« Les personnes LGBT ne
sont pas des pigeons que l’on peut appâter tous les cinq ans, une promesse à la
fois »[1]
a réaffirmé l’Inter-LGBT en réaction aux propos de Laurence Rossignol sur LCP
mercredi 20 avril. La ministre y estimait que « la gauche
s'engagerait pendant la campagne présidentielle de 2017, à ouvrir l'accès à la
Procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes
seules ».[2]
Chiche ! donnons crédit à
cette affirmation de l’Inter-LGBT de sa volonté prédictive (plus que
descriptive comme le reconnaissait lui-même un des porte-parole de l’inter
associative sur les réseaux sociaux).
La Marche des Fiertés de juillet
prochain à Paris, qui rappelons-le sera la dernière de ce quinquennat, devrait
nous en apprendre plus sur l’étendue de cette volonté de se dissocier de la
communication gouvernementale.
Elle sera l’une des dernières
occasions, de signifier collectivement et massivement au parti majoritaire
qu’il ne pourra s’abriter derrière un mariage incomplet, inégalitaire et dont
pour profiter, il est préférable de ne pas être trop en situation de
vulnérabilité, pour prétendre afficher un bilan positif.
Il reste un an.
Mais à l’heure actuelle, il
serait indécent de permettre aux représentants du parti socialiste de parader à
la tête de nos mobilisations.
Car dans la balance, il y a des
choix délibérés, tranchés alors même que tous les leviers du pouvoir étaient à
disposition :
- l’absence d’une politique de fond
contre les LGBT-phobies,
- les personnes trans laissées à
l’arbitraire des tribunaux pour l’obtention de papiers conformes à leur genre.
Tribunaux qui vont jusqu’à exiger opérations et stérilisation comme conditions
de la modification de la mention du sexe sur les registres de l'état civil.
- la restriction de l’accès à la
PMA. Et une obligation de mariage pour les lesbiennes pour pouvoir adopter
leurs propres enfants et se voir garantir leurs droits et devoirs parentaux.
- Le refus de prendre des mesures
pour protéger les enfants intersexes des opérations chirurgicales et
mutilations génitales non consenties et médicalement inutiles
Dans ce contexte à quoi riment
les propos de Laurence Rossignol ?
Bien sûr, il y a cette dernière
Pride pré-présidentielle qui se profile et même, ce gouvernement qui ne voit
rien, n’entend rien et ne fait rien de ce que sa gauche en attend, ne peut
totalement ignorer que ça grogne y compris chez les LGBT.
Alors, certes il serait
préférable de s’épargner une série de Marches à charge et des responsables
chahutés, conspués, voire boutés hors des cortèges.
Le scénario socialiste idéal est
connu. Aux socialistes, le rôle de l’adulte, responsable et raisonnable. Au
mouvement gay, celui du pupille docile, exprimant sa gratitude au seul tuteur
acceptant de le prendre sous son aile protectrice.
Mais, au fond, pour les
scénaristes du pouvoir, notre observance de ce rôle taillé par avance n’est pas
primordiale, tant ils orchestrent déjà, avec la complicité des classes privilégiées,
la variante destinée à contrer toute critique venue de gauche, qui range les
récalcitrants dans la catégorie des enfants gâtés, aux exigences renvoyées au
caprice et prétendument contradictoires avec les responsabilités du réel.
Car il ne faut pas se leurrer, le
message de la ministre ne nous est pas principalement destiné.
On peut d’ailleurs observer une
redoutable cohérence dans la communication des gouvernements de François
Hollande autour de la PMA.
Alors que la réforme a été
enterrée, elle ne cesse d’être remise dans l’actualité par ceux-là mêmes qui
l’ont renvoyé aux calendes.
Ainsi, rien que ces dernières
semaines, Laurence Rossignol s’était déjà exprimée à ce propos à la suite du
récent remaniement ministériel le 12 février sur BFM[3],
et avait réitéré le 16 février dans Libération[4]
« Ces sujets doivent être traités par une société apaisée. Je travaille
à l’apaiser ».
Si vraiment la PMA n’avait été
abandonnée qu’en raison de la violence de la réaction à la loi Mariage
pour tous, pourquoi passer son temps à la remettre sur la table, sans en
parallèle travailler l’opinion à son bien-fondé ?
Depuis le début du quinquennat,
les questions gaies n’ont été traitées que comme marqueur de différenciation
entre la droite et la gauche, avec une volonté maintes fois réitérée d’incarner
une position centriste modérée, jugée la plus susceptible de mettre en
difficulté la droite tempérée.
Il
s’agissait moins de transformer la société, que de se présenter comme seul à
même d’enregistrer les évolutions de la société et de les traduire en terme
juridiques et légaux. Ni plus, ni moins. Là s’arrête le projet de
transformation sociale des gouvernements Hollande.
A aucun
moment, il n’a été question d’entraîner le pays dans une voie de réflexion
(encore moins de remise en cause) sur la nature structurelle des inégalités
qu’elles soient sociétales ou économiques.
On se
leurre à penser que le président serait intéressé par une étiquette de
rénovateur, affubler un conservatisme consensuel d’un léger vernis de modernisation
qui suffit à lui permettre de se renouveler et prospérer lui convient très
bien.
François Hollande n’est pas très
éloigné de ses prédécesseurs. Certes, il est bien moins brillant qu’un François
Mitterrand se campant en pacificateur d’une France unie en 1988, après avoir conspué les clans et les
factions et se rapproche plus du spectre Jospinien de 2002 dont le projet
n’était pas socialiste.
Néanmoins le positionnement en
réalité n’a pas beaucoup changé, et les ambitions à venir sont d’ors et déjà claires.
Jean Marc Ayrault, dimanche dernier, au soir de la victoire dans la législative
partielle de Karine Daniel, candidate PS dans la 3ème
circonscription de Loire Atlantique, nous en a redonné, pour ceux qui
n’auraient pas saisi, le refrain : « Je
crois que c’est la responsabilité de ceux qui sont élus, ou pas élus
d’ailleurs, de faire leur travail de façon exemplaire sans se disperser dans
des querelles secondaires (...). C’est comme ça que nous retrouverons le chemin
de la confiance »[5].
Entendez plutôt le chemin de l’Elysée.
Hé ho, entonne-t-on,
ailleurs ! pour nous convaincre, qu’il n’y a de progressisme que
différentiel. Ce slogan de dessin animé n’est pas sans rappeler les campagnes
du milieu des années 80, et notamment le « dis-moi jolie droite, pourquoi
as tu de si grandes dents » qui s’était inspiré de l’imaginaire des
cartoons. « Au secours la droite revient » avait-on crié au loup, en
ces années-là.
On semble avoir oublié au PS que
ces campagnes avaient débouché sur une défaite aux législatives …
Qu’importe, c’est au nom de ce
seul argument «le PS ou la droite » qu’on essaie de nous enfermer dans une
alternative irrecevable : accepter de reléguer nos droits élémentaires
dans la catégorie accessoire, ou se voir réduit à occuper dans
la balance tactique du PS, la plateau opposé de LMPT et des réacs, dans une
symétrie immonde qui n’a pour but que de construire une prétendue médiane.
Nous ne sommes « pas des
pigeons que l’on peut appâter tous les 5 ans une promesse à la fois ».
Mais, quelle autre promesse nous fait le PS que celle d’avoir à choisir entre
deux droites ? Bien malin, qui sait qui avalera quel appât.
Le PS veut le beurre et l’argent
du beurre, séduire un centre élargi et rallier sans condition les électeurs de
gauche.
Sortir de ce piège implique d’un
point de vue communautaire de nous adresser, au-delà de nos cercles militants et
des politiques, à l’opinion publique que nous devons convaincre que ces clés de
lecture de nos revendications sont fausses.
Le mariage a été défendu comme
une fin en soi, une forme d’aboutissement de l’égalité. Il n’est donc guère
étonnant qu’il soit désormais affiché comme tel dans le bilan quinquennal.
C’est cet axiome même que nous devons récuser.
Sans diminuer l’intérêt de cette
ouverture, c’est à nous de démontrer qu’elle ne peut véritablement prendre sens
qu’inscrite dans un mouvement général de la société vers l’égalité, et non si
elle doit signifier l’enterrement d’une telle dynamique.
A nous de manifester que nos
revendications s’inscrivent dans une interrogation globale des systèmes de
domination et de porter une remise en question de l’inégalité républicaine
objective et structurelle qui dépasse nos seuls intérêts.
Aujourd’hui, nous sommes à
l’envers. Nous sommes perçus comme approuvant une normativité majoritaire dont
nous ne demanderions que des ajustements qui nous bénéficieraient
spécifiquement, quand c’est de tout l’inverse que nous devrions nous faire les
relais : à partir de nos spécificités pointer la normative
institutionnalisation des discriminations.
Pour ma part, je demeure
persuadée que c’est en travaillant à une autonomie réaffirmée et à la mise en
valeur de l’originalité de nos points de vue que se trouvent les solutions.
Encore faut-il pour cela, se tourner vers nos propres ressources plutôt que de
nous en remettre prioritairement aux bienveillance et volonté supposées
d’experts et acteurs extérieurs.
Si nous en revenons à la PMA,
cessons de brandir des sigles désincarnés qui ne suscitent aucune empathie,
acceptons de dire haut et fort que nous voulons une refonte générale de la
filiation, cessons de laisser les politiques se cacher derrière des
prétendues peurs et confrontons-les au fait « qu’ils ont juste une
vision rétrograde de la filiation ou du devenir parent ».[6]
Multiplions les témoignages
concrets des effets de leurs lois comme le font les Enfants d’arc-en-ciel,
valorisons nos propres experts[7]
et le savoir-faire de nos militants sur le terrain.
Ne nous réfugions pas derrière
des ultimatums et des menaces électorales aléatoires, mais assumons nos
positions. Oui, le mariage est une avancée. Non, il n’est pas l’égalité. Et non
il ne tient pas lieu de politique contre l’homophobie et la transphobie.
Si le mariage et les systèmes de
parenté représentaient la fin du politique, la solution absolue et définitive
aux discriminations et à la domination, l’alpha et l’oméga de l’organisation
sociale, les hétéros s’en seraient aperçus, non ?
Alors, osons dire qu’il n’y aura
pas de politique de gauche sans droits pour les minorités. Toutes les
minorités.
Confrontés à une société qui
organise la précarité et se replie sur l’autoritarisme, sur la désignation de
boucs émissaires et le racisme institutionnalisé, il est plus que temps de
réaffirmer que nous n’en serons ni l’alibi, ni les faire-valoir.
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