Ce
vendredi 3 février, Frigide Barjot, égérie de La Manif pour Tous
et l’une de ses deux initiatrices, a émis une pétition visant à
sauver le soldat Fillon1.
Du
moins c’est l’objet apparent de la pétition.
A
y regarder de plus près, ses intentions sont moins solidaires. Il
s’agit surtout de préserver l’influence politique assurée à
travers le succès de Fillon à la primaire de droite. C’est
pourquoi on peut y lire une volonté de démonstration de force et un
avertissement clair aux tenants d’un plan B et à ceux parmi eux
qui imaginent une victoire de la droite sans prise en compte de ce
courant réactionnaire.
C’est
également pourquoi les pétitionnaires ne se contentent pas de jouer
les pompiers mais enfoncent le clou, affichant une cohérence dont
François Fillon n’a pas fait preuve dans sa défense.
Par
mélange d’arrogance et de calcul, de souci de conserver le soutien
d’une frange électorale moins extrémiste qui pourrait être
rebutée par des dévoilements trop crus ? Des choix qui l’ont
conduit à une valse hésitation recroquevillée sur le déni.
Barjot
et ses adeptes ne s'embarrassent pas de ses préoccupations,
estimant, à raison, qu'il a été choisi lors de la primaire,
précisément pour incarner cette vision hiérarchisée de la société
organisée autour de la légitimation d’une appropriation de
privilèges. L’inégalité comme cœur de programme.
Cette
pétition est aussi une forme de réponse à ceux qui pensent, à
droite comme à gauche, que les questions de société seraient
indépendantes des questions économiques, sociales et qu'elles
peuvent se traiter en dehors de ces cadres.
Qu'il
y aurait d'un côté les luttes nobles et sérieuses et de l'autre
les luttes accessoires qui peuvent attendre indéfiniment que les
1ères aient trouvé leur résolution.
Un
peu comme certains opposent les sciences dures aux sciences sociales.
Les
mêmes souvent qui essaient à toute force de faire entrer les
sciences économiques dans le panel de la dureté.
Car
cette pétition illustre combien les hiérarchies sociales,
économiques et politiques sont liées entre elles et se nourrissent
mutuellement.
Les
hétéros bénéficiant de droits supérieurs aux homos,
les
hommes de droits supérieurs à ceux des femmes ,
les blancs de droits supérieurs à ceux des racisés,
les blancs de droits supérieurs à ceux des racisés,
les
châtelains de droits supérieurs à ceux des paysans,
les
riches de droits supérieurs à ceux des pauvres,
les
patrons et actionnaires de droits supérieurs à ceux des
travailleurs,
les
politiques de droits supérieurs à ceux des citoyens lambdas, etc.
La
première de ces pyramides étant naturellement la famille, dans
laquelle le pater familias jouit, tandis que femme et enfants,
extensions à peine individualisées, travaillent à cette jouissance
méritée. Et il n'y a pas d'autre place pour une femme dans cet
ordre, que celle de la cellule familiale, de la discrète action qui
permet à son homme d'être, lui public.
Un
brin provocatrice, on aimerait que François Fillon reconnaisse que
c'est cette tâche qui était rémunérée : de travail
domestique et de reproduction d’une mâle TPE et que cette division
sexuelle du travail lui paraît à ce point normale qu'il a du mal à
admettre que des esprits chagrins n'en reconnaissent pas l'existence
et en exigent des preuves matérielles.
Dans
l’esprit de Fillon et ses semblables, les preuves sont déjà là.
Elles ont le visage de sa réussite et s’incarnent
tautologiquement : sa femme et ses enfants en sont les
attributs.
Encore
une fois la pétition Barjotique l’énonce plus clairement que le
champion : Assistante = épouse et mère au foyer. Dans ces
conditions, l’absence de visibilité publique et d’activité
autres que familiales ne sauraient être retenues à charge
puisqu’elles sont ce qu’il convient de rémunérer :
l’effacement.
Qui
plus est, s’adjoint ici une autre dimension de la conception
hiérarchisée des rapports sociaux selon Fillon et ses alliés :
le candidat et par extension sa classe ne sauraient être soumis à
la loi commune.
Si
la stratégie de défense de Fillon est aussi désastreuse, c’est
qu’il oscille entre sa vision féodale de la société, sa propre
victimisation et la certitude de son bon droit et une nécessité
inhérente à l’élection présidentielle au suffrage universel qui
lui impose de ne pas déplaire à un nombre significatif de ses
électeurs potentiels, là où d’une certaine façon son
intronisation s’est jouée dans une forme de suffrage censitaire
(le corps électoral des primaires de droite s’étant révélé
moins populaire, qu’âgé et aisé).
Plus
que « Fillon, tiens bon », assumez la loi du seigneur,
crie Barjot à la droite.
Et
s’ils n’ont aucune pudeur à crier au vol, c’est parce que
fondamentalement, ces partisans d’anciens régimes n’ont jamais
admis aucune légitimité à d’autres qu’eux d’exercer le
pouvoir. Dans leur esprit ce n’est pas une alternance qui doit se
produire aux présidentielles mais une restauration.
1https://www.change.org/p/a-tous-les-défenseurs-de-la-filiation-et-des-familles-mm-macron-bergé-hollande-ne-voleront-pas-notre-vote-pour-la-famille-et-la-filiation?utm_source=sendinblue&utm_campaign=170203_Ptition&utm_medium=email
2
Banalité : terme de féodalité désignant le droit du
seigneur d'assujettir ses vassaux à l'usage d'objets lui
appartenant et par métonymie, l'étendue du territoire soumis à
cette juridiction. Source : Dictionnaire historique de la
langue française. Le Robert.
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