A la veille
du 1er mai, le Premier ministre, Manuel Valls, s’adresse-t-il aux
travailleurs ? Non. Il se rend officiellement au Vatican pour assister aux
canonisations de deux papes, Jean-Paul II (dont l’opposition meurtrière à la
capote n’est plus à rappeler) et Jean XXIII. Et, de Rome, s’adresse aux
catholiques et aux opposants à l’intégration des droits des homosexuels dans le
droit commun pour les assurer de l’opposition du gouvernement à tout texte
d’ouverture de la procréation médicalement assistée « jusqu'à la fin de la
législature ».
Puis, deux jours plus tard, le même demande aux
députés socialistes d’approuver à l’Assemblée nationale son plan de 50 milliards d'économies. Ce scrutin, présenté comme
un véritable vote de confiance, était destiné certes à asseoir la légitimité du
gouvernement mais il fera surtout date dans l’inscription définitive du Parti
socialiste dans le camp libéral.
Ces deux événements ont été
chroniqués par la plupart des observateurs comme s’ils n’avaient aucun lien
entre eux, si ce n’est de l’ordre du symbolique. Le gouvernement renoncerait à
ses réformes de société pour apaiser une population frondeuse qu’il ne parvient
pas à convaincre de l’efficacité de ses réformes économiques et sociales.
Assurément il y a déjà beaucoup à
critiquer dans cette façon, dont les médias se font assez globalement
complices, de présenter l’égalité juridique comme un caprice d’enfants gâtés
qui détourneraient avec leurs exigences personnelles des véritables problèmes
de la société française. Mais n’y a-t-il pas plus que cela ? La prétendue volonté d’apaiser ne masque-t-elle pas en fait une forme de
convergence ?
Car le gouvernement ne s’est pas
contenté d’annoncer l’enterrement de réformes promises lors de la campagne
électorale. Il a aussi choisi de recevoir des représentants de La manif pour tous dont Ludovine de la
Rochère, ancienne chargée de communication de la Fondation Jérôme Lejeune ou encore Frigide Barjot de l’Avenir pour tous et d’en faire subitement des interlocuteurs. Alors même qu’il ne leur
avait été opposé, depuis l’adoption de la loi Taubira, que des fins de
non-recevoir.
Il y a donc
là un véritable choix. D’ailleurs Laurence Rossignol à propos de ces
rendez-vous a même évoqué l’idée de « trouver un terrain d’entente sur
certains sujets »[1]
avec ces interlocuteurs, les propulsant quasiment au rôle de partenaires
éventuels.
Or quelles sont les valeurs
portées par ces différents groupes si ce n’est la volonté de justifier les
inégalités ? Et en particulier l’inégalité des sexes et des sexualités.
Volonté de revenir sur l’ouverture du mariage, sur la liberté d’avorter, de
s’opposer à la lutte contre les stéréotypes de genre.
Et parce que nous imaginons encore
ces valeurs éloignées, en apparence, de celles professées par les socialistes,
ce rapprochement reste pensé comme superficiel. Le gouvernement n’aurait qu’un
intérêt tactique et ponctuel à redonner légitimité à ces lobbys.
Pourtant ne s’apprête–t-il pas
lui-même, avec son plan d’austérité, à renforcer les inégalités entre les femmes
et les hommes ?
Non seulement les femmes seront
directement les premières victimes des mesures annoncées : gel des
salaires dans la fonction publique, gel des prestations sociales et des pensions, mais elles vont également être convoquées
pour pallier aux coupes sombres dans les services publics.
En effet, qui sera en première
ligne pour s’occuper des malades que la santé publique prendra moins ou mal en
charge ? Pour prendre soin des personnes âgées qui ne pourront payer des
maisons de retraite hors de prix ou proposant des services indignes ? Pour
garder les enfants à la maison en compensation de crèches jamais
ouvertes ? Pour pallier tant bien que mal aux insuffisances d’une
éducation nationale dévalorisée ?
Alors, n’y a-t-il pas là une
cohérence ?
Le
gouvernement a renoncé à transformer la société. Sa politique économique ne
s’attaque pas à la pauvreté mais au contraire renforce les dynamiques
d’exclusion, les accélère encore.
Travail,
santé, éducation, les inégalités sont criantes mais sont désormais présentées
comme inévitables. Il n’y aurait pas d’alternative, veut-on nous faire croire.
Alors, quel
meilleur moyen quand on se refuse à construire les conditions d’une
reconfiguration globale que d’interdire toute interrogation des processus de
domination à l’œuvre ?
Favoriser
l’émancipation des catégories dominées, ce serait les encourager à interroger
le bien-fondé de la politique menée, une politique qui ne tient que parce que
chacun reste à sa place. Le Parti socialiste s’est trouvé des alliés sur la
base d’intérêts communs bien compris.
[1] http://www.metronews.fr/info/manif-pour-tous-je-ne-suis-pas-la-pour-negocier-previent-laurence-rossignol/mndv!QYY5XOEDJyd/