C’est beau des députés qui
scandent "égalité, égalité" dans une enceinte parlementaire. On verse
une larme, puis on s’offre des fleurs, on s’auto-congratule en versant le
champagne, et après tout on l’a bien mérité, cet instant de bonheur, ce droit
d’associer le printemps à des parfums de joie plutôt qu’à des remontées
nauséabondes.
Mais sous les clameurs, en fond,
persiste une petite note discordante, que d’aucuns voudraient étouffer. Elle
prend la couleur de trois lettres, PMA, qui s’affichent sur des pancartes et
deviennent emblématiques de renoncements qui la dépassent.
Il ne faut guère patienter
longtemps pour entendre le Président de la République, le Premier Ministre, la
ministre de la Famille et même le président de l’Assemblée Nationale - rien que
ça ! – reprendre en chœur le nouvel hymne officiel : fermez le ban,
l’heure est désormais à l’apaisement.
Passage en force contre cohésion
sociale, opposition des réformes sociétales aux réformes économiques, les
logiques et les mots sont ceux du refus de nos unions, et nous voilà priés de
nous concentrer sur nos listes de mariage plutôt qu’à celles de nos
revendications.
Quand la droite arrive au
pouvoir, elle n’a aucun complexe à appliquer la politique pour laquelle son
électorat l’a choisie. Tandis que les socialistes semblent toujours vouloir
donner des gages à leurs opposants. Accepter et se mesurer aux règles et
références de ces derniers. Comme s’il n’y avait de consensus possible que dans
leur cadre, le cadre d’une économie libérale et d’une morale conservatrice.
Ce faisant, ils ne font
qu’encourager la droite à instruire un incessant procès en illégitimité. Et
nous perdons sur tous les tableaux, non seulement les réformes sont, à plus ou
moins court terme, abandonnées ou amputées mais qui plus est, la droite même
battue, peut continuer à imposer ses valeurs en référence.
Or si nos idées cessent d’être
portées. Comment les faire avancer ?
François Hollande a choisi sa
posture présidentielle ; naguère il se voulait l’homme de la synthèse au
parti socialiste, aujourd’hui il prétend incarner le compromis raisonnable.
Comme si s’affrontaient des forces équivalentes qu’il lui revenait d’arbitrer,
incarnant ainsi le seul équilibre possible.
Dès lors, le système présidentiel
fait ses ravages. Le parti socialiste enfermé dans sa position de parti du
Président ne peut que s’incliner, les Verts et le Front de Gauche quasi
inexistants au Parlement sont renvoyés au chimérique et la gauche n’est plus
politiquement représentée.
Comment s’étonner alors que le
système politique ne cesse de se déporter vers la droite. Quand le candidat élu
par la gauche pour porter une alternative n’a pour seule ambition que d’offrir
au néolibéralisme un visage plus humain.
Sans grandes illusions sur les
perspectives de changements réels sur le plan économique qu’ouvrait l’élection
d’un François Hollande, pouvait-on vraiment espérer que celui-ci se montre plus
audacieux sur le plan sociétal et s’oppose au moins dans ce domaine aux résistances
du conservatisme ? Là encore, il faudra se contenter du plus petit des
dénominateurs.
Alors, allons-nous nous montrer
raisonnables ? comme le Président pour qui le déferlement d’homophobie de
ces derniers mois participe d’un débat légitime où « toutes les opinions
doivent être respectées, toutes les sensibilités »[1]
Allons-nous accepter de brader
nos droits au nom d’une conception de la paix sociale qui admet qu’on nous
violente institutionnellement, verbalement et physiquement ? Allons-nous
nous contenter de protester avec une vigueur désormais toute socialiste ?
Et puisqu’il n’est plus question
d’égalité, quelle petite musique va entonner la marche des fiertés ?
Que vont faire nos lobbyistes
patentés ? Adopter l’agenda gouvernemental et son analyse de la
situation ? Cette nécessité d’apaisement ?
Nous assurer qu’ils travaillent,
discutent, déploient force convictions dans les corridors et antichambres des
ministères. Et qu’en attendant que ce travail de fourmi paie, il faut être
réaliste, ne pas faire de vagues.
Ce message-là ne devrait pas être
difficile à mettre en musique, entre ceux qui n’ont qu’une envie de fête et
ceux qui ont désespérément besoin de souffler, de se refaire une santé …
Pour le principe, on placera
l’égalité sur nos banderoles. On glissera la PMA dans nos communiqués. On
n’oubliera pas le T, dans nos signatures.
Et pour entretenir le moral des
troupes, on organisera un concert, reléguant les revendications dans l’ombre de
la célébration. Un couple à succès ! Vedette prévisible de la marche de
juin.
Une Pride dont le mot d’ordre
aurait pu être les droits des trans, grands oubliés de cette longue route vers
le mariage. Tous, pédés, bi, lesbiennes & trans, unis derrière ce seul mot
d’ordre, ça aurait eu de la gueule. Voilà qui aurait donné un peu de corps, un
peu de crédibilité à la marque LGBT. Ne serait-il pas temps d’afficher un peu
de solidarité entre communautés ? D’honorer une dette historique envers
les trans qui furent les premiers à se lever dans un mouvement dont nous touchons
aujourd’hui des dividendes ?
Ou bien ne pourrait-on imaginer
et réaliser une gigantesque banderole inaugurale n’affichant que 3 lettres,
PMA, et des centaines de lesbiennes aux premiers rangs de la
manifestation ? Pour signifier irréfutablement notre refus d’une égalité
tronquée.
Parions plutôt sur l’orthodoxie
du cortège de tête. Avec une banderole se réclamant de l’égalité portée par
ceux-là mêmes qui nous demandent d’y surseoir. Et que nous retrouverons sur les
photos des premiers mariages (réussis ou perturbés), ces noces que les chaînes
d’informations, après avoir multidiffusé ceux qui s’y opposaient, trouveront
pour un temps tout à fait télévisuelles et divertissantes.
En acceptant de nous réjouir avec
les représentants du gouvernement, en adoptant la stratégie du compagnonnage
(une conception de la politique qui a tellement bien réussi à SOS Racisme),
nous admettons nous en remettre à leur gestion du calendrier et renonçons à
essayer de développer les conditions nécessaires à l’aboutissement de nos
revendications.
Quand le chef de l’état entend
gérer la politique comme un arbitrage entre différentes formes de pression de
la société, en renonçant à la fois à installer les conditions de cette pression
de notre part dans la sphère du débat public et à faire de la politique
ailleurs que dans les structures et logiques traditionnelles, nous abdiquons
toute autonomie pour nous en remettre à la bonne volonté de ceux qui nous
gouvernent. Charge à eux de déterminer le moment où ils jugeront que l’équilibre
politique serait devenu plus favorable.
Mais quels moyens nous
donnons-nous pour travailler à modifier cet équilibre ?
Les politiques ne peuvent être
les seuls acteurs de la politique. Et la droite la seule à faire entendre ses
exigences. Comment le silence pourrait-il contribuer à faire évoluer les
perceptions des uns et des autres sur des revendications devenues
invisibles ? Comment faire valoir nos arguments s’ils demeurent
confidentiels ?
Si les Gay Pride ont toujours été
festives, c’est parce que le sens même de cette détermination joyeuse est
politique, c’est parce que nous y avons toujours partagé le refus de nous
taire, le refus de l’ombre et de l’invisible. Y compris dans les périodes les
plus sombres, nous avons toujours opposé la force de nos vies aux volontés de
nous enterrer. Notre émancipation ne tient qu’au fil de notre expression.
Quand nos opposants ont obtenu du
gouvernement qu’il recule sur la PMA et réussi à instaurer un climat
d’homophobie délétère, nous n’aurions rien d’autre à proposer que de nous faire
discrets ?
Et l’égalité, on en fait quoi
pendant ce temps-là ? On négocie avec la SNCF, quoi ? un geste ?
des tarifs spéciaux sur les Thalys ? On les baptisera abonnements
égalité !
En attendant, ah oui, le
mariage ! ce ne sont quand même pas quelques gouines qui vont gâcher la
fête !