Le
désormais ancien président d'Act Up-Paris, Remy
Hamai, dénonce
un "entrisme politique" de la part de nouveaux militants
politiques, venus notamment du Parti des Indigènes de la
République ainsi que de collectifs d'aide aux migrants qui seraient
venus grossir les rangs d'Act Up-Paris.
Faisant
rimer cette affirmation d'origine avec source de dissension et de
détournement politique.
Passons
rapidement sur la dimension risible de l'accusation d'entrisme
coordonné ...
SI
des militants issus de ces luttes en viennent à rejoindre la lutte
contre le sida, n'y aurait pas là plutôt matière à se réjouir
que la lutte contre le sida séduise au-delà des bassins plus
historiquement habituels et concentrés de recrutement de cette
lutte ?
Il
paraît un peu paradoxal de déplorer l'élargissement des cercles de
motivés plutôt que de chercher, même si ça ne va pas sans épisode
conflictuels, comment cette lutte pourrait s'enrichir de cet apport
de forces nouvelles et de cette confrontation de points de vue ?
Surtout quand on parle d'une association moribonde, puisque
l'ex-président d'Act Up-Paris le reconnaît lui-même, en dépit des
efforts de l'ancienne équipe, l'association ne comptait plus qu'une
dizaine de militants.
Et
à l'heure où les luttes communautaires sont dépréciées de toute
part, où le racisme ne cesse d'étendre son emprise sur les
imaginaires et réalités politiques, où les offensives contre les
migrants flambent littéralement, où le gouvernement s'apprête à
faire voter une loi aggravant de façon jamais atteinte les
répressions qu'ils subissent et renoue avec les expulsions de
malades étrangers y compris vers des pays où ils ne pourront pas se
soigner, où on voit la présidente de la région Ile de France
refuser en toute illégalité d'appliquer le jugement du tribunal
administratif lui ordonnant de redonner le droit à la solidarité
transports aux bénéficiaires de l'Aide médicale d'Etat, il y
aurait plutôt à se féliciter de voir expertise de la lutte contre
le sida et expérience du racisme et des politiques anti-migrants se
rapprocher les unes des autres.
De
nouveaux militants ne pourraient-ils apporter un regard différent
sur des problématiques actuelles, une expertise différente de
concernés sur les conséquences directes et concrètes de politiques
racistes ? Comme sur l'impact de la précarisation, de
l'inégalité de l'accès aux soins, à la prévention, au logement,
à l'université, au travail. Comme sur l'impact de la répression
policière et économique. Comme sur l'impact des contrôles au
faciès sur les possibilités de se déplacer, de faire valoir ses
droits.
Toutes
politiques qui ont des conséquences sur les vulnérabilités et les
possibilités d'être acteurs de sa santé.
Et
ce combien même, comme le déplore l'ancien président d'Act
Up-Paris, ces militants auraient été convaincus par l'écho
médiatique autour de 120BPM et seraient arrivés pour « profiter
de l'héritage historique de l'association ».
Après
tout, n'est ce pas un peu le lot de tout militant arrivé à Act
Up-Paris que d'avoir profité d'un héritage bâti par ces
prédécesseurs et des médiatisations successives de l'association ?
La
question n'est donc pas là mais dans ce qui en sera fait. Et ça, ce
sont les actes qui nous le diront.
Que
l'arrivée de nouveaux 5 fois plus nombreux que le noyau qui avait
subsisté déstabilise ses membres plus anciens est sans aucun doute
inévitable, et on comprend que le changement de dimension soit moins
confortable que des discussions en cercles quasi intimes mais il n'y
a pas là, trahison de l'histoire d'Act Up-Paris qui fut constellée
d'échanges houleux et de débats parfois plus que musclés.
La
différence réside peut-être que confrontée à des arrivées
massives, comme ce fut le cas par exemple au lendemain du premier
sidaction, l'association pouvait même en tanguant s'accrocher à une
structuration garante de pérennité. Quoi qu'on puisse se
questionner par ailleurs, et à différents stades de la vie de
l'association, sur la pertinence de cette pérennité.
Act
Up-Paris a toujours été une association politique, et son aide aux
malades a toujours été de lutter d'abord contre les causes
structurelles et systémiques qui leur nuisent. Sa dimension concrète
résidant moins dans la gestion des cas individuels que dans sa
capacité à faire ressortir de ceux-ci leur dimension emblématique
susceptible de résoudre pour tous et toutes les problèmes ainsi
révélés. C'est ainsi que l'association s'est inscrite dans un
tissu associatif communautaire aux savoirs-faire complémentaires.
Quand
un ex-président d'Act Up-Paris se met à user du vocabulaires des
détracteurs d'Act Up-Paris, parlant de victimes du sida et
qualifiant de "violentes" même avec des guillemets,
les actions passées de l'association, il fait des contresens qui
contredisent l'histoire et l'identité de l'association.
Non,
Act Up-Paris n'a jamais dit non plus "Tout le monde est
séropositif », seulement tout militant d'Act Up-Paris accepte
de passer pour un séropositif, la différence étant qu'il ne s'agit
pas de prétendre au vécu d'un séropositif mais d'affirmer le refus
du stigma.
La
crédibilité d'Act Up-Paris repose certes sur son passé et son
image, une marque étonnamment résistante. Mais surtout sur son
expertise de l'épidémie, sa capacité à travailler et argumenter
ses dossiers et la réalité de son efficacité contre cette
épidémie.
Act
Up-Paris saura-t-il sortir de ses propres rituels, quand le 1er
décembre n'est plus qu'une institution, le jeter de sang, pseudo
romantique, usé jusqu'à la corde et bien souvent sa prise de parole
dans les lieux de décision, la petite critique radicale attendue de
la plus turbulente des associations chère à Eric Favereau ?
Adapter sa communication à l'heure des réseaux sociaux, réconcilier
son efficacité verticale à l'horizontalité d'aujourd'hui ?
Mais
qu'Act Up-Paris se transforme, voire survive ou pas, est-ce si
grave ? Chacun aura son idée sur la question. En revanche, la
lutte contre le sida et ses exigences, elles, vont au-delà d'Act
Up-Paris. Et quelles que soient leurs actualisations, ce qui est
certain c'est que cette lutte ne peut exister dans une opposition
insensée entre minorités, entre expertise et politique, entre
plaidoyer et action publique, entre antiracisme et lutte contre
l'épidémie. Et en s'offrant en appui aux instrumentalisations des
détracteurs de ces luttes et aux pourfendeurs des solidarités
communautaires. Et ces enjeux-là dépassent le destin d'Act
Up-Paris.