimension politique de ce tri, sauf
à s’en arranger et accepter de servir des intérêts qui sont ceux
du politique et non ceux des LGBT.
Il
y aurait à s’inquiéter aussi que ce tri en indique un autre à
venir (prévisible ?) : à savoir que
les financements de projets relevant de la DILCRAH aient été
attribués non pas en fonction de leur utilité mais avec cette même
grille idéologique inversement proportionnelle à l’indépendance
politique.
Pour
le reste que l’Elysée fasse de la politique, c’est la moindre
des choses. C’est pourquoi d’ailleurs, veillant à ne pas verser
dans une caricature, quelques invitations ont été adressées à des
représentants qu’on ne peut soupçonner de complaisance. En
revanche, on aura bien compris qu’ils seront très minoritaires.
Je
n’ironiserai pas plus qu’en passant sur le fait qu’il semble
que quelques invitations se soient égarées dans l’espace sidéral
du net. Qu’on apprenne alors qu’Alice Coffin questionne la
légitimité du tri effectué et s’en émeut, que ce sont celles
d’Act Up et de l’AJL qui ne sont pas parvenues à leurs
destinataires est sans doute pur hasard.
J’ajouterais,
pour être très claire, que la question n’est pas de savoir si les
structures et personnes « oubliées » y seraient allées
ou pas.
En
fait d’ailleurs, cette question de se rendre ou pas à l'Elysée ne
me semble que de très peu d’intérêt à partir du moment où elle
n’est pas posée en termes politiques et collectifs et de
faire savoir.
Un
boycott collectif argumenté et médiatisé, aurait eu un sens. Y
aller peut en avoir aussi : porter des paroles silenciées,
interroger le tri, contrecarrer le bilan tout positif qu'on veut
vendre à l'opinion publique et rappeler que l'honneur des activistes
n'a pas attendu que l'Elysée nous remette un diplôme, et qu'à
l'inverse les activistes ne sont pas prêts d'organiser une cérémonie
à l'honneur des gouvernements socialistes …
1https://blogs.mediapart.fr/marche19mars/blog/191216/le-19-mars-une-marche-pour-la-justice-et-la-dignite
14h
Nation
2Délégation
Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme
et la Haine anti-LGBT (DILCRAH)