En décembre 2013, la Cour
d'appel de Paris a ouvert une brèche en rompant avec une jurisprudence qui
interdisait la pratique de l’outing en France. Dans une affaire qui opposait
des cadres du Front National (déjà !) et un jeune auteur[1], elle a considéré que le
public est en droit de connaître l'homosexualité d'un responsable politique
lorsque cette information est «de nature à apporter une contribution à un débat
d'intérêt général»[2]. Jusque-là rendre publique l’orientation sexuelle d’une
personne sans son autorisation relevait d’une atteinte à la vie privée,
celle-ci étant protégée par l'article 9 du code civil[3].
Dans cette brèche, le magazine Closer a vu miroiter un filon inexploité. En révélant
au grand public l’orientation sexuelle du vice-président
du Front National, Florian Philippot, le magazine savait s’offrir un
succès commercial sur fond de buzz garanti. Peut-être aussi l’opportunité d’élargir
cette brèche juridique susceptible d’enrichir son fond de commerce. L’argumentation de sa rédactrice en chef n’étonnera donc
pas qui voudrait inscrire le droit à la peopolisation dans le débat d'intérêt général.
Plus amusant, ce
positionnement affirme se placer au-dessus de la mêlée homophobe en n’établissant
aucune distinction entre hétérosexuels et homosexuels. Y renvoyant ainsi ses
seuls détracteurs et feignant de ne pas chercher soi-même, précisément, le
maximum de publicité sur l’existence même de cette distinction.
Evidemment, personne n’imaginera sérieusement
que Closer s’est découvert
soudainement une vocation de défenseur des droits des gays ! Ce n’est pas
son affaire. Closer
vend du papier et du scandale. Et ce n’est pas à Closer de se substituer au travail militant.
D’ailleurs, cet affichage
grand public de l’orientation sexuelle de Florian Philippot ne s’inscrit pas
dans une définition politique de l’outing qui
consiste à révéler délibérément l’homosexualité d’une personnalité publique qui
par son silence ou par son action fait le jeu de l’homophobie[4].
Mais au contraire dans sa définition
la plus large et la plus commune de révélation par un tiers de l’homosexualité (réelle ou supposée) d’une
personne sans son accord préalable
En effet, peu importe au magazine que
Philippot en tant que cadre de premier plan du FN,
défende des politiques homophobes.
Il y a même fort à parier
que, si argumentation politique il devait y avoir, cette nécessité de rendre
publique l’homosexualité du vice-président du Front National serait justifiée
(comme l’année dernière à propos de Steeve Briois) par un raisonnement
exactement inverse : il faudrait expliquer la relative retenue de Marine
Le Pen contre le mariage pour tous par l’homosexualité de ses lieutenants.
Est-ce parce que ceux-ci
sont homosexuels qu’on n’hésite pas à réduire leurs choix politiques à leur
orientation sexuelle ? Pourquoi pas ? mais alors ne devrait-on pas
entendre dire ailleurs que le refus de l’ouverture du mariage exprimé par d’autres
responsables politiques se fonderait, plutôt que sur des convictions et avant
toute autre considération, sur leur seule hétérosexualité ?
Etrange manière de ne faire
aucune distinction entre hétérosexuels et homosexuels ! un homo est
toujours présumé lobbyiste en puissance des droits de ses pairs quand l’hétéro
se voit attribué un pseudo détachement universel de sa condition !
Quoi qu’il en soit, nous assistons peu à
peu à un effacement de la définition de l’outing au sens que lui avaient donné
les activistes gays (sans doute parce que les militants français ne l’ont en
fait jamais pratiqué) au profit d’une autre qui vise à l’autoriser non pas, en
réalité, au nom des droits des gays mais du droit à l’information du grand
public.
Il est d’ailleurs quelque peu ironique de
constater que la justice qui s’était toujours refusée à considérer l’orientation
sexuelle comme un élément d’information de nature politique quand il s’agissait
de dénoncer l’homophobie, n’a trouvé l’élément recevable que le jour où il
devait démontrer que l’homosexuel visé ne serait pas assez homophobe !
Dans cette zone d’entre-deux, où n’est
entrée dans l’espace public à côté de l’hétérosexualité que l’homosexualité de
celles et ceux qui ont choisi qu’il en soit ainsi, soit de par le mariage, soit
de par leur visibilité, il y a désormais les pédés du FN qui ne se sont pas
assez opposés au mariage pour tous !
Car l’arbitrage judiciaire a, à l’heure
actuelle, décidé de ne s’en tenir qu’au personnel politique et même qu’aux
responsables politiques de premier plan (en-soi, ça laisse bien de la place à d’autres
outing possibles, y compris au sein d’autres formations que le FN !)[5].
Cela montre bien que nous sommes encore
loin de la banalisation. On peut révéler l’orientation sexuelle de Florian
Philippot mais pas l’identité de son compagnon. Closer ne s’y est d’ailleurs pas risqué !
Le parallèle avec un couple hétéro que certains développent ne tient pas. Pas
encore du moins. Quel sens aurait un article de Closer nous annonçant l’hétérosexualité de
Hollande illustré d’une photo le montrant en compagnie d’une actrice floutée !
Et si ce parallèle ne tient pas, c’est
bien par ce qu’il n’y a toujours pas d’équivalence
entre le fait de dire d’une personne qu’elle est hétérosexuelle ou
homosexuelle. Le personnel politique qui s’indigne, à grands renforts de tweets
scandalisés contre la violation de la vie
privée de leur collègue FN, n’en est pas le moins responsable qui se refuse à
mettre en œuvre une politique indubitable contre l’homophobie à tous les étages.
Mais il est tellement plus simple d’exprimer une solidarité de classe (car même
homo, même Front National, Philippot n’en appartient pas moins à cette classe
privilégiée de dirigeants politiques professionnels) que de prendre ses
responsabilités.
C’est aussi pourquoi
contrairement à ce que prétend la rédactrice en chef de Closer, il demeure non anodin de
révéler l’homosexualité d’une personne. Parce que quelles que soient les avancées,
la société française reste homophobe. Et c’est là qu’est le scandale (pas dans
une violation de la vie privée qui n’existe pas). Un scandale qui ne suscite
pas d’indignation généralisée.
Suite à cet outing, Florian
Philippot subira certainement, conséquences aussi des options politiques qu’il
défend, des attaques, sur la base de son orientation sexuelle. Je ne doute pas
non plus qu’il trouvera le moyen de les retourner à son profit, et hélas à
celui de son parti. Mais en raison de son statut social privilégié, les risques qu’il encourt n’ont
rien à voir avec les multiples agressions quotidiennes que vivent des pédés et
des gouines anonymes. Ces pédés et ces gouines, elles et eux, ne bénéficieront
pas d’un tel élan de solidarité politique.
L’outing est à la fois
symptôme et thermomètre. Et la seule chose qu’il traduit en fait, c’est le degré
d’homophobie environnementale.
[1]
Deux cadres du Front National souhaitaient interdire à Octave Nitkovski de mentionner leur
orientation sexuelle dans son livre, Le
Front national des villes et le Front national des champs, (éditions Jacob-Duvernet).
A propos de cette affaire, on pourra lire l’un de mes posts précédents : http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/12/ce-nest-toujours-pas-de-louting.html,
[2] http://yagg.com/2013/12/19/la-justice-autorise-la-revelation-de-lhomosexualite-dun-cadre-du-fn/,
Yagg, 19 décembre 2013
[3]« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les
juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire
toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou
faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent,
s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
[4] Sur cette question, on pourra se reporter à un de mes
précédents textes:
http://gwenfauchois.blogspot.fr/2013/06/louting-une-plaisanterie.html
[5] Ainsi la Cour d'appel de Paris a estimé que le droit à
l’information du public devait l’emporter sur « l’atteinte à la vie
privée » dans le cas de Steeve
Briois, compte tenu de son statut de «personnalité politique
de premier plan» mais
pas dans le cas du second cadre FN qui était mentionné dans le livre de Nitkovski.